« On imagine mal la somme de catastrophes
que chacun peut supporter dans l’indifférence,
pour peu qu’elles s’abattent sur autrui »
Georges ELGOZY
Au moment où vous parcourez ces lignes, un soldat sénégalais est en train de lutter contre la mort à l’hôpital régional de Ziguinchor. Il sera le huitième d’une fin d’année macabre. Il aurait eu plus de chance s’il avait été évacué à Dakar, mais le Fokker 27 de l’Armée nationale, qui servait à cet usage, est devenu inopérant et n’a pas été remplacé. Son jumeau, bien plus confortable, est réservé au transport des autorités civiles et militaires à travers le territoire national. Ils étaient six au mois d’octobre, trois au mois de novembre, ils sont au total 15 vaillants soldats à tomber sous les balles ennemies. Comme toujours, le rallye guerrier a parcouru la zone attaquée, à la recherche des colonnes ennemies. Mais cet avion de reconnaissance lent et bruyant ne peut être d’aucun secours face à des rebelles qui attaquent en petites bandes, et qui se dissipent dans la forêt, devenue leur habitat naturel. Depuis la semaine dernière, nous savons que tout avion qui décolle dans la zone est potentiellement à portée des missiles sol-air SA 7, portable à l’épaule, et des SA 15 de moyenne portée, qui peuvent descendre n’importe quelle cible sur l’ensemble du territoire sénégalais. L’état-major croise les doigts et compte ses morts, surpris par la puissance de feu d’un ennemi que nous avons du mal à identifier. Une cargaison de 13 containers a été saisie par la Douane nigériane, en partance pour la Gambie, grâce à la vigilance de la CIA. Mais nous ne pouvons savoir combien de lots de munitions ont pu transiter par Banjul et finir entre les mains des rebelles casamançais et gambiens. L’incident qui est à l’origine de la mort des huit soldats sénégalais n’est pas fortuit. Les rebelles avaient pour objectif la prise totale de Bignona, sûrs de leur supériorité logistique. Il nous faut donc nous résoudre à une réalité : quelle que soit l’appellation que nous donnons à l’ennemi en face, nous sommes un pays en état de guerre. Il serait illusoire de parler de retour à la paix quand tombent sous nos yeux, des militaires en service commandé. Nous ne sommes pas dans la même situation qu’au milieu des années 90, quand des sections entières étaient décimées à Babonda et Mandina Mankagne. Mais les auteurs de ces attaques meurtrières, chassés de la frontière bissau-guinéenne, ont trouvé en Yaya Jammeh un tuteur et un parrain.
Les rebelles du Mfdc assuraient le trafic de la drogue et des anacardes contre des armes venues de Guinée et du Libéria. L’affaire a fini par éclater au sein du Paigc. Quand la commission dirigée par Malam Bacaï Sagna a désigné le général Ansoumana Mané comme responsable de ce trafic, il s’est rebellé contre le régime de Nino Vieira. Plusieurs centaines de combattants du Mfdc, envoyés par Salif Sadio, se sont rangés du côté du général Mané pour des raisons de survie: ils prospéraient grâce aux richesses que leur procuraient le trafic de la drogue et les braquages. Le président Abdoulaye Wade a aidé au retour à la démocratie et a combattu farouchement Ansoumane Mané. Dans le même temps, nous avons accordé un appui logistique et financier à la Guinée-Bissau, dans son combat pour déloger de ses bases de Baraka di Manjoka, en territoire Bissau-guinéen. J’avais rencontré à cette époque, dans la forêt de Sao Domingo, le colonel Tagmé Nahua, dont la mission était de pilonner tous les jours les positions de Salif Sadio. Il a obtenu gain de cause, puisque le chef rebelle a fui avec ses hommes vers la Gambie, atteint par des éclats d’obus. La Guinée-Bissau est revenue à un gouvernement civil sur lequel le Sénégal exerce un contrôle bienveillant, en assurant le paiement des salaires de l’administration. Mais dix ans après, la même situation se présente en Gambie, avec un gouvernement de narcotrafiquants, sous la conduite d’un chef d’Etat paranoïaque. Nous n’avons jamais pu obtenir un tel engagement de la part du dictateur gambien.
