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La politique africaine de Barack Obama: quel héritage?

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Barack Obama devant le Parlement ghanéen, le 11 juillet 2009. © (Photo : Reuters)

Les Africains reprochent à Barack Obama de ne pas s’être davantage impliqué dans les questions africaines pour en faire l’une des priorités de la politique étrangère américaine. Toutefois, le bilan de la politique africaine du premier président américain noir n’est peut-être pas aussi négatif qu’on ne le dit. Ses échecs en matière de promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance ont été contrebalancés par des initiatives majeures favorisant le commerce et le partenariat économique est susceptible d’avoir un impact positif sur le continent.

L’élection en 2008 du premier président noir aux Etats-Unis avait suscité, on s’en souvient, une vague d’enthousiasme à travers l’ensemble du continent africain. Au Kenya, pays où est né le père de Barack Obama, les autorités avaient même salué cet évènement historique en déclarant férié le jeudi 6 novembre, jour de l’élection de ce fils métis d’un Kényan. L’Afrique espérait que cette élection inédite se traduirait par un engagement accru des Etats-Unis dans le continent. D’autant que le président élu entretenait des liens forts avec le pays de son père où il s’était rendu à deux reprises lorsqu’il travaillait pour le Sénat. Dans son livre Les Rêves de mon père (éd. Presses de la Cité, 2008) qu’il avait fait paraître avant son accession à la présidence, Obama n’avait-il pas évoqué avec émotion et lucidité ses séjours africains ainsi que la contribution de l’Afrique dans son devenir intellectuel ?

Huit ans après, l’enthousiasme a cédé la place à la déception. Au moment où nous établissons le bilan africain des années Obama avant l’arrivée d’un nouveau locataire à la Maison Blanche, le président sortant est accusé d’avoir « négligé » l’Afrique. Pire encore, les deux mandats du président sortant semblent coïncider aux yeux des Africains avec le déclin de l’engagement de la première puissance mondiale dans leur continent. Ce sentiment d’abandon a été résumé par l’homme d’affaires et philanthrope soudanais Mo Ibrahim qui déclarait dès 2013, « ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est à un retrait progressif mais continu des Etats-Unis en Afrique. Pour nous, c’est d’autant plus déconcertant que cela se passe alors même qu’un fils de notre continent est à la Maison Blanche ».

Atermoiements

La déception des Africains était particulièrement forte à la fin du premier mandat de Barack Obama. Ce dernier a en effet tardé à s’engager dans une région qui n’a jamais été au cœur des intérêts américains, préférant s’investir dans l’Asie-Pacifique où se joue une grande partie de l’avenir économique du monde.

Contraint par ailleurs sur le plan domestique de concentrer toute son énergie sur le combat contre le chômage qui frôlait 10% à la fin des années 2000 et sur la restructuration de l’économie américaine prise dans le tourbillon de la crise financière mondiale, le président Obama a dû attendre le début de son second mandat, pour effectuer sa première véritable tournée en Afrique, au Sénégal, en Tanzanie et en Afrique du Sud. Ses passages en Egypte et au Ghana durant son premier mandat étaient essentiellement des escales symboliques, riches en discours et pauvres en initiatives réelles. C’est au cours de son bref voyage au Ghana que Obama avait déclaré que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, elle a besoin d’institutions fortes ». Cela n’a pas empêché l’administration Obama de conclure des partenariats de sécurité avec un certain nombre d’Etats autoritaires tels que l’Ethiopie, l’Ouganda ou le Rwanda, minant la crédibilité du discours américain en faveur de la bonne gouvernance et la démocratie.

Rappelons que si les atermoiements de la politique africaine de Barack Obama pendant son premier mandat ont été sévèrement jugés par les Africains, c’est aussi parce qu’ils étaient comparés aux initiatives majeures lancées en Afrique par ses prédécesseurs immédiats. Clinton, mais aussi Bush - pour aussi paradoxal que cela puisse paraître – sont crédités d’avoir renforcé l’engagement américain dans la région subsaharienne tant sur le plan sécuritaire que sur celui de l’humanitaire.

Sous la présidence Bush, l’aide des Etats-Unis aux Etats de l’Afrique subsaharienne a été multipliée par quatre, passant de 1,4 milliard de dollars en 2002 à 8,1 milliards en 2010 (1). Le nom de ce président texan, plus connu pour ses initiatives guerrières aux conséquences tragiques que pour ses élans humanitaires, est étroitement lié au programme Pepfar (President’s Emergency Plan for Aids Relief), qui est un plan d’aide d’urgence contre le virus du sida, et au fond de développement Millenium Challenge Corporation (MCC) dont près de 60% des déboursements entre 2004 et 2010 ont bénéficié aux pays africains. Le Pepfar a sauvé des millions de vies en Afrique en mettant les malades du sida sous antirétroviraux.

