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La lettre ouverte de Bousso Dramé doit servir de sonnette d’alarme par Isseu Diouf Campbell

Auteur: Isseu Diouf Campbell

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Un ami m’a envoyé le lien de la lettre ouverte de Bousso Dramé, une jeune sénégalaise lauréate du concours français d’orthographe qui a reçu comme récompense un billet d’avion pour Paris et la possibilité de suivre une formation en réalisation de film documentaire au centre Albert Schweitzer. Après plusieurs interactions avec le personnel de l’Institut Français à Dakar et un «  accueil exécrable » au consulat de France, elle décide de renoncer à la demande de visa et à la formation.

Cette lettre ouverte me réconforte car une jeune femme a eu le courage de dénoncer ce que tant d’autres ont certainement subi mais choisi de taire de peur de réduire leur chance d’obtenir ce visa tant convoité, la clé d’un espoir de  vie meilleure.

Cette lettre ouverte me rappelle aussi un documentaire de Vox Africa où des immigrés, majoritairement africains, vivant en Ile de France se voient obligés de passer la nuit devant la préfecture pour augmenter leur chance d’être parmi ceux choisis le lendemain matin pour entrer dans la préfecture. Certains pourraient penser que de tels efforts ont pour but de garantir l’approbation de leur demande, mais non : tous ces efforts, juste pour accéder au bâtiment. Ne serait-il pas plus simple de donner à chacun un rendez-vous ? Ces immigrés ne sont-ils pas dignes d’un rendez-vous ?

Dans sa lettre ouverte Bousso parle de sa fierté d’être noire et africaine. Elle dit aussi qu’il est temps que les africains se respectent et exigent le respect mais souvent certains, Africains ou pas, pensent que parce qu’ils sont pauvres, ils n’ont aucun droit. Pas même le droit d’être respecté et la façon dont le consulat de France traite parfois les Sénégalais sur leur propre sol est déconcertante, mais le plus choquant est que les autorités sénégalaises l’aient toléré pendant toutes ces années.

Malheureument, ces « attitudes et propos condescendants, insidieux, sournois et vexatoires » ne sont qu’un avant-goût de la façon dont ces mêmes demandeurs de visa seront traités une fois en France. Pouvez-vous imaginer le consulat du Sénégal traiter les Français comme des chiens sur leur propre sol? Ah j’oubliais, les Français n’ont pas besoin de visa pour aller au Sénégal, une simple carte d’identité suffit. Au moins jusqu’au 1e juillet 2013. Pouvez-vous imaginer le Sénégalais lambda entrer en France avec une carte d’identité ?

Certains peuvent penser que le Sénégalais a plus besoin de la France que la France n’a besoin de lui. C’est loin d ‘être le cas.  La France comme beaucoup de pays Occidentaux est venue en Afrique d’abord en amie.  Pour « civiliser » et introduire la religion Chrétienne au pauvre africain. Cette phrase de l’évêque Desmond Tutu peint cette relation de manière parfaite.  « Quand les Missionnaires sont venus en Afrique ils avaient la Bible et nous avions la terre. Ils ont dit alors "prions ensemble". Nous avons fermé les yeux. Quand nous les avons ouverts, nous avions la Bible et ils avaient la terre. » Et si la France ne veut pas entendre parler de réparation, c’est qu’elle, ainsi que tous ces pays coupables de l’esclavage, n’ont pas les moyens de payer une compensation pour toutes les atrocités commises en Afrique.  

Après avoir pillé nos ressources humaines et naturelles pendant des  dizaines d’années pour se construire, la France concède au Sénégal une indépendance « virtuelle » en 1960 mais garde le contrôle du tissu économique. Selon l’économiste Sanou Mbaye « Le secteur privé est entièrement aux mains de groupes hexagonaux : Bolloré, Bouygues, Total, France Télécom, Société générale, BNP Paribas, Air France... et les politiques de change et de crédit, si cruciales pour le développement, sont liées à l’Hexagone à travers les mécanismes de la zone franc. » Aucun pays n’a intérêt à avoir son économie aux mains de groupes étrangers. Pouvez-vous imaginer le secteur privé français contrôlé par des entreprises sénégalaises ou Africaines ? « Même pas en rêve » dirait mon cousin.

L’économiste poursuit : « Contre le dépôt de 50 % des réserves de devises des pays membres sur un compte du Trésor français, le franc CFA est convertible et arrimé à l’euro à un taux de change fixe surévalué, alors que toutes les autres monnaies du continent ont, elles, des cours flottants. La convertibilité permet aux entreprises françaises et aux classes dominantes de transférer librement les fortunes qu’elles engrangent en étant prémunies contre toute dépréciation monétaire. En outre, l’appréciation de l’euro par rapport au dollar ruine l’économie des pays de la zone franc.”

