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Michaëlle Jean : « Mon histoire, mon bilan, mes ambitions »

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Michaëlle Jean : « Mon histoire, mon bilan, mes ambitions »

Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) depuis trois ans, la Canadienne d’origine haïtienne briguera au mois d’octobre un nouveau mandat. En attendant, elle s’est confiée à Jeune Afrique.

La canadienne Michaëlle Jean, 60 ans, a pris ses fonctions de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) il y a trois ans, le 5 janvier 2015.

Première femme et première personnalité non africaine à diriger l’institution, elle a eu un parcours pour le moins étonnant : de Port-au-Prince, en Haïti, qu’elle a fui pour échapper à la dictature de Duvalier, à Paris, donc, en passant par Ottawa, où elle est arrivée avec sa famille à l’âge de 11 ans et où elle fut gouverneure générale du Canada (2005-2010).

Elle nous a reçus dans son bureau de l’avenue Bosquet, dans le 7e arrondissement de la capitale française, pour, à quelques mois de la remise en jeu de son mandat, en octobre à Erevan (Arménie), dresser un premier bilan de son action et répondre avec passion, pugnacité et volubilité aux critiques qui lui sont adressées concernant la tenue de ses promesses de campagne ou l’efficacité de l’OIF en RD Congo, au Togo et ailleurs.

Jeune Afrique : Peu après votre élection, vous nous aviez déclaré que l’OIF devait « avoir davantage d’impact sur le cours des événements, proposer des solutions et obtenir des résultats ». Mission accomplie ?

Michaëlle Jean: En vous disant ça, j’entendais assigner une feuille de route à l’OIF. Lors de mon arrivée, j’ai vite compris qu’elle avait le plus grand mal à faire connaître ce qu’elle est et ce qu’elle fait.

Je me suis donc efforcée de remédier à ce déficit de communication, en particulier au Conseil de sécurité des Nations unies. L’enjeu était d’importance, la situation sécuritaire dans l’espace francophone étant, comme dans le reste du monde, fort tendue. Alors que nous participons depuis vingt ans aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, il était légitime que nous cherchions à faire entendre notre voix.

À mon arrivée, l’OIF souffrait d’un déficit de communication auquel je me suis efforcée de remédier

J’arrive donc le 5 janvier 2015. Dès le mois de mars, l’OIF est présentée au Conseil de sécurité comme un partenaire « incontournable ». Au Sahel, nos actions doivent être menées de manière intégrée. Les pays du G5 veulent avoir les moyens de défendre leurs territoires et leurs populations. D’où la nécessité d’une force conjointe destinée à combattre le terrorisme.

Vous aviez fait campagne sur des choses très concrètes : le visa francophone, la dimension économique de la Francophonie… Où en est-on, de ce point de vue ?

Nous avons tout de suite pensé qu’il fallait renforcer les moteurs de la croissance. Dans ce dessein, nous avons sélectionné treize pays africains pour, en accord avec les autorités et les forces économiques locales, y créer de très petites et moyennes entreprises qui, si tout va bien, sont appelées à devenir des incubateurs de la croissance.

Parallèlement, nous faisons un travail important auprès des jeunes pour renforcer leur maîtrise des outils numériques et des nouvelles technologies. Nous soutenons plus d’une quarantaine de structures destinées à favoriser la création d’emplois. Les jeunes qui fuient leur pays ont la conviction que leur avenir est totalement bouché. C’est cette sombre perspective qu’il faut changer.

Directeur de la francophonie économique et numérique au sein de l’OIF, le Togolais Kako Nubukpo a participé en 2016 à la rédaction d’un livre (Sortir l’Afrique de la servitude monétaire) très hostile au franc CFA avant d’être suspendu, en décembre 2017. Or ses positions étaient connues de longue date

La candidature de Nubukpo a été examinée de manière très rigoureuse par une agence internationale, puis soumise à un jury de très haut niveau qui a porté son choix sur lui ; son profil convenait parfaitement à la mission confiée à cette direction. Le livre sort, il m’en prévient, je lui fais observer que son contrat comporte une clause de réserve et de neutralité conforme aux standards de la fonction publique internationale.

