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Ngouda Fall Kane : « Le financement endogène c’est l’idéal mais on ne peut pas se passer du FMI » (1/2)

Auteur: Thiebeu Ndiaye

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Ngouda Fall Kane : « Le financement endogène c’est l’idéal mais on ne peut pas se passer du FMI » (1/2)

S’invitant au débat autour de la morosité des finances publiques et des négociations avec le FMI au point mort, l’Inspecteur général d’État, Ngouda Fall Kane donne son point de vue. Dans cette grande interview accordée à Seneweb, le premier Président de la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) s’est également prononcé sur la polémique sur la supposée dette cachée et sur les stratégies mises en place par le nouveau gouvernement pour remonter la pente. Entretien !

 

 

Le Sénégal fait face à une situation financière difficile exacerbée par la posture du Fmi qui rechigne à accorder au gouvernement de nouveaux crédits suite aux accusations de dette cachée battue en brèche par Macky Sall. Vous-êtes Inspecteur général d’État. Est-ce qu’une dette peut être cachée et quels sont les procédés qui sont utilisés ?

Il est clair que le Sénégal depuis 2024 est dans une position de précarité financière, marquée par un déficit budgétaire très élevé, 14% du PIB (PIB arrêté à un peu plus de 18 000 milliards de francs CFA selon la banque mondiale), couplé à un endettement abyssal avec un taux de l’ordre de 119% du PIB, largement au-dessus des critères de convergence de l'UEMOA. A cela s’ajoute, l’insuffisance des ressources internes (fiscales et extra fiscales) provoquant un déséquilibre de trésorerie quasi permanent.

Cependant, des efforts énormes sont en train d’être faits par les administrations financières en vue de maximiser le rendement des ressources internes.

A ce propos, il est à noter que le Premier ministre avait annoncé une démarche de politique budgétaire, que je partage entièrement, une démarche visant à élargir l’assiette fiscale en vue d’optimiser le rendement fiscal. L’autre mamelle manquante dans cette démarche est, à mon avis, la réduction des taux qui, malheureusement, n’a pas été abordée.

Cette contrainte fondamentale de financement de l’économie sénégalaise est aggravée par les difficultés de notre pays à capter les ressources financières internationales et cela, du fait de nos difficultés actuelles avec le Fond Monétaire International (FMI) qui, je l’espère, seront bientôt levées.

Malgré cette situation morose de l’économie financière sénégalaise, l’État continue à faire face à ses obligations, particulièrement à travers l’appel public à l’épargne dans la zone UEMOA.

Parlant du FMI, il importe de faire remarquer que par-delà ses programmes de financement direct des économies membres, il constitue un passage indispensable pour accéder aux ressources financières internationales, multilatérales et bilatérales.

Il nous faut continuer à discuter avec cette institution avec une parfaite pédagogie de la négociation en évitant certaines critiques à effet bloquant dans nos relations. 

« On ne peut pas se passer du FMI »

Sous ce rapport, comment appréciez-vous la récente déclaration du Premier ministre Ousmane Sonko disant que le sort du Sénégal ne dépend pas du FMI ?

Le Premier ministre n'a pas tout à fait tort, le développement de notre pays exige d’abord de notre part énormément d’efforts. Toutefois, le déphasage permanent entre besoins de financement et capacités de financement lié à notre situation d’économie sous développée, exige de notre pays un recours aux ressources extérieures donc à l’endettement, mais il faut bien s’endetter. Le FMI devient ainsi un passage obligé entre nous et l’économie internationale.

Donc, on ne peut pas s'en passer…

Non, on ne peut pas s'en passer. Je l’ai déjà dit et j’insiste là-dessus. Je soutiens également que l’effort interne des Sénégalais est indispensable pour le développement économique et social du Sénégal. Mais nous avons besoin du reste du monde, du financement extérieur.

Le financement endogène, je veux bien c’est l’idéal. Mais il est encore insuffisant du fait même de l’insuffisance de l’épargne intérieur et des ressources fiscales.

