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La mort dans l’attente : l’inhumanité au cœur des urgences sénégalaises (Par Adama Ndiaye)

Auteur: Adama NDIAYE

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Le système de santé sénégalais est malade. Malade de décennies de politiques publiques inadaptées, de moyens limités, d’un déficit criant en spécialisation et de déserts médicaux qui laissent des zones entières à l’abandon. Mais sa plus grande tare, celle qui ronge son essence même, est incontestablement sa déshumanisation. L’affaire tragique d’Abdallah Dramé, jeune victime de l’indifférence hospitalière, en est la dernière et scandaleuse illustration.
Le 7 juin 2025, Abdallah Dramé, un jeune d’une vingtaine d’années, est violemment percuté par un véhicule. Grièvement blessé – clavicule brisée, cheville fracturée, hanche disloquée –, il est conduit d’urgence à l’Hôpital Principal de Dakar. Ce qui aurait dû être une prise en charge vitale tourne au cauchemar, d’après ses proches. Pendant quatre jours, Abdallah est laissé à l’agonie, sans soins adéquats. Selon sa famille, le personnel infirmier, insensible à ses cris, aurait minimisé son état. Ce retard fatal lui coûte la vie. Sa famille, dévastée, dénonce une négligence criminelle et un système de santé à l’agonie mais surtout déshumanisé. Relayée sur les réseaux sociaux, l’affaire ravive l’indignation face à l’état désastreux des urgences hospitalières au Sénégal.
Ce drame fait écho à une autre tragédie, celle d’Astou Sokhna, survenue le 7 avril 2022 à l’hôpital Amadou Sakhir Mbaye de Louga. Astou Sokhna, âgée d’une trentaine d’années, mariée et enceinte de neuf mois, est admise pour accoucher. En proie à d’intenses douleurs, elle réclame une césarienne pendant une vingtaine d’heures, mais le personnel soignant refuse, arguant que l’opération n’était pas prévue, et menace même de la chasser si elle insiste. Après une longue agonie, Astou décède, ainsi que son bébé. Selon son mari, Modou Mboup, elle n’a reçu qu’une perfusion entre son admission à 9h30 et son décès à 5h00. Cette négligence a suscité une vague d’indignation nationale. 
Ces drames, par leur issue fatale, ne sont que la partie visible de l’iceberg. Combien de Sénégalais ont subi le mépris, la morgue ou l’indifférence dans les services de santé ? Dans certains accueils hospitaliers, souvent débordés il est vrai, les patients sont traités comme des importuns. On en vient à se demander si le personnel, y compris certains soignants, mesure la portée de leur mission. Être au service de la santé publique, c’est avant tout un sacerdoce, une vocation qui exige humanité et compassion.
Les témoignages de la famille d’Abdallah Dramé sont déchirants. À la douleur de perdre un proche s’ajoute l’amertume d’avoir été confronté à l’indifférence d’un corps médical censé soigner et rassurer. Certes, le burn-out et l’épuisement émotionnel, fréquents chez les soignants, peuvent expliquer une baisse d’empathie. Les horaires exténuants, les tâches administratives écrasantes et le nombre élevé de patients laissent peu de place à la compassion. Mais loin de minorer cette réalité, le corps médical doit faire son introspection. Il doit améliorer son accueil, revoir ses pratiques et, surtout, ramener l’humain au centre de tout.
La déshumanisation du système de santé sénégalais est un mal profond. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter les budgets ou de construire des hôpitaux. Il faut réinjecter de l’humanité dans les soins, former le personnel à l’écoute, sanctionner les négligences et redonner au métier de soignant sa noblesse. Car derrière chaque patient, il y a une vie, une famille, une histoire. Abdallah Dramé et Astou Sokhna ne sont pas que des statistiques : ce sont des symboles d’un système qui doit se réformer, sous peine de continuer à tuer dans l’indifférence.
Auteur: Adama NDIAYE
Publié le: Mercredi 18 Juin 2025

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