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Guinée-Bissau : histoire d'un coup d'État controversé (Par Amadou Moctar Ann)

Auteur: Par Amadou Moctar Ann

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Guinée-Bissau : histoire d'un coup d'État controversé (Par Amadou Moctar Ann)

Le 26 novembre 2025, la Guinée-Bissau a basculé dans une nouvelle crise politique lorsqu'un groupe d'officiers s'identifiant comme le « Haut commandement militaire pour la restauration de l'ordre » a annoncé avoir pris le contrôle du pays. Cette intervention militaire, qui a entraîné l'arrestation du président Umaro Sissoco Embaló, soulève des questions sur la nature même de cet événement : sommes-nous face à un coup d'État classique ou à une manipulation politique d'une sophistication inédite ?

Il convient d’abord de replacer ces événements dans la longue durée de l'instabilité bissau-guinéenne. La Guinée-Bissau a connu quatre coups d'État et une kyrielle de tentatives de putsch depuis son indépendance en 1974. Cette récurrence pathologique révèle l'échec de l'institutionnalisation démocratique et la persistance d'un militarisme politique endémique.

L'élection de 2019 avait déjà généré une crise post-électorale prolongée, ce qui a démontré la fragilité du consensus démocratique. Fin octobre 2025, l'armée avait annoncé avoir déjoué une « tentative de subversion de l'ordre constitutionnel » avec l'arrestation de plusieurs officiers supérieurs. Cette séquence suggère soit une instabilité militaire réelle, soit une stratégie de création d'un climat de menace permanente justifiant des mesures d'exception.

Au niveau régional, cette crise s'inscrit dans un continuum d'instabilité ouest-africaine alarmant. Cette zone a connu une cascade de coups d'État depuis 2020 (le Mali, le Burkina Faso, le Niger et la Guinée-Conakry). Cette contagion putschiste révèle une crise systémique de la gouvernance démocratique en Afrique de l'Ouest, que les institutions régionales comme la CEDEAO peinent à endiguer.

Un timing révélateur

Ce qui frappe d'emblée dans cette séquence politico-militaire, c'est son timing suspect. Le coup d’Etat intervient à la veille de l'annonce des résultats des élections présidentielle et législatives organisées le dimanche 23 novembre. Cette synchronicité ne relève pas du hasard : elle révèle une instrumentalisation du processus électoral comme déclencheur ou prétexte de l'action militaire.

Les putschistes ont annoncé deux mesures majeures : la suspension du processus électoral en cours - ce qui implique l'annulation des résultats de la présidentielle et des législatives - et la suspension des programmes dans les médias.

Le narratif développé repose sur un argumentaire sécuritaire relativement sophistiqué. Ils invoquent la nécessité de « garantir la sécurité au niveau national » à la suite de la découverte par les renseignements généraux d'un « plan visant à déstabiliser le pays avec l'implication des barons nationaux de la drogue » et l'introduction d'armes pour changer l'ordre constitutionnel.

Or, cette rhétorique sécuritaire, pour légitime qu'elle puisse paraître dans un pays effectivement gangrené par le narcotrafic, intervient de manière trop opportune pour ne pas susciter le scepticisme. Le recours à la menace du narco-État comme justification d'une intervention militaire s'inscrit dans un répertoire classique de légitimation post-facto des coups d'État.

L'hypothèse troublante du « coup d'État simulé »

Cette théorie du « auto-coup d'État » n'est pas dénuée de fondements empiriques. Plusieurs éléments plaident en sa faveur :

D’abord, la communication présidentielle elle-même. Le fait qu'Embaló ait pu contacter directement des médias internationaux pour annoncer son propre renversement est pour le moins inhabituel dans la phénoménologie des coups d'État.

Ensuite, le chef d'état-major général des armées et son adjoint figurent parmi les personnes arrêtées, ce qui suggère que la hiérarchie militaire traditionnelle a été court-circuitée, peut-être par des éléments proches du président.

Enfin, le contexte électoral est important. Alors que les résultats officiels étaient attendus le 27 novembre, Umaro Sissoco Embaló et son concurrent Fernando Dias da Costa avaient tous deux revendiqué la victoire dès le mardi. Cette double revendication préfigure une contestation des résultats. Par conséquent, un coup d'État « providentiel » permettrait de suspendre un processus électoral potentiellement défavorable.

