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Lettre amicale à Monsieur le Ministre Kalidou Diallo ( Par Mody Niang )

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Lettre amicale à Monsieur le Ministre Kalidou Diallo ( Par Mody Niang )

C’est par respect que je vous ai appelé Monsieur le Ministre. En réalité, c’est à l’ancien instituteur, à l’ancien syndicaliste et au pédagogue plus qu’à l’homme politique que je m’adresse. J’ai moi-même ôté mes habits d’opposant pour revêtir ceux du vieil enseignant, qui a été tour à tour instituteur, professeur, inspecteur d’enseignement. Un enseignant qui, comme vous, a vécu intensément quelques grands moments de l’école sénégalaise, en particulier les États généraux de l’Éducation et de la Formation (Égef). D’ailleurs, pour éviter tout amalgame, toute polémique politique stérile, j’ai changé, la mort dans l’âme, le premier titre de ce texte1.

Mon cher collègue, la première fois que je vous ai entendu rendre publique cette idée de supprimer le concours d’entrée en 6ème, je me suis dit que ce n’était là qu’une intention, qu’un projet qui allait faire l’objet d’une large concertation regroupant les acteurs les plus avertis de l’école sénégalaise. Grande a été donc ma surprise de constater que 96 % des candidats au concours d’entrée en 6ème de l’année scolaire 2010-2011 ont été déclarés admis ! En d’autres termes, un flot de 186730 élèves vont accéder, comme par enchantement, à l’enseignement moyen. On peut d’ores et déjà penser à une suppression de fait du concours.

Mon cher collègue, votre décision peut être lourde, très lourde de conséquences. Elle ne tient surtout pas compte de l’expérience. Nous étions en droit d’espérer, en effet, qu’au lendemain d’importantes rencontres avec les partenaires de l’école sénégalaises dont les conclusions étaient sans équivoque, vous alliez descendre de votre piédestal et devenir plus réaliste.

Je rappelle qu’à l’occasion de la préparation, en juin dernier, d’une « Stratégie de développement de l’Enseignement supérieur (…) », vous avez été obligé, la mort dans l’âme, et à la suite de deux fonctionnaires de la Banque mondiale qui n’ont pas été tendres avec notre université, de reconnaître que « l’efficacité interne et externe des systèmes d’éducation et de formation est peu satisfaisante ». Inefficacité qui se matérialise, selon vous, par « les taux d’abandon et de redoublement encore élevés ». « Ce qui, poursuiviez-vous, en plus de constituer un énorme gaspillage de ressources, impacte très négativement sur les taux d’achèvement au niveau des différents cycles et particulièrement au primaire ». Vous ne vous arrêtiez pas en si bon chemin d’ailleurs et avouiez que « l’offre de formation professionnelle est encore limitée, avec un niveau d’insertion des diplômés assez faible (…) ».

L’ouverture d’une autre rencontre, la 9ème Revue annuelle du Pdef – tenue les 26-27-28 avril 2010 à Ngor Diarama – donna l’occasion au Premier ministre d’aller lui aussi à Canossa. Il reconnaît humblement qu’« en dépit des efforts financiers appréciables du Gouvernement et de ses partenaires, les résultats obtenus sont encore en deçà de nos attentes » car, « les évaluations révèlent encore des difficultés réelles, qui ralentissent ou freinent le processus de développement du secteur à tous les niveaux ». Et, parmi ces difficultés, il met particulièrement l’accent sur la lenteur dans la construction et l’équipement des salles de classe qui entraînent la persistance des abris provisoires à tous les niveaux (plus de 21% en 2009), les taux d’abandon et de redoublement encore très élevés, etc. En somme, il reprend mot pour mot les insuffisances notoires dont vous avez fait état un peu plus haut.

