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[Reportage] Le combat d’Awa Sow et les éleveuses du Ferlo pour leur survie

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[Reportage] Le combat d’Awa Sow et les éleveuses du Ferlo pour leur survie

Sous l’ombre rare des acacias épineux, dans les savanes arides du Ferlo, entre Barkedji et Linguère, une poignée de femmes peules s’efforce de préserver une tradition séculaire : la production de lait dans une région assoiffée. À force de détermination, d’innovation et de lutte contre l’oubli, elles mènent une bataille discrète mais cruciale face aux défis climatiques et sociaux. Dans ce nord-est du Sénégal, où l’harmattan brûlant balaye une mer d’herbes jaunies, le lait, bien plus qu’un aliment, incarne la mémoire, la subsistance, la transmission, l’économie et la maternité. Pourtant, cette filière, portée à bout de bras par des femmes souvent invisibles dans les bilans agricoles, est menacée par la sécheresse, l’indifférence et un mode de vie qui les marginalise.

Awa Sow, gardienne de troupeaux et d’espoir

À Barkedji, à 30 kilomètres de Linguère, Awa Alassane Sow, figure respectée de l’élevage féminin, s’active près de son enclos. Une vache gratte le sol à la recherche d’herbes rares, tandis que des enfants jouent parmi des bassines en aluminium et des récipients à lait vides. « Avant, nous vendions du lait tous les matins. Aujourd’hui, il faut attendre le retour des bêtes de la transhumance, parfois deux à trois mois sans une goutte », confie-t-elle, le regard perdu dans l’horizon.

Chez les Peuls, la gestion du lait est une affaire de femmes. Elles traient, conservent, transforment, vendent et gèrent les revenus, soutenant souvent les dépenses familiales : fournitures scolaires, soins médicaux, semences ou dettes. Mais cette économie domestique et communautaire est fragilisée par l’exode saisonnier des troupeaux, devenu quasi permanent dans certaines zones.

Le lait emporté par la transhumance

« La transhumance, on ne la choisit pas, on la subit », tranche Awa Sow. La dégradation des pâturages, combinée à l’éloignement des points d’eau, parfois séparés par des dizaines de kilomètres, contraint les éleveurs à migrer vers le sud – Kaolack, Fatick, voire la Gambie et la Guinée. Ces déplacements bouleversent les communautés : « Quand les hommes partent avec les vaches, les femmes restent. Mais sans vaches, pas de lait », déplore-t-elle. Les conséquences sont multiples : fermeture temporaire des unités de transformation, déscolarisation des enfants devenus bergers, absence de suivi médical pour les femmes enceintes, et non-déclaration des nouveau-nés, laissant des vies hors des radars de l’État.

Une usine laitière à l’arrêt

À l’entrée de Linguère, Aminata Ba gère une mini-usine laitière capable de transformer jusqu’à 300 litres de lait par jour. Mais ce rythme est rarement atteint. « Parfois, je reçois à peine 50 litres, apportés par des femmes des villages voisins qui transportent leurs bidons à pied », explique-t-elle. L’électricité solaire, insuffisante pour faire fonctionner les machines en continu, limite la production. Aminata rêve d’un raccordement à la haute tension et d’un camion pour collecter le lait dans les hameaux. Sans cela, le lait, faute de conservation, tourne ou est jeté – une aberration dans un pays où la malnutrition infantile reste endémique.

Innovations en brousse : clôturer pour survivre

Face à ces défis, des femmes innovent. À Barkedji, Awa Sow et son groupement d’intérêt économique (GIE) d’éleveuses ont initié un projet de « mise en défens » : des parcelles clôturées pour préserver l’herbe des feux de brousse et du piétinement. Elles y cultivent du niébé fourrager, du néma (plante locale résistante) et des graminées. « On coupe, on sèche, on stocke pour nourrir les bêtes en saison sèche », explique Awa. Ce champ-école de 300 m², irrigué par un mini-forage, forme chaque mois des dizaines de femmes. Cependant, elle reconnaît les limites : « Cela demande de la terre, de l’eau et des clôtures, des ressources que beaucoup n’ont pas. »

Le foncier, un combat pour les femmes

À Linguère, l’accès à la terre reste un défi majeur, surtout pour les femmes. Ibrahima Lo, assistant du maire Aly Ngouille Ndiaye, admet : « Peu de femmes osent demander officiellement des terrains, mais celles qui le font, comme Alarba Ba, sont soutenues. » La mairie, en partenariat avec la ville d’Angers et l’initiative de la Grande Muraille Verte, a aménagé 11 hectares de jardins communautaires avec eau, clôtures et semences. Mais l’offre reste insuffisante face à la demande.

