Calendar icon
Thursday 30 October, 2025
Weather icon
á Dakar
Close icon
Se connecter

L’appel du maudit

Auteur: Souleymane Jules Diop

image

« On ne peut jamais savoir ce qu’il peut advenir
d’un homme qui possède à la fois une certaine
conception de ses intérêts et un fusil »
Georges CLEMENCEAU

Le vieillard a le visage délavé, les yeux livides et le regard assombri. Les spécialistes de la retouche n’ont fait aucun effort pour le rajeunir. Il doit rester vieux pour la circonstance. Devant lui se tient sa propre copie en plus jeune, les sourcils froncés, les yeux plissés comme pour affronter un avenir qui certes inquiète, mais ne lui fait pas peur. Il apparaît au premier plan sous des couleurs plus gaies, qui tranchent d’avec la silhouette en noir et blanc du père, la lèvre tuméfiée et le menton replié. Pour le reste, les infographes de Jeune Afrique font preuve d’un grand génie : même costume, même cravate en pois rouge et même chemise blanche au col relevé. On aurait dit un même personnage pris à différentes périodes de sa vie. La photo est quadrillée de lignes assez fines pour signer la perfection de l’œuvre sans gêner la titraille qui l’accompagne. Là aussi, les hommes de Béchir Ben Yahmed déploient un talent hors normes, propre aux biographes des grands dictateurs : « Docteur Karim et Mister Wade ». Ils mettent un grand soin à magnifier le changement des rôles attendu. Le fils qui avait déserté le champ de bataille le 23 et le 27 mars pour laisser le champ libre à l’opposition est revenu en force, au devant de la scène. Il protège un père passé au second plan, fier de transmettre le relais. Tous ces efforts ont été déployés pour préparer un plan de transition qui devait mener à la présidentielle de 2012 et au-delà. Mais tout ce que tente le fils d’Abdoulaye Wade est voué à l’échec. Au lieu de susciter l’enthousiasme, la couverture heurte les consciences. Au lieu de forcer l’admiration, la présence d’un père et d’un fils sur une même page suscite l’indignation. Au lieu de plaire, elle choque. Au lieu de démentir l’existence d’un plan monarchique, la couverture à elle seule le confirme. Les pages élogieuses, signées bien avant le 23 juin, étaient faites pour préparer les Sénégalais à cette donne nouvelle : élire le président et son fils-président sous un même ticket : le « Docteur et le Mister ». Et patatras ! Jeune Afrique ne lui est d’aucun secours. Pas plus que cette lettre sans consistance, pleine de fautes de syntaxe, qui révèle un homme dans la tourmente. L’équipe de « conninication » de Karim Wade déploie une somme d’efforts incommensurables, pour de piètres résultats. Seul motif de consolation, la lettre entretient le débat. On en oubliait la journée du 23 juin et la polémique qu’elle avait fait naître, quand le journal Le Figaro a écrit que Karim Wade a demandé, ce soir-là, l’intervention de l’armée française. Mais ce répit sera de courte durée. Mercredi, l’avocat Robert Bourgi, longtemps accusé de parrainer Wade fils, lui a porté le coup fatal, en confirmant qu’une telle demande lui a été faite et qu’il lui a opposé un refus catégorique. 
Alain Jupé a encore marqué ses distances pour mieux clarifier la position de la France dans cette histoire de succession monarchique. Puisque le but de la manigance de Deauville était bien de donner l’impression que la France avait donné sa caution à ce plan machiavélique. Il n’en est rien. A l’Assemblée nationale où des compatriotes se sont massés mercredi, M. Jupé a demandé au président Wade de s’appliquer le même conseil qu’il a prodiguée à Kadhafi : qu’il parte. Sage conseil donné à un homme seul, lâché par les siens, traqué par le pays tout entier, obligé de se réfugier dans son palais pour négocier une honteuse stratégie de sortie de crise. Personne, pas même dans le Pds, ne veut risquer