Kako Nubukpo s’est comporté comme un militant pas comme un haut fonctionnaire

Bien entendu, la question du franc CFA est très sérieuse, mais en l’occurrence c’est moins la question elle-même qui pose problème que la manière dont elle a été abordée. Kako Nubukpo s’est comporté comme un militant, pas comme un haut fonctionnaire, raison pour laquelle il a reçu plusieurs avertissements, dont il n’a pas tenu compte.


>>> À LIRE – OIF : Kako Nubukpo n’a pas dit son dernier mot


On vous compare souvent à Abdou Diouf. Est-ce agaçant ?

J’ai beaucoup d’estime pour Abdou Diouf, pourquoi devrais-je être agacée ? Nous sommes différents, mais ça ne nous empêche nullement de nous voir et de nous parler. Il y a une vraie continuité. Il est vrai que, contrairement à lui, j’évolue dans le monde de l’immédiateté numérique. Je suis en contact permanent avec les chefs d’État. C’est un outil précieux, mais l’outil n’est pas tout.

Ce que nous avons sans doute en commun, le président Diouf et moi, c’est une diplomatie fondée sur le respect et la confiance.

Le président Diouf et moi avons en commun une diplomatie fondée sur le respect et la confiance

Personne n’en doute : vous serez candidate à votre succession, en octobre. Or nombre d’Africains estiment que le poste de secrétaire général devrait revenir au continent…

Je ne serais pas aujourd’hui à la tête de la Francophonie sans le soutien des chefs d’État africains. Ils sont sensibles à ma conception de l’africanité globale. Native d’Haïti, je suis afro-descendante. Pour les Africains, ça veut dire quelque chose. Ils savent que c’est dans mon pays natal que, pour la première fois, des Africains se sont révoltés contre l’esclavage et se sont affranchis.

Quelles sont vos relations avec Emmanuel Macron ?

Entre les deux tours de l’élection présidentielle française, nous avons pris contact avec le candidat Macron et ses conseillers pour évaluer son engagement en faveur de la francophonie. Très vite après son élection, nous avons eu une première séance de travail à l’Élysée. Et depuis, nos contacts sont fréquents. C’est par exemple grâce à lui que nous avons pu ratifier un accord de partenariat plus robuste avec l’Agence française de développement (AFD).

Quand je l’entends développer sa stratégie pour la francophonie, en nous y impliquant, je ne peux qu’être d’accord. Sur l’enseignement et le rayonnement du français dans le monde, nous sommes parfaitement en phase. J’aime son approche d’une francophonie plurielle, dans ses multiples dimensions et champs d’action.


>>> À LIRE – Quand Macron « oublie » Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie


Nous travaillons de manière très ouverte, ainsi bien sûr qu’avec Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, qui s’occupe beaucoup de francophonie, et avec Leïla Slimani, la représentante personnelle du président.

Sur le rayonnement du français dans le monde, je suis en phase avec le président Macron

Que pensez-vous de la nomination de cette dernière ?

Elle est intéressante, parce que c’est la première fois qu’une littéraire est appelée à représenter le président, alors que le poste a toujours échu dans le passé à des politiques. Leïla Slimani arrive sans a priori, et j’aime ça.

Elle a une écoute extraordinaire et ne cherche pas à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas. D’ailleurs, je le lui ai dit : « Restez telle que vous êtes. » On va voir ce qu’on peut faire ensemble.

Grand pays de culture francophone, l’Algérie n’a toujours pas rejoint l’OIF. Où est le problème ?

Lors de ma première rencontre avec le président Bouteflika, en 2006, je lui ai parlé de la Francophonie. Deux ans plus tard, il a été invité au sommet de Québec, et nous avons reparlé de la question. L’Algérie est très consciente d’être un bassin de francophones, et je suis convaincue qu’elle finira par rejoindre l’OIF.

Je suis convaincue que l’Algérie finira par rejoindre l’OIF

L’Afrique anglophone est-elle, comme on l’entend parfois, plus performante que l’Afrique francophone en matière de gouvernance, d’éducation et d’innovation ?

Non, c’est une vue de l’esprit, les études que la Banque mondiale vient de publier disent tout le contraire. Il faut que les francophones se décomplexent.