Mon cher collègue, à l’occasion des journées pédagogiques de l’Association des professeurs de français du Sénégal (Aspf) tenues les 28 et 29 avril 2010 à la Place du Souvenir africain, le président Baytir Ka attirait votre attention sur un autre mal de notre système éducatif. Il révélait qu’au cours de ces dernières années, « plus de 80 % des candidats au Bfem ont zéro en dictée et (que) très peu réussissent leur épreuve de dissertation ». Et il invitait gravement ses collègues à réfléchir sérieusement sur leurs méthodes, leurs contraintes et leurs erreurs. Notre collègue a parfaitement raison et, dans une contribution parue à « Sud quotidien » du 11 juin 2010, je le confortais en ces termes: « Et il a raison de s’inquiéter : nos élèves sont faibles, très faibles en français. Ils le sont pratiquement partout ailleurs puisque cette discipline est transversale. Ils sont faibles, pour l’essentiel, parce leurs maîtres le sont aussi tout autant, pour nombre d’entre eux. »2

Mon cher collègue, ce diagnostic sans complaisance de notre système éducatif, fait par des partenaires que personne ne peut raisonnablement suspecter de parti pris, devrait donc vous inciter à conduire une réflexion concertée autour de remèdes efficaces et durables. Au lieu de cela, vous donnez l’impression d’ignorer toute cette dure réalité et de foncer, tête baissée, comme on le fait souvent dans la gouvernance libérale. Votre décision précipitée et difficilement compréhensible pose sérieusement problème. Elle inquiète de nombreux acteurs de l’école sénégalaise. Vous l’expliquez, notamment, par la Loi d’orientation qui rend obligatoire l’éducation jusqu’à 16 ans, soit dix ans d’études. Il s’agit, il convient de le rappeler, de la Loi 91.22 du 16 février 1991, portant orientation de l’éducation nationale et ayant pour base les propositions de la Commission nationale de Réforme de l’Éducation et de la Formation (Cnref) acceptées par le Gouvernement.une recommandation : l’obligation scolaire de 10 ans.

Mon cher collègue, vous avez pris une part active, en tant que membre du glorieux Syndicat unique et démocratique des Enseignants du Sénégal (Sudes), aux États généraux de l’Éducation et de la Formation (Égef), organisés sur l’initiative du tout nouveau président de la République du Sénégal, les 28-29-30 et 31 janvier 1981. C’est dans le cadre de ces importantes rencontres qu’a été créée, par décret n° 81-644 du 6 juillet 1981, la Cnref. L’obligation scolaire de 16 ans n’est donc pas tombée du ciel. Elle était subordonnée à un certain nombre de préalables qu’il convient de rappeler rapidement. Vous vous souvenez que, pendant quatre jours et sans désemparer, l’école sénégalaise fut auscultée sans complaisance. Le diagnostic était unanime et formel : elle était malade, bien malade et ne répondait plus aux attentes placées en elle. Il fallait la réformer de fond en comble, il fallait bâtir une École nouvelle. La Cnref avait justement pour mission de jeter les bases de cette École nouvelle. Celle-ci reposait, pour nous résumer, sur des innovations majeures, parmi lesquelles l’Enseignement polyvalent et l’introduction des langues nationales comme langues d’enseignement à côté du français.

L’Enseignement polyvalent avait pour objectif de réaliser la liaison entre la théorie et la pratique, l’école et la vie, l’enseignement et la production par l’association de l’étude au travail productif. En d’autres termes, l’Enseignement polyvalent devait assurer la réconciliation du travail intellectuel et du travail manuel et préparer, partant, les jeunes élèves à devenir des producteurs qualifiés aptes à contribuer efficacement au développement national. Il devait être donné en 10 ans aux enfants âgés de 6 à 16 ans et comprendre quatre étapes que nous ne pouvons malheureusement pas développer dans ce texte qui serait trop long.

L’introduction et la généralisation des langues nationales étaient aussi une recommandation majeure des Égef. La pratique d’une langue étrangère que l’écrasante majorité des élèves ne parlent pour la première fois que lorsqu’ils franchissent le seuil de l’école française explique, pour une large part, les obstacles qu’ils rencontrent au début de leur scolarité, notamment les importantes déperditions (redoublements et exclusions dès le cours d’initiation et le cour préparatoire). La langue nationale est le véhicule d’une culture, d’une civilisation. Elle est seule apte à promouvoir de façon authentique le génie créateur d’un peuple ainsi que sa personnalité culturelle.

C’est dans ce contexte, mon cher collègue, que je ne peux malheureusement pas détailler ici, que l’obligation scolaire de dix ans devrait trouver son application. Si la décision de supprimer le concours d’entrée en 6ème s’inscrit dans cette perspective, elle n’est vraiment pas bien inspirée et va entraîner de très lourdes conséquences pour notre enseignement moyen.