l’affrontement avec l’opinion pour défendre un homme qui a décidé de trahir son pays, ses alliés, sa famille politique pour installer son fils à la tête du pays. Maintenant qu’il est affaibli, tous ceux qu’il avait humiliés un jour lui tournent le dos. La sortie d’Abdoulaye Baldé illustre bien la débandade de ses troupes et le sentiment de révolte qui les anime. Après les élections locales de 2009, alors qu’il était le seul responsable du Pds à avoir gagné dans une grande ville, le président de la République l’a appelé dans son bureau pour lui proposer de devenir directeur de cabinet de son fils. Une insulte pour Baldé, alors que Karim Wade venait de perdre dans son propre bureau de vote et que tous les ministres défaits avaient été reconduits. L’ancien commissaire y a vu une marque d’ingratitude. Même chose pour Habib Sy, injustement évincé du ministère des Infrastructures. Ce sont ces humiliations que ses camarades de parti lui rappellent. Ils sont seuls à se battre dans la rue, quand Karim Wade voyage en jet privé. Ses deux plus zélés courtisans, Farba et Massaly, ont décidé de ne plus se battre. Ses principaux alliés, Iba Der Thiam, Djibo Kâ et Mamadou Diop Decroix dénoncent un comportement irresponsable et une gestion monocratique. Chacun travaille pour lui-même et essaie d’échapper au naufrage collectif. La semaine dernière, les maires libéraux, invités à se mobiliser pour apporter la riposte à l’opposition, lui ont opposé un refus poli mais ferme. Les jeunes et les femmes regardent faire, démobilisés, démoralisés et tétannisés par la peur de ce qui les attend. Plus personne, dans le Pds, ne croit à la candidature d’Abdoulaye Wade, qui a lui-même déclaré qu’il ne peut plus se présenter. Ses colères qui faisaient peur font rire désormais. Ce n’est pas encore le décès du monarque, mais c’est la fin de sa majesté. Toutes les flèches qu’il décoche lui retombent dessus. La France et les Etats-Unis le somment d’abandonner son projet et de sortir de la course.
Alors qu’il cherchait à se réconcilier avec l’Arabie Saoudite, le roi lui a encore opposé un refus catégorique : pas question de lui accorder la moindre faveur. Il ne peut pas lui fermer les portes de la Mecque, mais il ne lui fera aucune faveur. Les pays arabes sont désemparés, depuis qu’il a publiquement avoué son passé franc-maçon. En voulant plaire à Sarkozy, qui n’en demandait pas tant, il s’est aliéné tous les chefs d’Etat africains qui ont vu d’un mauvais œil son activisme dans le dossier libyen. Il voulait obtenir le consentement de la France, il lui est refusé. Voilà dans quelle galère se termine l’histoire d’Abdoulaye Wade. Un despote a toujours de bons moments, mais ils ne durent jamais longtemps.
Pour revenir à cette demande d’intervention de Karim Wade, elle présente un autre intérêt. Elle donne à notre armée des raisons de rester unie et républicaine. Elle a déjà fait savoir au président Wade que jamais elle ne tirerait sur la foule, que son rôle n’est pas de tuer mais de protéger. S’il lui reste encore un peu de bon sens, Abdoulaye Wade doit arrêter son fils. Il faut que le pouvoir soit une drogue puissante, pour penser que la France peut intervenir dans ce pays au bénéfice d’une monarchie qui s’installe. Au lendemain des déclarations de Robert Bourgi, c’est la démission de Karim Wade qu’il faut exiger et son jugement. Et que tout dialogue commence par une seule exigence : qu’Abdoulaye Wade se conforme à la Constitution et qu’il renonce à la présidentielle de 2012. Tous ceux qui iront négocier avec lui sans ce préalable auront trahi les manifestants du 23 juin. Le courage est devenu, dans la situation présente, une activité sacrificielle. Il nous faut l’avoir à toute épreuve.
SJD
Auteur: Souleymane Jules Diop
Publié le: Jeudi 07 Juillet 2011

Commentaires (0)

Participer à la Discussion