La France a aussi créée une industrie de consommation en Afrique basée sur les ressources africaines. L’exemple le plus flagrant est le chocolat français, fait à partir de cacao ivoirien et renvoyé en Afrique pour être acheté. Le sénégalais et l’Africain d’une manière générale sous-estiment leur pouvoir d’achat qui permet à beaucoup de ces entreprises d’exister. La France ne peut pas trouver un meilleur partenaire que l’Afrique. Elle achète ses ressources naturelles pour des peccadilles, transforme ces mêmes ressources qu’elle lui revend ensuite à un prix fort. On ne peut pas rêver mieux.

Imaginez toutes ces entreprises françaises remplacées par des entreprises sénégalaises ou africaines. Tous ces profits évanouis et tous ces Français (plus de 200,000 vivant en Afrique selon Geopolis) obligés de retourner en France, allonger la liste des sans-emploi, dans le froid et la galère.  Imaginez le Franc CFA arrimé à des monnaies locales au lieu de l’Euro comme le suggère Sanou MBaye?

Je me rappelle encore ces milliers de Français qui ne voulaient pas quitter la Côte d’Ivoire lors des troubles dans ce pays parce que la qualité de vie que ces Français ont en Afrique est irréalisable en France. A commencer par la beauté du temps et le degré de servitude « démesuré » dont ils font l’objet en Afrique.

Cette lettre ouverte doit servir de sonnette d’alarme au Sénégalais et à l’Africain d’une manière générale. Bousso parle de respect mais avant de se respecter et demander le respect, il faut s’aimer et être fier de ce que l’on est et de ce que l’on a. Nous sénégalais voulons le changement mais nous ne voulons pas changer. Nous voulons un pays développé mais nous ne voulons pas payer le prix du développement.

Le premier repas du sénégalais qui est le petit déjeuner est fait de produits venant d’ailleurs, du pain fait de blé parce que le sénégalais n’aime pas le pain riche fait à base de produits locaux. Le Sénégalais lambda veut un sac, des chaussures, et des vêtements venant de France, d’Italie, des Etats-Unis ou d’ailleurs. La raison souvent évoquée est que les produits locaux ne sont pas de bonne qualité. Les produits chinois sont parfois de pire qualité mais le sénégalais n’a eu aucun mal à les adopter. En achetant ces produits venant d’ailleurs, nous rendons ces pays qui n’ont aucun respect pour nous, riches et nous devenons de plus en plus pauvres. Et l’histoire a montré que les profits réalisés par ces entreprises étrangères ne sont pas réinvestis en Afrique mais rapidement transférés dans leur pays d’origine.

Les entreprises sont le cœur de toute économie. Ce sont elles qui créent les produits que nous consommons et ce sont elles qui créent ces emplois dont nous avons besoin pour prospérer. Toutes ces marques européennes ou américaines ont démarré petit mais le soutien de leurs compatriotes, leur a permis de prospérer et d’être mondialement connues et désirées. Soutenons les entreprises sénégalaises ou africaines et si elles ne font pas assez, demandons mieux mais restons loyal.

Un meilleur Sénégal ou une meilleure Afrique veut dire, moins de sénégalais ou d’africains essayant de demander un visa pour quitter le continent. L’eldorado qui nous fait courir n’existe que dans notre imagination et à l’écran de télévision. De plus, les immigrés ne révèlent pas toujours la triste réalité qu’ils vivent à l’étranger et le lourd prix de l’immigration. Beaucoup économisent pendant des mois ou des années pour pouvoir flamber comme ils le font quand ils viennent en vacances, d’autres sont prisonniers de leur statut, ne pouvant voyager ni pour le décès de leur père ou de leur mère, ni même pour voir leur épouse ou époux ou bien leurs enfants.

L’Afrique est à un tournant décisif, et il lui appartient de choisir sa place dans le futur, celle de la mendiante chronique ou celle de la battante prête à être honnête avec son peuple et à payer le prix d’un futur meilleur. Un futur sans aide, un futur avec une meilleure gestion de ses ressources, un futur avec moins de leaders qui vendent leur âme pour des cacahouètes, un futur avec une diaspora intégrée, vue comme partenaire au développement et non vache à lait, un futur avec un système éducatif valorisant notre histoire et non celle du colon, un système de santé performant et une économie qui prospère, quitte à manger de la bouillie tous les jours, quitte à ne porter que notre cher wax et des sandales. Il n’y a que l’Afrique qui peut sauver l’Afrique. Personne d’autre ne peut. Pas même Barack Obama.

Isseu Diouf Campbell

Auteur: Isseu Diouf Campbell
Publié le: Mardi 02 Juillet 2013

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