Le Rwanda semble hésiter entre la poursuite de son anglicisation et un retour dans le giron de la Francophonie…

J’ai pour la première fois rencontré le président Paul Kagame en 2009, au Liberia, à l’occasion d’une conférence internationale. Lui et moi étant insomniaques, nous nous sommes donné rendez-vous à 22 heures et nous avons parlé jusqu’à 2 heures du matin. De la francophonie, notamment.


>>> À LIRE – Le Commonwealth confirme l’adhésion du Rwanda


C’était l’époque où il lui fallait prendre une décision capitale : quitter ou non l’OIF. De notre entretien, il est ressorti que le rayonnement du Rwanda sur la scène internationale passait par son maintien dans l’espace francophone.

Reçue par Paul Kagame, le président rwandais, à Kigali, en avril 2010, alors qu’elle était gouverneure générale du Canada 

L’OIF a diligenté plusieurs missions d’information et de contact en République démocratique du Congo. Pensez-vous que la présidentielle puisse avoir lieu à la date prévue, fin décembre ?

Le travail que nous avons fait sur place, notamment sur la question du fichier électoral, a débouché en 2016 sur la conclusion de l’accord dit de la Saint-Sylvestre. Nous aurions souhaité que la consultation ait lieu plus tôt, mais l’existence dans ce pays de plus de six cents partis politiques a beaucoup compliqué les choses.

Ayant fait le choix d’une approche concertée et coordonnée, nous avons rassemblé les membres du groupe international de contact (ONU, UA, organisations régionales) et les avons mis en relation avec les autorités congolaises afin de lever les obstacles qui menaçaient le processus électoral.

Pourtant, les tensions ont repris de plus belle…

Oui, c’est effrayant. Je condamne fermement les violences perpétrées contre des manifestants favorables à la tenue rapide de l’élection. À l’évidence, les autorités ont fait un usage de la force totalement disproportionné et abusif, qui n’a fait qu’aggraver les clivages.

La RDC est l’avenir de la langue française

Est-ce que je garde néanmoins espoir ? Nous n’avons pas d’autre choix que de continuer notre travail. Par sa démographie et ses richesses, la RDC est l’avenir de la langue française.

Les deux missions que vous avez dépêchées au Togo pour tenter d’apaiser la crise politique ont échoué. Pourquoi ?

Pour la première de ces missions, les autorités togolaises nous ont expliqué, à nous et aux représentants de l’Union africaine, que le moment n’était pas opportun. Ce qui ne nous a pas dissuadés de maintenir le dialogue avec Faure Gnassingbé, le président démocratiquement élu. Mais nous avons quand même recommandé de renforcer certaines institutions du pays et d’engager une réflexion sur les réformes qui, à l’évidence, s’imposent.

Il est vrai que la personnalité désignée pour conduire la seconde médiation, l’ex-ministre des Affaires étrangères du Niger Aïchatou Mindaoudou, a suscité sur place certaines réserves qui ne nous ont toutefois pas conduits à remettre en question notre choix : l’intéressée était quand même une ancienne représentante personnelle du secrétaire général de l’ONU et l’une des rares femmes à avoir dirigé une opération de maintien de la paix – en Côte d’Ivoire, en l’occurrence.


Mais le président togolais a fait un autre choix, qu’il a fait entériner par ses pairs de la Cedeao. Il n’empêche que je suis aujourd’hui très heureuse de voir que le président guinéen, Alpha Condé, s’implique comme il le fait dans la médiation. Et je continue de rencontrer périodiquement le président Faure Gnassingbé.

La situation au Gabon semble en revanche évoluer favorablement ?

Nous restons présents dans ce pays après avoir défini avec l’Union européenne nos domaines d’intervention respectifs. Le processus électoral y a été intense et a été marqué par des flambées de violence.

Mais l’envoyé spécial que j’ai choisi, le Mauritanien Ahmedou Ould Abdallah, est vraiment un maître en matière de médiation. Nous avons fait en sorte de toujours maintenir le dialogue, le contact, ce qui requiert beaucoup de volonté et de courage.



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