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Non Professeur, tout le monde sauf vous

Auteur: Falilou Cissé

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Loin de moi d’avoir la prétention de la grenouille qui voulait se gonfler pour devenir aussi grande que le bœuf ou encore sa sœur qui défiait l’antilope en l’invitant à une compétition de course de vitesse. Pour être clair, je ne cherche pas à me mesurer à l’éminent Professeur qui a toujours fait notre fierté. Mais cette reconnaissance de la grandeur du Maître n’a pu stabiliser le frisson que j’ai eu quand je l’ai entendu dire  textuellement ceci « l’une des choses les plus terribles qu’on ait sortie dans ce continent et que tout le monde répète, c’est qu’en Afrique, quand un vieillard meurt, c’est comme une bibliothèque qui brûle »

 Dans sa logique de pensée, le professeur Mamadou Diouf, Directeur de l’Institut d’Etude Africaine à l’école des affaires internationales et publiques de l’Université Columbia, aux Etats-Unis, s’il vous plait, ajoutera : « c’est la plus grosse idiotie qu’on puisse dire parce qu’on ne peut attacher la connaissance à l’âge » Plus loin il dira « une société qui ne discute pas c’est une société qui n’avance pas » ou encore «  une société ouverte c’est la capacité de critiquer aussi. Critiquer tout le monde y compris les plus vieux » 

 Mais de quoi sont coupables les vieux ? 

C’est à l’occasion d’une conférence sur le thème « un demi-siècle d’indépendance : bilan et perspective des Etats africains »  organisée certainement dans le cadre des 50 d’années d’indépendance qu’il a tenu ses propos quelque peu renversants. 

Franchement, à mon avis, ça fait désordre d’entendre cela d’un de nos plus grands intellectuels, de surcroît, professeur dans plusieurs universités. Je voulais vraiment que le Professeur nous explique en quoi, Amadou Ampaté BÄ, cette autre éminence, auteur de cette vision, peut – il - être taxé d’idiot pour avoir dit qu’en Afrique, continent du verbe et de la magie du verbe, l’âge contribue à fonder la connaissance ? Qu’est ce qui peut justifier ces attaques contre une vérité que chaque soleil et chaque lune fortifie ? 

Je voudrai aussi que le Professeur nous explique de quelle connaissance est – elle -  question ici ?

Est-ce qu’il s’agit de la connaissance qui est à la base de la construction d’un avion ou d’un bateau ? Ou est-ce qu’il s’agit de la connaissance contenue dans l’écriture où Mr Diouf a puisé ses connaissances ? 

S’agissant de l’écriture, Amadou Hampaté Ba dira, comme de façon prémonitoire « « l’écriture est une chose, et le savoir en est une autre. L’écriture est la photographie du savoir mais elle n’est pas le savoir lui-même. Le savoir est une lumière qui est en l’homme ! Il est l’héritage de tout ce que les ancêtres ont pu connaître et qu’ils nous ont transmis en germe tout comme le baobab est contenu en puissance dans sa graine » qu’en pense le professeur ?

L’expérience qui n’est rien d’autre que la somme d’enseignements tirés de l’ensemble des erreurs commises oblige tout être à lier forcément la connaissance pure à l’âge. 

 Qu’est ce qui est plus efficace entre l’injection administrée à une personne victime de la morsure du serpent et les incantations des grands-pères qui empêchent au même venin de monter ou de prévenir la morsure ?

Est-ce que, Professeur, les mots que récitait grand-père pour provoquer l’invulnérabilité chez une personne ont leur équivalent dans les livres qui contiennent « les vrais connaissances » ?  

Qui a enseigné à grand-père l’efficace stratégie (forêt hantée) de préservation de la nature qui a consisté pendant longtemps à créer dans la conscience collective un invisible géni chargé de la responsabilité de la gestion des ressources ? 

Pourquoi, l’agent des eaux et forêt investi de la même responsabilité de veiller sur les forêts classées surexploitées, sorti de l’école de la vraie connaissance n’a pas connu la même réussite que son ancêtre de géni ?  

Je suis vraiment perturbé par cette déclaration du Professeur quand je pense que, comme disait Senghor, la globalisation n’est que le moment venu du rendez-vous de la civilisation du donner et du recevoir. Je pensais que nous aussi, nous avions des choses à proposer, à exposer, avec fierté, la tête haute, à la place publique de la foire culturelle du monde.

Je pensais que la tribune d’expression qui vous est offerte devait être une occasion pour appeler à une réflexion/recherche par rapport aux connaissances et sagesse des personnes âgées de tous les peuples pour les mettre au service des multiples défis auxquels nos continents se trouvent confrontés.   

 Je pensais que les enfants qui ont été envoyés à l’école pour y apprendre « l’art de vaincre sans avoir raison » devenus grands, peuvent dire à leur retour, qu’ils y avaient appris à lire, à calculer, à écrire, à chanter mais qu’on ne leur avait jamais expliqué ce que Grand-mère disait, au fond de la case du père, à la fille qui devait rejoindre le domicile conjugal. Ils peuvent dire qu’on ne leur a pas dit à l’école ce que grand-père disait, pendant plusieurs semaines, au fond de la brousse, au jeune circoncis, au porte la vie. 

Professeur, que faites vous du cousinage à plaisanterie, ce fondement de la paix, de la tolérance dont vous évoquez, de la stabilité et de la fraternité ? Cet outil efficace de prévention des conflits en voie de disparition ?

Professeur quelle idée vos étudiants, américains, enfants du pays champion de la valorisation des expériences se feront- ils  de nos grands-pères, de nos grands-mères quand ils entendront que ces derniers, malgré leur vieillesse, ne connaissent rien et que leur disparition n’engendre aucune perte de connaissance ?

Je suis un enfant des indépendances et je connais des dizaines de chants d’initiation, des dizaines de proverbes, des dizaines de contes, des charades, des dizaines de noms d’arbres, d’animaux et d’oiseaux. Combien devaient en connaître Grand-père et grand-mère ? En disparaissant n’ont – ils – pas emporté ces connaissances, ce patrimoine qui pouvaient bien remplir des livres sans lesquels il n’y à point de bibliothèque.  

Non Professeur ! Ici, on ne critique pas les plus vieux car ils ont eu le mérite du vécu, le mérite de l’autocritique et de la critique de la plus grande école qui existe : la vie. On les écoute avec tout le respect qui sied à leur rang. On les laisse jouir de la plénitude du droit d’aînesse. On prie pour qu’ils vivent le plus longtemps possible car c’est des bibliothèques vivantes qui discutent à travers les contes et autre mécainisme. 

Devant le silence des intellectuels et des hommes de culture de qui j’attendais une réflexion beaucoup plus soutenue et plus structurée pour engager le débat d’idées avec l’éminent Professeur, j’élève ma petite voix tout en m’excusant si j’ai violé, dans la forme ou dans le fond de l’expression, ce droit d’aînesse que je vous dois.

Falilou CisséConsultant en développement communautaire

 
Auteur: Falilou Cissé
Publié le: Jeudi 19 Janvier 2012

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