Dr Alioune Diagne, directeur de l'Institut Dakar Tech
Les péripéties actuelles autour de l'organisation du baccalauréat 2017 au Sénégal exigent de situer les responsabilités sans complaisance et de sanctionner les culpabilités sans indulgence. L'impunité et la récidive systématique risquent d'affecter profondément notre éthique sociale normative au-delà de la crédibilité du diplôme en cause. Plus largement, ces évènements appellent une réflexion sur notre système éducatif dans sa globalité.
Nous continuons à instruire nos jeunes élèves et étudiants selon des paradigmes de formation et d'évaluation empruntés, sans y avoir apporté la moindre once de notre génie sénégalais. Nous ne tenons pas compte, non plus, des changements qui tiraillent le monde qui nous englobe et des besoins spécifiques de notre société en mutation profonde. A en croire le papier paru dans le journal Le Monde du 6 juillet 2017 sous la plume de Amadou Ndiaye, c'est la précipitation d'un candidat qui élaborait sa copie à partir de WhatsApp qui a mis la puce à l'oreille d'un surveillant sur la fraude massive en cours.
Autant dire que l'organisation de notre baccalauréat ne tient nullement compte de l'état de la société en général et de l'impact des nouvelles technologies sur les candidats en particulier. Comment s'effectue le contrôle anti-fraude a priori, in situ et a postériori ? Comment a été traité l'impact- en bien mais aussi en mal- des réseaux sociaux sur nos paradigmes de formation et d'évaluation ? Ce baccalauréat napoléonien est-il encore l'examen de maturité qui sanctionne les aptitudes de raisonnement et de dissertation nécessaires à entreprendre des études universitaires allant vers une licence et au-delà ? Que penser de ce cursus universitaire que l'on débute par une période de vacuité d'une année académique ?
En fait, certains nouveaux bacheliers sont inactifs pour la période allant de juillet (date normale de fin au plus tard des examens du baccalauréat) à mai de l'année suivante (date e leur arrivée au plus tôt dans les établissements d'enseignement supérieur).
La France va réformer son baccalauréat, un des nouveaux chantiers de ses Marcheurs. Il s'agira surement de ravaler la façade d'un édifice vieillot car elle dispose d'un système éducatif qui semble encore tenir la route malgré les difficultés. Quoiqu'elle fasse, in fine, ce sera SA solution.
Par opposition, le Sénégal qui partage les mêmes principes directeurs doit s'engager à reconstruire dans sa globalité le sien. Un système écroulé depuis belle lurette à repenser complètement et en y imprimant la marque de nos besoins spécifiques et en tenant compte des réalités fortes de l'heure.
Nous devons repenser nos programmes avec de nouvelles orientations et contraintes. Nous devons par exemple enseigner à la jeunesse sénégalaise les œuvres de nos héros (Serigne Touba, El Hadji Malick Sy, entre beaucoup d'autres) et les principes vertueux qui fondent leur pensée et leur action. Ces vertus cardinales et ces principes, à valeur d'axiomes, transcendent toute forme d'appartenance et méritent donc l'attention de toute notre jeunesse.
Sur un tout autre plan, la jeunesse toute entière a un penchant irrésistible pour la chose informatique. Il faut donc développer l'enseignement des technologies numériques à tous les niveaux et à différents grades pour correspondre à leurs besoins et aptitudes. Leur génie pour Instagram et Facebook doit être mis à contribution de façon positive et leur culture SMS gommée à coups d'œuvres classiques renforcées, tout cela avec équilibre et mesure.
Les exemples de ligne directrice de cette refonte des programmes sont nombreux. Quant aux évaluations nous devons leur garder un caractère national pour pallier la faiblesse des moyens nécessaires à faire de nos centres universitaires régionaux de vraies académies capables de relayer valablement une éventuelle provincialisation. Le caractère national assure une uniformité dans la qualité et la crédibilité une fois qu'elles seront restaurées.
Cependant, les diplômes de fin de cycle (brevet et baccalauréat) doivent sanctionner tout le cycle d'enseignement avec un contrôle continu renforcé et des épreuves terminales à toutes les années. Ces examens doivent rester sélectifs avec des passerelles aménagées pour ceux qui n'en auront pas le niveau. Des structures de supervision et de coordination décentralisées pourraient gérer cela dans une approche pyramidale. Les moyens nécessaires seront certes importants mais c'est l'affaire de l'Etat qui, pour des causes- osons le dire- beaucoup moins nobles que celle qui nous occupe ici, en trouve.
La lutte contre la fraude est un défi pour les parents et la haute administration. Nul n'ose les imaginer incapables de se donner les moyens de de la rigueur et la confidentialité nécessaires à gagner cette bataille. Les rares parents complices actifs de la fraude parce que pourvoyeurs des moyens financiers nécessaires doivent remettre l'honneur à sa place- c'est à dire la plus haute – dans l'éducation de tous les jours. Que vaut un diplôme acquis par la triche ? Et la carrière professionnelle qui suit ? Il en va de même des éventuels fonctionnaires véreux pourvoyeurs de la marchandise qui doivent savoir qu'ils exercent un sacerdoce. Si la vertu tarit le marché de cette façon, alors la victoire semble assurée.
Il ne s'agit pas ici d'un catalogue de solutions toutes faites mais d'une invitation à une réflexion partagée par tous les signataires de notre contrat social en vue de redéfinir les objectifs suffisants, les moyens nécessaires et les méthodes utiles. Tout cela en vue d'apprendre à notre jeunesse des choses profitables, inspirées de la vie réelle et évaluées selon des méthodes nouvelles voire hardiment novatrices.
Enseigner un savoir doit viser un objectif de mise en œuvre concrète ou conceptuelle. L'évaluer consiste donc à certifier la capacité à le mettre en œuvre de façon effective. Le crédo doit être : "former utile et d'évaluer juste", avec des méthodes adéquates et actuelles selon un modèle typiquement sénégalais. Gageons que nous saurons très bien le faire pour ne pas compromettre cette émergence tant évoquée !
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