Comme tous les sénégalais, j'ai suivi attentivement l'interview que le Premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko a accordé à la télévision nationale publique du Burkina Faso durant sa visite au pays de Thomas Sankara. Contrairement à lui, la série qui me faisait éclater de rire était les Bobodiouf avec les fameux Siriki et Souké.
Plus sérieusement sur les questions d'intégration, de panafricanisme, de la géopolitique, il y a beaucoup à dire et à redire. Premièrement sur l'unité africaine, je suis d'accord avec lui sur le fait qu'il y peut y exister des divergences entre les dirigeants mais les peuples eux doivent s'unir (Cedeao-AES). Concernant le panafricanisme, malgré que le président du parti Pastef n'a pas précisé auquel il faisait référence. Cependant vu le contexte ou il tenait ces propos, il est plus logique de penser qu’il penchait plus à celui de Nathalie Yamb, de Kemi Séba... Je ne bois pas de ce Panafricanisme réactionnaire qui est exclusionniste et rabougrie. Notre panafricanisme est celui des pères fondateurs de l’Organisation de l’Union africaine: Kwame Nkrumah, de Julius Nyerere, de Léopold Sédar Senghor… Il est ouvert à tous les vents du monde. Faudrait-il rappeler à ces chantres du panafricanisme 2.0 que ce mouvement naquit dans les Caraïbes avec Marcus Garvey, W.E.B Du Bois... avant de débarquer en Afrique.
Le deuxième point c'est sur la sortie des pays membres de l'Alliance des États du Sahel. Ousmane Sonko a raison sur le fait qu'il ya eu des erreurs diplomatiques comme les sanctions économiques à l'encontre du Mali. Suite aux deux coups d’Etat militaires qui se sont déroulés en moins d’un an au Mali entre 2020 et 2021, la CEDEAO (Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest) a sanctionné la junte au pouvoir. Ces sanctions ont affecté les populations sans infléchir la position de la junte. Elles ont également entraîné des conséquences dévastatrices sur la population en général, et en particulier les populations vivant dans les zones de conflits et les personnes déplacées. Les effets de l’embargo étaient visibles dans tous les secteurs de l’économie malienne,
Mais faudrait-il rafraîchir la mémoire de beaucoup de pourfendeurs de la Cedeao que si nous en sommes là c'est également en partie à cause des putschistes. Ces derniers avaient justifié leur prise de pouvoir par l’insécurité grandissante et généralisée, matérialisée par des attaques djihadistes dans plusieurs régions du pays à l’époque mais nullement de rester au pouvoir indéfiniment comme le souligne leur calendrier. Une petite chronologie s’impose. Les faits rien que les faits afin que nul n’en ignore.
Le 18 août 2020, lorsque le Coup d’État contre Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est renversé par une junte, des sanctions immédiates sont tombées comme la suspension du Mali de tous les organes de décision de la Cedeao et de l’Union africaine et gel des flux économiques et financiers. Toutefois, Le 15 septembre 2020, l’organe régional lève une partie des sanctions après la désignation d’un président civil en la personne de Bah N’Daw pour diriger la transition.
Le 24 mai 2021, un deuxième coup d’État de Assimi Goïta écarte le président et le Premier ministre de transition ce qui automatiquement suspend le Mali de toutes les instances. Et il faut noter qu’il y’a pas eu de sanctions économiques immédiates, mais des mises en garde contre tout retard dans la transition.
Le 9 janvier 2022, la Cedeao prend des sanctions sévères après le refus d’un calendrier électoral acceptable qui repousse les élections à 5 ans et demi. Les Sanctions décidées à Accra par les chefs d’État de la Cedeao incluent la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre le Mali et les pays de la Cedeao, le gel des avoirs de l'État malien dans les banques centrales de la Cedeao, la suspension des transactions économiques et financières, à l’exception des produits de première nécessité… Il faut comprendre que le Mali importe 70% de sa consommation vivrière. En retour, il exporte certains minerais dont l’or, du coton et du bétail.
Le 3 juillet 2022, suite à la présentation par les autorités maliennes d’un nouveau calendrier (élections présidentielles prévues pour février 2024), malgré que le Mali Maintien reste suspendu des organes de la CEDEAO), les mesures sont levées telles les sanctions économiques et financières et les frontières sont rouvertes.
Le 28 janvier 2024, la CEDEAO est préoccupée par la rupture du calendrier électoral car le l’élection présidentielle initialement prévue pour février 2024 est reportée indéfiniment. Cette temporalité montre clairement que les responsabilités sont partagées. Par conséquent, il est plus facile dans un contexte d’exigence de “souverainisme” des peuples, de mettre tout sur le dos de la Cedeao afin de dédouaner les putschistes qui seraient des immaculés et des saintes nitouches. Malheureusement les faits sont têtus. Le non-respect des engagements des militaires au pouvoir et leur bafouement des textes communautaires (protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance), nous ont menés ici, le nier c’est nier l’histoire.
Le troisième et dernier point est une autre erreur diplomatique qui je pense a été fatale à l'institution régionale est la menace de recourir à la force militaire pour mettre fin au coup d'État au Niger en 2023. Cette menace a provoqué d'importantes divisions dans la région de l’Afrique de l’Ouest et au-delà. De plus en plus, elle s’est heurté à une forte opposition au Niger et dans les autres pays de la région. Des pays voisins du Niger qui n'appartiennent pas à la Cedeao, comme le Tchad et l'Algérie, se sont opposés à l'usage de la force.
Au Sénégal, à l’époque cette potentielle intervention militaire de la Cédéao était loin de faire l’unanimité est c’est un euphémisme. Plusieurs tribunes ont été publiées pour s’y opposer. Au total, plus de 170 personnalités politiques et de la société civile ont signé une tribune. Parmi eux, on peut citer les écrivains Felwin Sarr et Boubacar Boris Diop, les acteurs politiques Mamadou Lamine Diallo, l’ancienne Première ministre Aminata Touré ou le député, Thierno Alassane Sall. Sans oublier les personnalités de la société civile comme Birahim Seck, coordinateur de Transparency international à Dakar ou le soixante huitard, Mamadou Mao Wane, sociologue et éditorialiste entre autres…
Mais pour la Cedeao le coup d’Etat, le 26 juillet 2023, était celui de trop pour paraphraser Aïssata Tall Sall, ministre des Affaires étrangères du Sénégal au moment des faits. Cette réaction outrée de celle qui représentait la diplomatie sénégalaise est compréhensible d’autant plus que, le président du Niger qui venait d'être déposé par les militaires n’avait pas terminé son mandat et était en pleine réforme. Les militaires putschistes du Niger, eux selon leur leader et général Abdourahamane Tiani, le chef de la garde présidentielle, avaient pour “ seule” motivation de “de préserver le Niger”.
La suite des événements a mené au coup de tonnerre diplomatique que nous connaissons. Le 28 janvier 2024, le Mali, le Burkina Faso et le Niger annoncent leur retrait de la CEDEAO et fondent sur les fonds baptismaux le 16 septembre 2023, l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Aujourd’hui il y a un concours malsain entre les chefs des transitions pour savoir qui saura le mieux restreindre les droits et libertés. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les partis politiques sont dissous, la liberté d’expression et la liberté de presse sont criminalisées et la souveraineté politique est niée. Assiste-t-on avec impuissance à la naissance d’un nouveau syndicat des chefs d’États autoritaires en Afrique de l’Ouest ?
Abdou Aziz Cissé, activiste et chargé de plaidoyer à AfricTivistes
Auteur: Abdou Aziz Cissé | Publié le: dimanche 25 mai 2025
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