Quant à Bill Clinton, il est à l’origine de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), une loi votée en 2000 permettant d’ouvrir sans contrepartie le marché américain à une liste de marchandises en provenance des pays africains. Enfin, la lutte contre le terrorisme oblige, les deux présidences participèrent aussi au renforcement des engagements américains en Afrique en matière de sécurité, aboutissant à la création par Bush en 2007 d’un commandement militaire pour l’Afrique (Africom).

Changer de paradigme

C’est à l’aune des actions de ses prédécesseurs que la politique africaine de Barack Obama a été jugée à ses débuts. Or, avec les Etats-Unis empêtrés dans des difficultés économiques graves lorsque Obama a pris ses fonctions en 2009, le nouveau locataire de la Maison Blanche ne disposait ni de marge de manœuvre politique ni de ressources financières pour développer de nouvelles initiatives pour l’Afrique. Il a été même contraint de réduire de plusieurs centaines de millions de dollars le financement des programmes d’aide mises en place sous Bush.

Par ailleurs, il ne voulait pas passer pour un « angry Black man » (un homme noir en colère) pour éviter de nourrir les accusations racistes infondées (il était notamment accusé par le camp républicain d’être né au Kenya et d’être d’obédience musulmane) dont il a longtemps fait l’objet. Il a dû donc attendre le deuxième mandat pour avoir enfin les mains libres, moins liées par les impératifs de sa réélection, pour s’aventurer sur le terrain africain, mais selon ses propres termes.

Ces termes, Barack Obama les avait définis dans les discours-programmes qu’il avait prononcés lors de ses passages en Afrique. « Je ne vois pas les pays et les peuples d’Afrique comme des mondes lointains. Je vois l’Afrique comme partie fondamentale de notre monde interconnecté, comme un partenaire de l’Amérique dans la perspective du monde que nous voulons pour nos enfants », avait-il déclaré à Accra en 2009, devant le parlement ghanéen.

L'ambition empreinte à la fois d’idéalisme et de pragmatisme qui dégage de ces phrases, constitue le véritable soubassement des projets lancés par l’administration Obama entre 2013 et 2015, dont les principaux sont « Feed Africa » qui devait promouvoir l’autosuffisance alimentaire, « Trade Africa », destiné à faciliter les exportations africaines vers de nouveaux marchés et surtout « Power Africa », projet phare censé doubler l’accès à l’électricité en Afrique pour atteindre 300 000 mégawatts à l’horizon 2030. Des projets à long terme qui pourraient changer, croit-on, le visage du continent, si le financement prévu suit.

Surtout, ces initiatives constituent une rupture par rapport à ce qui se faisait avant, en substituant à la traditionnelle politique américaine axée sur l’aide, un partenariat économique plus égalitaire. Selon Alex Vines, analyste à la Chatham House à Londres, en mettant l’accent sur le commerce et l’entrepreneuriat privé, le président sortant a changé le paradigme des relations entre l’Afrique et les Etats-Unis. A l’appui de sa thèse, le chercheur cite le succès rencontré par l’US-Africa Business Forum dont la seconde édition s’est tenue à New York en septembre 2016 en marge du sommet des chefs d'Etats africains et qui a réuni une centaine de grands patrons d’entreprises africaines et américaines. Rappelant que les entrepreneurs ont commencé à prendre l’Afrique plus au sérieux, Vines écrit dans un commentaire publié sur le site de Chatham House : « Mettre l’accent sur les opportunités de business qu’offre l’Afrique est peut-être l’héritage clé des années Obama, au même titre que l’AGOA a été pour Bill Clinton, le Pepfar et l’Africom pour George Bush ».

L'héritage de Barack Obama est aussi politique, un héritage politique basé sur une vision résolument moderne et démocratique de l'Afrique. Cette vision est incarnée essentiellement par les discours passionés qu'il a prononcés en Afrique à chacun de ses passages, captant l'imagination de toutes les générations, mais en particulier celle de la jeunesse qui s'est reconnue dans ses appels aux Africains à prendre leur destin en main. Pour cette jeunesse africaine, Obama reste un modèle de l'homme politique  dont la capacité d'attraction reste entière malgré ses échecs et ses défaillances.   

(1) A. Arieff et alii, US Foreign assistance to Sub-Saharan Africa : the FY 2012 Request, Congressional Research Service, Washington, DC, septembre 2002.



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