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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
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LA COUR DE REPRESSION DE L’ENRICHISSEMENT ILLICITE A LA CROISEE DES CHEMINS

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LA COUR DE REPRESSION DE L’ENRICHISSEMENT ILLICITE A LA CROISEE DES CHEMINS

« Avoir le pouvoir signifie être responsable ».


(Jawaharlal NEHRU)


          Dans l’Etat républicain, nul ne peut agir par droit de nature, c'est-à-dire, faire comme si pour lui, rien n’est injuste, tout lui est permis ; car une telle conception, conduirait à ne plus fonder la réaction judiciaire sur la gravité objective de l’infraction, mais à substituer la personne du délinquant (sa position sociale) à la gravité du mal infligé à la collectivité. Or, il va sans dire qu’une telle conception finit toujours par installer une atmosphère de cynisme caractérisée par le fait qu’à tous les niveaux, l’intérêt général ne s’apprécie plus que par rapport aux intérêts particularistes.


C’est justement contre un phénomène aussi nocif que le législateur sénégalais a entendu lutter à travers les lois n° 81-53 et 81-54 du 10 juillet 1981, portant création du délit d’enrichissement illicite et de la Cour de Répression dudit délit.


Aujourd’hui, la procédure qui est suivie par le Procureur spécial pour l’application de ces textes législatifs, fait l’objet de vives critiques, voire de menaces d’actions auprès des juridictions nationales et internationales.


De plus, dans la mesure où notre société est essentiellement une société de l’oralité, des propos qui frappent l’esprit et oriente l’opinion vers la suspicion, sont quotidiennement utilisés dans les médias. C’est comme qui dirait que dans cette affaire, la parole est devenue un outil stratégique, capable de pousser la réaction judiciaire vers une justice pénale d’opinion, en lieu et place d’une réaction judiciaire fondée sur la gravité objective de l’infraction.


Les faits ci-dessus exposés, nous semblent d’une gravité extrême pour deux raisons :


    Il est communément admis que pour être édifié sur la nature d’un régime politique, il suffit d’examiner le mode de fonctionnement du système répressif qui y est en place. Donc si toutefois, la tentative d’accréditer l’idée de « l’arbitraire » dans la procédure prospérait, l’image du régime en place n’en sortirait pas indemne au plan international.


    Dans cette hypothèse, le Peuple en arriverait à croire que les lois au Sénégal, ne sont rien d’autre que des textes auliques destinés à mettre le pouvoir judiciaire à la botte du Prince. Or, il résulterait de cette croyance le sentiment d’injustice qui, selon Platon, provoque la révolte dans la République.


    L’observation que voilà ne devrait pas être perçue comme une vue de l’esprit, surtout si l’on sait comme Jean Jacques Chevalier qu’  « il y  a dans chaque  société, en filigrane de l’obéissance, un état de révolte virtuel », et ceci est dû au fait que la liberté et l’égalité sont d’essence humaine.


Sous le bénéfice de ce qui précède, il peut être  dit que la mise en œuvre de la procédure relative au délit d’enrichissement illicite soulève d’importantes questions et, en même temps, pose des problèmes concrets dont l’élucidation s’avère nécessaire non seulement pour l’idée de Justice et le sentiment de Justice que doivent avoir les populations à l’égard du système répressif, mais aussi, pour obvier aux inconvénients qui pourraient résulter de l’accréditation au niveau international, de la thèse selon laquelle le nouveau pouvoir politique s’emploie à attirer les responsables de l’ancien régime dans les chausse-trapes  d’une procédure judiciaire mal maîtrisée, inique et mal fondée en droit.


Il s’agira pour nous, de tenter de vérifier le bien fondé des tendances réactionnelles dont il est fait état supra.


Pour la clarté de ce qui suit, il nous parait important de rappeler que, si en matière civile la plénitude hermétique du Droit oblige à combler les lacunes en n’ayant recours à la coutume, aux principes généraux du droit, en matière pénale, il n’y a pas de lacune, parce que l’ordre juridique pénale est hermétiquement plein, et c’est ce qui permet le respect strict de la règle de « la légalité des délits et des peines». Il faut que l’acte sanctionné pénalement ait été prévu par la loi.


Pour ce qui concerne la procédure jusque là suivie par le Procureur spécial, nous pensons qu’elle est irréprochable au regard de l’article 163 bis du code pénal. En effet, le magistrat s’est fondé sur des indices, c'est-à-dire des signes extérieurs à partir desquels il a établi, aux moyens de raisonnement inductif l’existence de richesses sans rapport avec les revenus légaux des intéressés, il a fait procéder à des investigations, et sur la base des résultats obtenus, il a lancé des convocations pour permettre à chacun de s’expliquer à propos des éléments qui ont été recueillis par les enquêteurs.