Celui-ci était déjà  très mal en point avec les élèves issus du concours d’entrée en 6ème qui y accédaient. Il était confronté aussi bien à de sérieux problèmes de locaux, d’enseignants que de fournitures et d’équipements divers. Point n’est besoin de s’appesantir sur cette triste réalité : il suffit de lire la presse, d’écouter les radios privées, de suivre le journal parlé de 20 heures de Walf Tv ou d’interroger nos collègues du terrain. Qu’adviendra-t-il alors de nos pauvres collèges, s’ils doivent accueillir précipitamment un flot de 186730 élèves ? Nombre de ces pauvres élèves, démunis en tout point de vue vont étouffer, pour l’essentiel, dans de piteux abris provisoires, à 90 ou à 100 par classe. D’autres devront squatter les écoles élémentaires et étudier par la méthode traditionnelle et controversée du double flux. Tous se retrouveront enfin devant des bacheliers fraîchement nantis de leurs parchemins, et qui seront mal à l’aise dans toutes les disciplines

Des acteurs de l’école sénégalaise bien avertis révèlent que nombre de ces élèves – nous le savions déjà –, ne savent pas lire couramment. Ils se retrouveront naturellement en fin d’année scolaire avec des moyennes très faibles. Avec le flot qui va suivre en octobre 2011, il ne sera pas question de les redoubler, encore moins de les exclure avec l’obligation scolaire. Tous seront donc poussés en classe supérieure. Ils arriveront ainsi en troisième, devant une autre barrière : le Brevet de fin d’études moyennes (Bfem) ou au moins la moyenne pour passer en classe de seconde.

Mon cher collègue, vous ferez alors face aux mêmes problèmes que vous vouliez résoudre en décrétant 96 % d’admis au concours d’entrée en 6ème de l’année scolaire 2009-2010. Quelle mesure prendre alors devant tant d’élèves qui n‘auront manifestement pas le niveau d’accéder en classe de seconde ? Décréter une autre mesure pour les pousser quand même en classe supérieure, ce qui serait une catastrophe pour l’enseignement secondaire ? Les exclure purement et simplement ? C’est cette deuxième hypothèse qui va sûrement s’imposer, puisque l’obligation scolaire aura été respectée. Et vous aurez fait perdre, mon cher collègue, quatre précieuses années à ces pauvres jeunes Sénégalais, qui auraient pu consacrer tout ce temps à l’apprentissage d’un métier !

Voilà donc où va nous mener, mon cher collègue, votre décision ! Décision qui devrait faire l’objet d’une large concertation entre tous les acteurs de l’école avant d’être appliquée, dans au moins cinq ans. Elle aura été mal inspirée, si elle n’a pour objectif que de faire plaisir à l’homme qui nous dirige et de permettre à des gens comme Mamadou Diop Decroix et compagnie, de brandir les fameux 96 % comme un trophée de guerre, comparé aux maigres 30 à 40 % « du temps des socialistes ». Elle est surtout une prime à la médiocrité, dont notre système éducatif déjà mal en point se passerait volontiers.


L’éducation n’est pas seulement une affaire de chiffres. Elle est surtout une affaire de qualité, qui est l’objectif final de l’essentiel de ses actions. Malgré tout le respect que je vous dois, mon cher collègue, votre décision, qui est une suppression de fait du concours d’entrée en 6ème, est grosse de dangers. On peut raisonnablement la comparer à celle d’un médecin qui, recevant en urgence un malade, lui transfuse du glucose pour le tirer de son coma diabétique. Avec cette décision précipitée et unilatérale, notre enseignement court le même risque que ce pauvre malade, qui n’a pratiquement aucune chance de s’en sortir.

MODY NIANG, e-mail : [email protected]



3 Commentaires

  1. Auteur

    Gor Yalla

    En Novembre, 2010 (11:45 AM)
    Cmouss ba yangui tané je te souhaite un bon retablissement
  2. Auteur

    Picso

    En Novembre, 2010 (12:19 PM)
    Belle leçon! tous les ministres actuels de wade et chef de service doivent subir des formations de recyclage! tous nul!!!
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    Auteur

    Matrix

    En Novembre, 2010 (12:23 PM)
    Deugiiiit wakhatina deug

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