Depuis 15 ans, le Mfdc s’est donné pour mission d’infiltrer les états-majors militaires des pays limitrophes et d’en contrôler le commandement, ce qu’il a réussi en partie. Ce que Salif Sadio a fait en Guinée-Bissau autour du général Ansoumane Mané, Kamougué Diatta l’avait réussi en Gambie, assurant la garde rapprochée de Yaya Jammeh. Mais il y a une différence qui limite nos actions en Gambie. Le Paigc, malgré son passé militaire, était animé de courants démocratiques internes qui avaient permis l’ouverture de débats sur la question du trafic des armes, et conduit à la mise en place d’une commission d’enquête. Une telle issue est impossible en Gambie. Yaya Jammeh dirige son pays d’une main de fer et fait disparaître tous ceux qui lui tiennent tête. La Diaspora gambienne, éduquée dans les meilleures universités du monde, est impuissante face à cet homme à la brutalité légendaire. Il a transformé son village en bunker et n’en sort que pris en sandwich par des colonnes de blindés. Il a poussé la mystification jusqu’à se faire guérisseur traditionnel, inventeur d’un remède contre le Sida. Le règne de la terreur, grâce au dévouement de sa redoutable NIA, lui assure la docilité de ses sujets. La légende raconte qu’il a fait creuser une mare à crocodiles dans son petit village, auxquels il livre ses ennemis, parfois sur simple délation. Il assure l’hospitalité aux hommes de Salif Sadio, qui lui garantissent sécurité et loyauté. Depuis 15 ans, nous nous laissons intimider par ce vulgaire colonel à la tête d’une armée de 2300 hommes fanatisés. Quand Yaya Jammeh arrivait au pouvoir, l’armée gambienne ne disposait en tout et pour tout que d’un Sukhoi 25. Il étale maintenant ses Migs 25 et ses Alpha Jet à la vue de tous, pendant ses défilés militaires.
Or, nous avons tous découvert effarés, lors de notre intervention en Guinée-Bissau, que notre Armée de l’air était inexistante et qu’il nous fallait nous armer impérativement, si nous voulions survivre en tant que Nation. Nous sommes intervenus après de Nino Vieira avec un navire de support logique, le Carabane. Nous avons trouvé face à nous une armée mieux équipée, plus nombreuse et heureusement, mal formée. Jean Paul Dias, bien qu’appartenant à la majorité de l’époque, avait courageusement posé le problème à l’Assemblée nationale, et je reconnais au président Wade le mérite d’en avoir fait une priorité, à son arrivée au pouvoir. Au début des années 80, nous étions une des premières armées d’Afrique subsaharienne, avec des hélicoptères lourds type SA330 Puma, deux avions de transport Fokker 27, deux Fougas, un Rallye Guerrier G 235, des hélicoptères Bell, des alouettes et un Twin Otter de patrouille. En 2000, il ne restait de toute cette armada que les deux Fokker 27. De nombreux efforts ont été consentis, pour nous permettre de disposer deux de hélicoptères de transport de troupes de l’Arabie Saoudite, deux Epsilon et un hélicoptère Ecureuil, deux MI-35P et 2 MI 171 SH. L’Espagne nous a offert deux hélicoptères de surveillance, que nous utilisons malheureusement très peu. Le Budget du ministère des Forces armées a presque doublé, en l’espace d’une décennie. Mais une armée sérieuse ne peut être bâtie sur une logistique de seconde main, souvent hors d’usage. Pour avoir une indication, la Guinée Conakry avec son petit budget, consacre plus d’argent à sa défense que le Sénégal, alors qu’il ne fait face à aucune rébellion intérieure. Il est le deuxième en Afrique francophone, après la Côte d’Ivoire. Si nous voulons faire face aux dangers qui nous guettent et être à la hauteur de nos ambitions sous-régionales, il nous faut doter notre armée de moyens conséquents. C’est le sens de mon propos. Nous devons aussi, sans complexe, nous mettre du côté du peuple gambien et l’aider à combattre ce dictateur sanguinaire. Il y va aussi de notre propre sécurité. Je l’ai dit ailleurs, la politique de l’argent est la politique du pire. Pendant trente ans, nous avons eu cette attitude contradictoire, qui a consisté à entretenir à la fois nos combattants et ceux qui les combattent. Nous avons été les acteurs de notre propre malheur, puisqu’il ne s’agit pas d’entretenir la guerre, mais d’y mettre un terme.
