Le dernier feu de paille des titrologues (Par le Pr. Mouhamed Abdallah LY)
Les titrologues nous avaient habitués à commenter des articles sur la base d’un titre nonchalamment picoré dans une revue de presse ou encore à se prononcer sur des livres qu’ils n’ont pas lus. Ils viennent d’accrocher une corde de plus à leur arc : la critique d’expositions qu’ils n’ont pas visitées ; c’est le cas pour Yoro Dia, le plus bavard d’entre eux. Pire : ils ont créé ex nihilo une controverse d’autant plus saugrenue qu’elle survient non pas au moment du vernissage de l’exposition mais lors de son finissage, c’est-à-dire à quelques heures seulement de son décrochage.
D’après eux, « Première ligne » serait une apologie de la violence contre les forces de défense et de sécurité. Savent-ils que sur la longue liste de noms victimes, écrite en blanc sur un panneau noir, il y a des noms de policiers morts ?
D’après eux, « Première ligne » promeut l’insurrection au détriment de la République. Existe-t-il, hors de leurs fantasmes oligarchiques, dans l’Histoire humaine, une seule République dont l’avènement et/ou la consolidation n’a pas nécessité des luttes violentes ? Ignorent-ils que la résistance - et même l’insurrection d’un peuple contre un pouvoir oppressif était considérée comme un « devoir sacré » par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 et que la Déclaration de 1948 reconnait la résistance à l’oppression comme un droit naturel imprescriptible ? Bien avant cela, en Afrique de l'Ouest, la résistance à l'oppression a été également posée comme un droit imprescriptible. Elle a une histoire presque millénaire comme l'atteste la Charte du Mandé au 13ème siècle. En effet, bien que cette dernière ne mentionne pas explicitement le terme "droit à la résistance à l'oppression", elle proclame tout de même le principe qui en constitue le fondement : celui de l'inviolabilité de la personne humaine.
D’après eux, « Première ligne » devait être exposée au siège du PASTEF et non au Musée des Civilisations noires. Ont-ils conscience qu’un musée est avant tout un lieu de mémoire, y compris celui de violences politiques ? Le MCN ne passerait-il pas à côté de sa vocation s’il ne parlait que d’évènements traumatiques passés (esclavage, colonisation…) en se détournant des évènements douloureux qui ont entaché sa terre d’ancrage, le Sénégal, y occasionnant près de 80 morts, actes de tortures et 2000 détenus ? En vérité, il appartient au MCN d’accueillir des expositions temporaires qui documentent les luttes légitimes, constituent des espaces de recueillement et de commémoration des victimes. Cette perspective est d’autant plus importante pour un Musée des Civilisations noires que cette lutte a été portée, trois ans durant, par une jeunesse qui, dans un même élan, s’est battue pour la souveraineté, la sortie du CFA, le départ de l’armée coloniale, la restitution des biens culturels spoliés et détenus dans les musées occidentaux, etc.
Au demeurant, en abritant « Première ligne », le MCN ne fait pas que prémunir contre l’oubli, accompagner le deuil, il pose aussi des questions qui n’ont aucune tonalité partisane : où en sommes-nous avec les promesses d’hier ? Que faire pour qu’il n’y ait plus jamais ça ? Cette plongée sur des questions actuelles touche aussi d’autres questions essentielles : qu’avons-nous fait depuis pour bannir la torture et inventer une autre politique pénale ?
Hélas, dans un élan de révisionnisme qui tend à la falsification de l’histoire et à la profanation des morts – « ce sont des drones qui ont tué les manifestants », disent-ils – et de poussée contre-révolutionnaire faisant flèche de tout bois, les pyromanes ont choisi de surjouer l’air de la vierge effarouchée. Mais ils étaient où lorsqu’il il y a peu, l’artiste Kehinde Wiley a présenté au MCN « Les dédales du pouvoir » qui exposait les portraits de Chefs d’États africains, dont celui de Macky Sall ? Les militants du PASTEF qui ont visité cette exposition sont allés au-delà des appréhensions médiocres pour retenir que l’artiste américain visait non pas à célébrer le Chef de l’APR, et non moins chantre du dessert colonial, mais à explorer la mise en scène du pouvoir politique contemporain à travers l’art.
Pour finir, au Siège du PASTEF - c’est un vœu- il n’y aura pas une exposition temporaire nommée « Première ligne » mais un Musée de la Résistance. Ce Musée de la Résistance serait, en soi, un acteur politique qui documenterait, entre autres, l’incendie puis la fermeture de son siège, la dissolution du parti, les sarcasmes (ex PASTEF), la répression criminelle de ses militants, la résistance et la résilience de la jeunesse africaine du Sénégal, l’odyssée politique de son Président, et celle de son SG, de la prison au Palais…
Quant aux titrologues éminents – Yoro Dia de l’APR en première ligne – ils portent avec le régime oppressif qu’ils ont soutenu jusqu’au bout, l’entière responsabilité des formes tumultueuses prises par l’avènement d’une alternative à leur cleptocratie à tendance répressive. C’est cette résistance populaire, démocratique et déterminée que les œuvres rassemblées dans l’exposition Première ligne documentent avec talent et sensibilité. La décence voudrait qu’étant responsables au premier chef qu’ils gardent le silence. Au lendemain des élections qui les avaient eux-mêmes portés au pouvoir, en 2012, et dont la tenue avait nécessité la mobilisation des Sénégalais, ils n’avaient pas jugé nécessaire d’honorer ni les Sénégalais qui s’étaient mobilisés pour la démocratie ni la mémoire du manifestant Mamadou Diop, dont la vie avait été écourtée par un véhicule des FDS. Une institution privée, le Raw Material Company, s’en était seule chargée, à travers l’exposition Chronique d’une Révolte, qui documenta et archiva pour la postérité le coût payé par le peuple sénégalais pour défendre sa démocratie. Le PASTEF n’est pas l’APR – qui ne semble avoir vu dans la république que ses instruments d’enrichissement et de domination – mais une force politique qui entend rendre à l’État la seule vocation qui le légitime: honorer et servir les Sénégalais dont chacune des existences lui est précieuse. C’est ce que Première ligne proclame: nos vies sont précieuses; nos corps sont inviolables et nous ne tolérerons plus d’outrages à leurs dignités.
Pr. Mouhamed Abdallah LY,
Chercheur à l’IFAN ;
Membre du MONCAP ;
Directeur général du Musée des Civilisations noires.
Commentaires (11)
Une critique objective ne peut pas être l'apanage d'une certaine classe d'opportunistes et de haineux.
Ousmane Sonko a participé à démystifier tous ces pseudo-intellectuels qui prenaient un malin plaisir à narguer le peuple avec leurs analyses à deux balles.
Merci Professeur vous au moins vous êtes un sachant et vous respectez nos morts ! Wasalam
Félicitations professeur, un texte aussi plaisant sur le fond que la forme.
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