A l’issue de cette opération, si toutefois les explications fournies par certains étaient jugées peu convaincantes le Procureur spécial pourrait passer à la phase dite de la présomption, qui est un mode de raisonnement juridique en vertu duque,l de l’établissement d’un fait, on induit un autre fait qui n’est pas prouvé.


C’est donc la présomption qui amène le Procureur spécial à rechercher la preuve de l’existence du délit d’enrichissement illicite par le procédé de l’injonction obligeant le concerné à rapporter la preuve de l’origine licite de sa fortune sous le délai d’un mois. C’est par la mise en demeure que le dossier entre dans la phase procédurale dynamique. C’est pourquoi, cette action ne peut être menée contre une personne bénéficiant d’une immunité sans que celle-ci ne soit préalablement levée.


A l’issu du constat de l’existence du délit d’enrichissement illicite, le Procureur spécial doit orienter le dossier vers la juridiction compétente pour en connaître.


A ce stade de la procédure, certains estiment que l’orientation du dossier par le Procureur spécial devrait aller de soi, dans la mesure où l’article 7 de la loi n° 81-54 créant la cour de répression de l’enrichissement illicite dispose que « lorsque les faits constitutifs de l’enrichissement illicite concernent une personne bénéficiant d’une immunité où d’un privilège de juridiction, le Procureur spécial transmet le dossier à l’autorité compétente aux fins de l’exercice des poursuites par les voies légales ».


Pour raisonner de la sorte, il faut évidemment oublier que le bénéfice d’une immunité où d’un privilège de juridiction est toujours soumis à une conditionnalité qui en limite les effets. Il en est ainsi du député appréhendé en flagrant délit, du militaire de la gendarmerie auteur d’un délit dans le cadre de la police judiciaire, du ministre agissant en dehors de l’exercice de ses fonctions.


Ces quelques exemples montrent que le législateur agit toujours sur la compétence matérielle des juridictions pour fixer des limites au bénéfice d’une immunité où d’un privilège de juridiction. La seule exception qui existe est au bénéfice du Chef de l’Etat, à l’égard de qui la Haute Cour de Justice a une compétence exclusive, parce que l’immunité dont il bénéficie est destinée à protéger la fonction présidentielle à travers sa personne.


La phase de l’orientation du dossier est d’une importance certaine, parce que toute erreur sur la compétence matérielle ou sur la compétence personnelle aboutit à la nullité pour excès de pouvoir, de tous les actes et de toutes les décisions.


La compétence est d’ordre public et d’intérêt général en matière pénale (R.Garreaud Traité théorique et pratique d’instruction criminelle Sirey, t. 3 page 423) et, pour cause, l’on peut dire que les dispositions de l’article 7 sont superfétatoires parceque’elles n’ont aucune valeur commutative sur les textes législatifs qui définissent la compétence personnelle et matérielle de telle ou telle juridiction, a fortiori sur des dispositions constitutionnelles comme celles de l’article 101 qui définissent les compétences de la Haute Cour de Justice.


Aussi le procureur spécial a-t-il l’obligation au cas où la réalité du délit d’enrichissement illicite serait  établie, de se livrer à un examen, non seulement du contexte dans lequel l’acte délictuel a été commis mais aussi de la nature de l’acte lui-même, pour vérifier s’il s’inscrit dans le cadre de « l’exercice des fonctions du ministre ».


La vérité est que dans le cas du délit d’enrichissement illicite, la charge de la preuve incombe au prévenu, et par conséquent, il lui appartient de prouver que les faits incriminés ont bien eu lieu «  dans l’exercice des fonctions  de ministre », étant entendu que les fonctions de ministre ont été expressément définies par le législateur.


En effet, la Constitution du 7 Janvier 2001 qui a été adoptée par référendum, laisse apparaître en ses articles 42alinéa 5, 49 alinéa 2, 52 alinéa


2-3, que le Président de la République détermine la politique de la Nation ; tandis que les ministres dont il fixe les attributions, ont pour fonction de conduire et de coordonner ladite politique.


Par conséquent, les « actes accomplis dans l’exercice des fonctions » dont parle l’article 101 alinéa 2 doivent être identifiés sous l’éclairage des dispositions citées ci- dessus. Le système d’incrimination en droit pénal doit demeurer un système objectif dominé par le principe de légalité, à défaut de quoi il n’y aurait plus de borne à l’arbitraire. En tout cas, c’est la seule façon de procéder qui répond aux exigences des articles 4 du code pénal, 9 de la Constitution et 7 de la Charte Africaine de Droits de l’Homme.