PS : le président de la République a rappelé l’ambassadeur du Sénégal à Téhéran, ce que j’ai trouvé fort à propos. Mais si nous voulons être logiques avec nous-mêmes, nous devons rappeler notre ambassadeur à Banjul et demander au gouvernement de Yaya Jammeh des explications sur cette cargaison d’armes, destinée aux « Fermes de Kanilaï ».
21 Commentaires
Isma
En Décembre, 2010 (06:08 AM)Dof
En Décembre, 2010 (06:11 AM)De Montreal
En Décembre, 2010 (06:16 AM)Tgv
En Décembre, 2010 (06:40 AM)Bam Meel
En Décembre, 2010 (06:41 AM)Calido
En Décembre, 2010 (06:53 AM)Blek
En Décembre, 2010 (08:36 AM)Comment peut-on diriger un pays sans être vigilent par rapport à ce qui se passe dans un état qui lui est enclavé? Ou le Sénégal se montre ferme et pointilleux face à toute menace à son économie ou sa sécurité qui pourrait venir de la Gambie ou il fera bientôt face au risque de disparaitre en tant qu'état! C’est à peine exagéré!
L’affaissement du géant Congo est venu du petit Rwanda!
Deeg Diamm
En Décembre, 2010 (10:27 AM)Bas
En Décembre, 2010 (10:31 AM)Reply_author
En Juin, 2021 (10:19 AM)Kane Diallo
En Décembre, 2010 (10:37 AM)Gegerre
En Décembre, 2010 (10:46 AM);;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;
En Décembre, 2010 (13:12 PM)Bgc
En Décembre, 2010 (15:24 PM)il faux pas se laisser devant un craitin yaya qui dérange la paix au sene
je demande á notre president de veiller au population senegalaise
mfdc c´est une organisation qui cherche á soutirer de l´argent au peuple
on doit en finir pour toujours si no dans quelques temps ,on va le regreter
des rebelles etranger vont envahir le sud parceque ,il ya toujours des negociations
et le gouvernment senegalaise vont verser des cautions
Arreter ,Arreter,Arreter, pour le bien de la pouplation senegalaise,la guineé á coopérer pourquoi pas la gambie
Que le bon Dieu beni mon pays que j´aime beaucoup
vive la paix pour toujours Amen
Aicha 1
En Décembre, 2010 (19:22 PM)G
En Décembre, 2010 (19:58 PM)Moi
En Janvier, 2011 (14:03 PM)Kane
En Janvier, 2011 (21:58 PM)Sambatagoloniaye
En Janvier, 2011 (15:18 PM)Je ne sais comment te remercier? votre emouvant texte sur cet extraordinaire Diambar qui est le militaire Abdou Karim Boye!
Je sure qu'ils existent d'autres braves Abdou Karim Boye qui ne seront jamais connus!
On dirait qu'il n'existe pas de journalistes dignes dans ce pays, voici une histoire qui n'aurait jamais du etre connue par le grand public sans votre vigilance! Encore merci!
Ceci demontre pourquoi au Senegal, jamais nos vrais patriotes "Nos Invalides de guerres" ne sont jamais nommes deputes ou ministres!
Toujours un ver de terre comme ce faut krim et sa soeur, Grands Inconnus, sortants du neant sont donnes toutes les honneurs dans ce pays!
Cet insulte a notre peuple doit cesser immediatement!
Je suis degoute!
Correction
En Janvier, 2011 (15:28 PM)Kamicase
En Janvier, 2011 (20:01 PM)Gamane
En Janvier, 2011 (21:02 PM)Participer à la Discussion