Aux HLM, un citoyen américain a été violemment agressé et humilié, la semaine dernière, par une foule furieuse dans l’indifférence quasi générale. Seneweb est largement revenu sur cette affaire. La victime est un artiste musicien qui «à cause de son style, son habillement» a été «accusé à tort d'être un homosexuel par des individus mal intentionnés», relatait notre collègue Mor Mbaye Cissé. Ce lynchage, diffusé en mondovision par la grâce de Youtube et TikTok, n’a suscité que très peu d’indignation - dans un pays devenu champion du monde de l’indignation. Aucune voix politique ne s’est élevée pour la condamner. Plus inquiétant encore, le silence de nos défenseurs attitrés des droits de l’homme…Ceux-là ne sont jamais les derniers à twitter ou à pondre un communiqué lorsqu’il s’agit de parler, à juste raison d’ailleurs, du troisième mandat, du pétrole et du gaz, des élections ou des violences policières. Mais quand il s’agit de ce cas particulier où un homme a failli être tué à cause de son style vestimentaire - excentrique, je le concède volontiers-, liberté individuelle primaire, les organisations de la société civile détournent le regard ou se bouchent le nez. Ils donnent l’impression de choisir leurs causes et trahissent leurs devoirs. Car certainement, ils ne seraient pas restés indifférents si un Sénégalais vivant aux USA avaient été lynchés par des héritiers du Ku Klux Klan au Texas pour son style vestimentaire. De quoi ce silence gêné des hommes politiques et des droits de l'hommistes est-il le nom ? Hamidou Anne, l’un de nos rares intellectuels à mettre les mots adéquats sur les maux sénégalais l’a bien identifié à longueur de textes et de chroniques. Cet évènement et l’absence de réaction qu’il a suscité ne sont que les derniers signes de ce qu’il qualifie de “fascisme sénégalais”. Ce fascisme devient triomphant, tétanise certains de ses opposants, qui ont la peur bleue de passer pour des suppôts de l’occident, suprême insulte désormais au Sénégal. Ce fascisme prétend régenter les moeurs, assainir la télévision, et mène un véritable terrorisme intellectuel sur les réseaux sociaux.
Les tenants de cette ligne ont commencé leurs méfaits en 2018 lors de l’affaire Rihanna. Réunis au sein du collectif « Non à la franc-maçonnerie et à l’homosexualité », ils avaient appelé les autorités à annuler la visite de la star dans la capitale sénégalaise pour la conférence de financement du Partenariat mondial pour l’éducation. À l”époque leur cris d’orfraie n’avaient ébranlé personne, beaucoup l’avaient même jugé ridicule, et le Président de la République avait tenu bon face à ces complotistes délirants. Mais pour cette bataille perdue, combien de guerres gagnées depuis lors : notamment le combat culturel et celui des idées. Aujourd’hui le Conseil National pour la Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) n’attend même plus les injonctions de Jamra pour rappeler à l’ordre les producteurs de séries, il parle le langage de Jamra et anticipe ses éventuelles récriminations. Joseph Gai Ramaka -, réalisateur de Carmen, aurait été cloué au pilori ou envoyé sur un bûcher dans le Sénégal d’aujourd’hui…L’un des promoteurs les plus emblématiques de ce mouvement, Cheikh Oumar Diagne, est devenu un héros sur Youtube. Comprenons-nous bien, ceci n’a rien à voir avec l’épreuve judiciaire qu’il subit actuellement et qui lui vaut une détention à la prison de Rebeuss. Cette précaution posée, disons que Cheikh Omar Diagne est la figure la plus illustrative de cette galaxie, un personnage qu’on dirait tout droit sorti d’un roman d’Umberto Eco, qui semble voir des franc-maçons et des Illuminati partout. Sa rhétorique ne diffère guère de celle des forces réactionnaires du 19ème siècle en France dans leur lutte idéologique pour casser la dynamique de la Révolution. Cheikh Oumar Diagne, d’ailleurs, ressemble beaucoup à l’Abbé Barruel, un prélat français qui comme lui voit la main de l’hydre maçonnique dans toutes les “dérives” du monde.Ce qui montre qu’en termes de fascisme, les habits changent, les contextes diffèrent, mais les fondamentaux restent identiques.
Auteur: Adama NDIAYE
Publié le: Mercredi 25 Mai 2022
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