Dès lors, rien n’empêche d’emprunter la précision qui a été faite à ce sujet et selon laquelle « les infractions commises par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions sont celles qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l’Etat, à l’exclusion des actes commis à l’occasion de l’exercice des fonctions ministérielles » (crime 6 Février 1997, B.C n° 48 ; crime 26 Juin 1995, B.C n°235 ; crime 16 Février 2000, B.C n° 72).


Dans le cas qui nous préoccupe, la ratio légis, c'est-à-dire la volonté déclarée du législateur est en conformité avec l’esprit de la loi. Et, pour s’en convaincre, il suffit d’examiner tant soit peu «  l’exposé des motifs » de la loi sur l’enrichissement illicite, pour constater que le législateur a été déterminé par la volonté «  de faire rechercher et de faire poursuivre avec sévérité, ceux qui ont pu abuser de leur qualité et de leurs fonctions, pour s’enrichir rapidement, en commettant sous des formes diverses, des actes illicites préjudiciables à l’économie nationale ».


La loi étant la limite de l’intime conviction du juge, celui-ci ne doit pas s’écarter d’un texte dont le sens est clair et reflète exactement  l’intention du législateur ; c’est la règle ubi   lex voluit dixit, ubi noluit tacuit (quand la loi a voulu quelque chose elle l’a dit, quand elle ne l’a pas voulu elle s’est tue).


Pour ce qui concerne le renversement de la charge de la preuve,  qui fait dire que la procédure devant la cour de repression de l’enrichissement illicite est inique, il pourrait être rappelé que le délit d’enrichissement illicite a été créé pour enrayer la recrudescence de la criminalité financière, par la mise en place d’une procédure capable de lutter contre les actes illicites qui échappent aux corps de contrôle grâce à leur caractère insidieux. Pour toute justification, il pourrait être invoqué « l’état de nécessité ». Mais au-delà de ce concept, la sociologie et la philosophie du droit, fournissent suffisamment d’éléments justificatifs.


Le propre des incriminations légales est d’être fluctuantes selon les époques, les nations, les groupes sociaux, et même selon les circonstances. C’est pourquoi, il peut être constaté que partout dans le monde, les législations pénales sont soumises à des variations dans le temps et dans l’espace. En France et ailleurs en occident, la sorcellerie qui conduisait inéluctablement au bûcher, l’adultère et l’homosexualité ne figurent plus dans leur législation pénale. Cela illustre les propos de J. Maxwell selon lesquels «  le jugement porté sur la moralité des actes est le résultat des conditions particulières de l’évolution de chaque société et non l’expression d’une loi générale qui gouverne l’humanité ». C’est pour dire que l’idée d’iniquité reste une altérité dés lors qu’il est établi que la loi incriminée est l’expression de la volonté des populations concernées. Or il est constant que la loi sur l’enrichissement illicite puise sa force obligatoire de l’opinio juris seu nécessitatis.


De ce point de vue, il est communément admis que même dans une société à l’état primitif, un acte devient juridiquement valide dés lors qu’existe le sentiment que le groupe tout entier réagirait, si la norme qu’il introduit était violée.


A tout prendre, si selon Aristote l’équité est une forme supérieure de Justice, pourrait-on reprocher à un jeune Etat dont l’économie reste à consolider, et où la plupart des populations ont des problèmes de subsistance, de combattre avec la vigueur qui sied les actes préjudiciables à l’économie de la Nation ; alors qu’ailleurs il est admis que des pays dits développés montent en guerre contre les atteintes à la « qualité de vie » de leurs populations..


En tout état de cause il est patent qu’aucune action en justice ne peut être victorieusement soutenue contre la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite. A preuve, pour répondre à son opinion publique, le législateur français a porté une entorse grave au principe fondamental de la non rétroactivité de la loi pénale, en rendant la loi constitutionnelle du 4 Août 1995, créant l’article 68-3 qui prévoit que la Cour de Justice de la République est compétente pour les faits commis avant sa création. Il appartient donc à la cour de répression de l’enrichissement illicite de demeurer sur le chemin tracé par la loi. Sous ce regard, il ne serait pas excessif d’inviter à se rappeler la réponse du guerrier au moraliste : « VIVRE D’ABORD ».


Souleymane NDIAYE


Docteur en Droit et Sciences criminelles

 



2 Commentaires

  1. Auteur

    Pedant

    En Janvier, 2013 (13:04 PM)
    Vous etes tellement pedant que personne ne peut comprendre ce que vous dites. Ce qui lisent Seneweb ne sont pas tous des juristes. Je vous ai lu du debut a la fin, je n'ai aucune idee de ce que vous voulez dire.
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  2. Auteur

    Mnla

    En Janvier, 2013 (09:07 AM)
    ENquêtez sur l'immeuble en construction de l'ex ministre Nafi Diouf Ngom au point e-enface di CICICR
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