Vers un nouveau type de coup d'État post-moderne ?

Nous sommes probablement face à une forme hybride et cynique de manipulation institutionnelle : un coup d'État portant la marque d'une orchestration présidentielle visant à suspendre un processus électoral dont l'issue serait défavorable, en maintenant le contrôle du pays sous prétexte de rétablir l'ordre.

Cette hypothèse du « coup d'État simulé » illustre la sophistication croissante des stratégies autoritaires, qui empruntent les formes du pronunciamiento militaire classique tout en servant des objectifs de maintien au pouvoir d'un président élu. La Guinée-Bissau devient ainsi le laboratoire d'une nouvelle génération de coups d'État post-modernes, où la frontière entre légalité et illégalité, entre pouvoir civil et pouvoir militaire, devient délibérément poreuse.

Quelles perspectives pour la Guinée-Bissau ?

L'avenir immédiat dépendra de la capacité de la « communauté internationale » et des forces démocratiques internes à démasquer cette « manipulation » et à exiger la publication transparente des résultats électoraux. La Commission nationale des élections, attaquée par des hommes armés non identifiés le jour du coup d’Etat, se trouve au cœur de cet important enjeu.

Sans une réaction coordonnée, la Guinée-Bissau s'enfoncera davantage dans le cycle infernal de l'instabilité chronique qui la caractérise depuis un demi-siècle. La démocratie bissau-guinéenne, déjà fragile, risque de succomber définitivement à cette nouvelle forme d’autoritarisme masqué, où les militaires deviennent les instruments d'une captation du pouvoir par ceux-là mêmes qui devraient le quitter démocratiquement.

Le cas de la Guinée-Bissau révèle que les menaces contre la démocratie ne prennent pas toujours la forme de tanks dans les rues et de généraux en treillis. Parfois, elles se parent des habits de la légalité et de l'ordre pour mieux subvertir les institutions. C'est peut-être là la leçon la plus inquiétante de cette crise : l'évolution des techniques de confiscation du pouvoir dans l'Afrique contemporaine.

Amadou Moctar Ann,Enseignant-chercheur à BEM et à Dakar Science Po, Chercheur à l'Ecole doctorale Sciences Juridiques, Politiques, Economiques et de Gestion à Université Cheikh Anta Diop 

Auteur: Par Amadou Moctar Ann
Publié le: Jeudi 27 Novembre 2025

Commentaires (6)

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    Karim-USA il y a 4 heures

    Le problème actuel de l’Afrique est un problème de crise de confiance ! On arrive plus à se faire confiance et tout le monde a la tête d’un comploteur ou traître. Les toubabs ont réussi à supprimer toutes les ethnies pour plus d’homogénéité mais c’est quelque chose que les Africains ne réussiront jamais parce qu’on accorde trop d’importance aux ethnies et coutumes.

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    Loi il y a 4 heures

    Faut se poser la même question entre Diomaye et sonko?Est ce une guerre réel ou u e stratégie des deux?Aussi parler du complot Kondé et Doumbiya,au Gabon….

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    Anonyme il y a 3 heures

    Formons un grand ensemble fédéré. Nos micro états on atteint leurs limites, ne sont ni viables ni crédibles et loin s'en faut

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    Sall il y a 3 heures

    Bien dis

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    Mbé mbé il y a 2 heures

    bave de noiraud pour des ânes

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    Veritas il y a 58 minutes

    Il ne s'agit pas, à mon avis, d'un coup d'état simulé.
    Aucun dirigeant ne serait assez fou pour céder le pouvoir, même en simulant, à quelqu'un d'autre.
    On avait pensé un moment qu'il s'agissait de cela au Gabon avant de nous rendre compte très vite qu'il y avait un nouveau patron.
    Une piste à étudier serait à puiser dans la nature de narco étatique de la Guinée. Il est de notoriété publique que l'armée est gangrénée à son plus haut niveau par le trafic de drogue, au point que la DEA avait tendu, il y a quelques années de cela, un guet apens à un officier supérieur en pleine mer.
    J'ai plus l'impression que ce coup d'état est une réaction de l'armée à un marché juteux qui risquait de lui échapper si le pouvoir était dévolu à un civil.

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