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La Guinée, nouveau point de départ et d'exode d'une jeunesse asphyxiée en Afrique de l'Ouest

Auteur: AFP

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La Guinée, nouveau point de départ et d'exode d'une jeunesse asphyxiée en Afrique de l'Ouest

Regard déterminé durcissant son visage solaire, Safiatou a pris sa décision: elle va laisser derrière elle ses jeunes enfants et sa survie au jour le jour pour tenter de sauver leur avenir et de migrer vers l'Europe depuis les côtes guinéennes, nouvelle voie migratoire clandestine et très périlleuse se dessinant en Afrique de l'Ouest.

Des milliers de jeunes Guinéens ont tenté la migration clandestine ces dernières années, découragés et à court d'opportunités économiques et d'espoir pour le pays: une "hémorragie" migratoire, de l'avis même du Premier ministre.

Le renforcement récent des contrôles en mer au Sénégal, en Mauritanie et au Maroc a conduit les départs des pirogues vers les Canaries à se déplacer vers le sud, rallongeant encore plus le temps passé en mer.

Pour la première fois, alors que la Guinée n'était jusqu'ici pas un point de départ, au moins huit bateaux sont partis de ce pays depuis le printemps, transportant plus d'une centaine de personnes chacun, selon des ONG spécialisées.

Malgré le risque de naufrage, cet itinéraire est un moyen d'échapper aux dangers et violences subis par les exilés sur les routes au Maroc, en Tunisie, en Algérie.

Mariée à 18 ans à un homme de 60 ans, qui à 75 ans ne parvient pas à subvenir aux besoins de sa famille, Safiatou Bah, 33 ans, ne s'en sort plus. "C'est moi qui gère mes enfants seule", confie-t-elle à l'AFP.

Elle a quitté son village pour Conakry, tenté de travailler dans le secteur des ONG mais cela n'a pas abouti. Finalement, elle a lancé un commerce pour gagner un peu et "y aller" (migrer).

Safiatou décrit l'absence de perspective d'avenir ressentie par nombre de jeunes dans ce pays pauvre dirigé depuis plus de quatre ans par une junte.

Sa décision déchirante de laisser derrière elle ses trois enfants de 11 ans, cinq ans et six mois est ferme.

"Je pars parce que je souffre ici. Tu te bats et il n'y a personne qui t'aide", lance-t-elle. "Je vais laisser mes enfants avec ma maman. C'est une décision difficile mais j'ai pas le choix...".

- Nouvelle route -

"On m'a dit que vers Kamsar, il y a des pirogues qui partent", en référence à cette ville côtière du nord-ouest, point de départ de cette nouvelle route.

Les Canaries constituent la principale porte d'entrée en Europe des exilés venant d'Afrique, poussés à migrer clandestinement à cause d'une politique des visas de plus en plus restrictive des pays européens.

L'ONG espagnole Caminando Fronteras, qui assure le suivi des flux de personnes migrantes, confirme à l'AFP l'existence de cette nouvelle route et l'ampleur du nombre de Guinéens dans la migration.

Les Guinéens sont désormais la première nationalité africaine - et le 3ème pays au monde derrière l'Afghanistan et l'Ukraine - à demander l'asile en France, avec 11.336 demandes en 2024, selon l'Office de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra).

Mamadou Saïtiou Barry, directeur général de la Direction générale des Guinéens établis à l'étranger, confirme que "plusieurs milliers" de Guinéens entrent dans la migration clandestine chaque année.

"Nous en sommes conscients, parce que c'est nous qui perdons nos fils et ces jeunes...", déplore-t-il. Des mesures policières ont été prises pour tenter de stopper le phénomène de départ depuis les côtes.

Elhadj Mohamed Diallo, directeur de l'Organisation guinéenne pour la lutte contre la migration irrégulière (OGLMI), côtoie quotidiennement cette jeunesse. "Quand vous leur dites que la route est dangereuse, la plupart répondent que +là où nous sommes, on est déjà morts en fait... Vaut mieux tenter...+", rapporte-t-il.

Les difficultés à accéder à des emplois malgré leurs études minent aussi nombre de jeunes.

- "Failli mourir" -

Abdourahim Diallo, jeune homme avenant père de deux enfants, n'a, comme Safiatou, plus d'espoir d'un avenir en Guinée, où il ne trouve pas de travail.

L'AFP l'a rencontré lors d'une réunion de dizaines de jeunes, dans la banlieue de Yattaya T6, dans un baraquement sans électricité qui leur sert de café.

"Ici on a plus de 150 jeunes et aucun n'a de travail", lâche Ibrahima Baldé, responsable d'une association.

Abdourahim est catégorique: "J'ai beaucoup de famille qui compte sur moi... mais il n'y a rien pour moi ici". Il s'apprête à migrer pour la quatrième fois. Ses tentatives, dont il garde des blessures physiques et sans doute psychologiques, s'étalent sur 13 ans entre 2011 et 2024 à travers le Mali, l'Algérie, le Maroc.

Il a passé cinq ans à survivre au Maroc dans la forêt de Gourougou qui surplombe la ville de Nador et l'enclave espagnole de Melilla. Des milliers de migrants originaires d'Afrique subsaharienne cherchant à entrer dans l'enclave vivotent dans ce massif forestier et les bois alentours.

Pour atteindre la forêt et "échapper à la gendarmerie", il faut sauter d'un train en marche, selon Abdourahim. "Certains se cassent les pieds, d'autres meurent".

Le 30 décembre 2011, il dit avoir été blessé à la tête après avoir tenté avec des centaines de personnes d'escalader la clôture de Melilla, la ligne fortifiée qui sépare l'Espagne du Maroc. Une autre fois, "on a failli mourir dans l'eau" quand sa pirogue s'est renversée au large des côtes marocaines.

Il ne "compte plus" les arrestations au Maroc, les rackets par des policiers de pays de transit, les vols par "des Touaregs au Mali et en Algérie".

Il a perdu beaucoup, mais s'est résolu à vendre le véhicule de son père décédé récemment pour tenter, encore.

Juste à côté du café, Mamadou Yero Diallo, 30 ans, est penché sous le capot d'une voiture dans son garage. "On se débrouille, on gagne un peu pour la nourriture, rien de plus", lâche-t-il. Il assure être prêt à partir clandestinement cette année.

La voix de Safiatou est moins assurée quand elle confie avoir parlé "avec des garçons qui sont revenus". "Il y a tellement de risques...", souffle-t-elle, disant être au courant de viols commis sur des femmes migrantes. "Mais quand même je vais aller. Je demande à Dieu de me protéger".

Auteur: AFP
Publié le: Vendredi 05 Décembre 2025

Commentaires (2)

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    Mama il y a 1 heure

    Il faut rester en Guinée. C'est plus sûr. A choisir entre mourir en mer ou être violé par des dizaines d'hommes sur une pirogue. L'Europe n'a plus rien à offrir, encore moins la France. Ce sont des cultures différentes. Il faut développer son pays. C'est mieux. Vraiment.

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    Bayi il y a 1 heure

    Oui mais le problème c’est qu’un migrant qui avait du mal à s’en sortir au pays après 3-6 en europes arrive à construire -gérer une très grande famille très facilement ce qui pousse les autres à faire de même ,
    A dakar beaucoup de maisons qui étaient en baraques sont devenus des immeubles de r+1 r+2-3 grâce à un immigré

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