Une embellie fragile

Selon une étude de l’ANSD (2022-2023), le département de Linguère a produit 261 429 litres de lait en 2023, une hausse de 93 % par rapport à 2022, grâce aux cultures fourragères, aux initiatives communautaires et à un encadrement local. Cependant, cette progression demeure précaire, menacée par les stress hydriques et les conflits d’usage des sols.

Au-delà de l’économie, la crise du lait soulève une question de droits humains. Dans les zones de transhumance, des femmes accouchent sans assistance, leurs enfants ne sont ni déclarés à l’état civil ni vaccinés, et beaucoup n’accèdent pas à l’école. Trois droits fondamentaux – santé, identité, éducation – sont ainsi bafoués. Faute de services mobiles et de politiques adaptées, ces enfants du Ferlo restent invisibles, bien que le pays compte sur eux pour l’élevage.

Porter les voix du Ferlo

Au marché de Linguère, des femmes vendent le lait en sachets plastiques, à côté des mangues exportées. Elles parlent de leurs difficultés, mais aussi de leurs projets : coopératives, innovations, fierté. Dans le Ferlo, le lait est un acte de résistance, un cri pour affirmer : « Nous sommes là, nous voulons rester, nous voulons produire. » Mais pour que cette filière devienne un véritable levier d’avenir, il faudra plus que leur détermination. Eau, électricité, camions, froid, foncier et écoute sont nécessaires pour que les voix de ces femmes portent au-delà des dunes et des silences, et pour que le lait du Ferlo ne devienne pas un cri étouffé.

Auteur: Yandé Diop
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Commentaires (7)

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    Citoyen il y a 2 heures

    Bravo pour ce billet. Bon courage pour la suite!

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    Aby Diallo il y a 1 heure

    Bravo pour cet article. Ces questions devraient etre une priorité absolue. Les problèmes soulevés ici expliquent en partie pourquoi les pays sahéliens ont sombre dans la violence et continuent d’être en proie aux conflits.

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    Diarama il y a 1 heure

    Haayo POULO ❤️❤️❤️ ka diamnaro !

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    Toto il y a 1 heure

    Un article consistant intéressant original. Bref un article de qualité de grande valeur bravo. Pas comme tous ces copiers collers et autres soi disant articles indigents.

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    Diarama il y a 1 heure

    Bravo 👏 pour l'article ! Voilà ce les Sénégalais ont besoin de savoir pour que le gouvernement fasse du développement rural durable sa priorité absolue ! Tant le monde rural ne sera pas développé, le Sénégal ne se développera pas ! Or, diamant, pétrole, ce ne sont que des ressources qui dépendent des aléas des marchés mondiaux ! Mais hélas les Monsieurs comme il le faut, les prud'hommes ne voient jamais le printemps à leurs pieds ! Alors voyagez toujours....

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    Diarama il y a 1 heure

    Je voulais écrire " ka diambaro" je suis très ému Aujourd'hui ❤️❤️❤️❤️

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    Njaay jaata il y a 13 minutes

    Bel article, surtout édifiant sur le calvaire des populations du Ferlo. C'est encore une preuve de l'échec de notre Etat à relever un des nombreux défis que le progrès leur impose. Comment comprendre qu'un pays comme le nôtre, ceinturé par un fleuve d'eau douce qui se jette dans l'océan, puisse avoir des zones sans eau au point que des milliers de pasteurs passent la moitié de l'année à la recherche de ce liquide précieux pour leurs troupeaux ? Laissant femmes et enfants dans une précarité totale, ils sont en migration permanente et souvent en conflit avec les agriculteurs qui les accusent de saccager leurs champs. Ce pastoralisme traditionnel est aujourd'hui incompatible avec les changements climatiques, l'explosion démographique et l'agriculture intensive. Ces éleveurs doivent avoir leurs terres aménagées, de l'eau, car le Sénégal en a assez, faire leur culture fourragère pour nourrir leur cheptel et produire suffisamment de lait et de viande pour tirer des revenus conséquents de leur dur labeur.

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