Il faut qu'on puisse faire appel au financement extérieur. Et pour cela, nous avons nécessairement besoin des institutions de Bretton Woods. Nous avons abordé plus haut les propos du premier ministre et je vous dis qu’il n'a pas tout à fait tort, mais moi je lui aurais suggéré de laisser le traitement de ce dossier entre les mains du ministre en charge des finances et du ministre en charge de l'économie. Il pourra leur donner les instructions qui conviennent à travers les démarches administratives appropriées. Il faut qu’on les laisse gérer ce dossier. Certains hommes politiques doivent également savoir raison garder. Ce pays nous appartient. S’il y a des difficultés, nous le sentirons tous sans exception. Évitons de mettre de l’huile sur le feu.

« Je suggère au PM de moins se prononcer sur le dossier du FMI »

Donc les intrusions du Premier ministre créent la cacophonie, selon vous ?

Non, je ne dis pas que ça crée la cacophonie. Mais moi je lui aurais suggéré de se prononcer moins sur ce dossier-là et de laisser les ministères techniques (finance et économie) le gérer. Il a fait ce qu'il devait faire. Il s'est battu pour mettre en place un plan de redressement économique et social (PRES) qui était d’une urgence pressante.

Mais celui-ci est bâti sur le financement endogène à 90%...

Cela dépend de ce qu'on entend par financement endogène. S’il s’agit de s'en limiter uniquement au Sénégal, le financement endogène est insuffisant. Je le dis et je persiste. Mais si on peut considérer comme endogène le financement interne et celui du marché financier de l’UEMOA où nous continuons à capter des fonds, par Appel Public à l’Épargne, je dis que l’approche n’est pas impertinente. Nous sommes en union, nous appartenons à une zone. On peut extrapoler sur le terme endogène pour intégrer cette zone. Le financement interne n’est pas suffisant, parce que l'épargne est insuffisante.

Pour promouvoir l'épargne, il faut encourager l’investissement et accroître le pouvoir d’achat des ménages. Enfin, on ne peut pas trop tirer sur l'impôt, trop d'impôt tue l'impôt.

A ce propos, quelle appréciation faites-vous des nouvelles taxes qui ont été votées à l’Assemblée nationale ?

Je n’ai aucune appréciation particulière à ce niveau mais je demeure convaincu qu’il nous faut éviter de renforcer la pression fiscale qui pourrait être préjudiciable aux entreprises et aux ménages.

En sus du financement endogène, il faut aujourd'hui, avoir une ouverture à l'extérieur, pour pouvoir capter les ressources internationales. Nous en avons besoin. Heureusement que nous évoluons vers la mise en place d'un programme avec le FMI. Ça évolue, malgré les déclarations des uns et des autres.

Il convient également dans une démarche géopolitique que je juge pertinente de diversifier les sources de financement internationales par appel notamment aux pays asiatiques et aux pays arabes.

S’agissant des accusations « de dette cachée », que retenir finalement ?

Je ne vais pas aborder cette question sous l’angle de ce que vous appelez « la dette cachée ». Ce que je retiens c’est qu’un audit de la situation financière de l’État a été effectué sur la période 2019-2024, audit certifié par un audit contradictoire de la Cour des comptes. Cet audit a fait ressortir que des emprunts contractés n’ont pas été retracés dans la comptabilité de l’État.

En conséquence, pour l’ancien comptable direct du Trésor que je suis, toutes ressources publiques non retracées dans les livres du Trésor demeurent une ressource inconnue. Ceci est d’une extrême gravité lorsque les auditeurs arrivent à identifier les montants non répertoriés dans les écritures du Trésor et leurs destinations.

La Cour des Comptes a fait un excellent travail qui a permis de repréciser le niveau du déficit budgétaire et le taux d’endettement du Sénégal.

Enfin, il s’y ajoute que toutes dépenses publiques effectuées en dehors du circuit légal du Trésor public (remboursement de dette non enregistrée) est également d’une extrême gravité.

Il appartient à la justice de tirer les conséquences des constats du rapport de la Cour des Comptes qui, à mon avis, n’ont pas été infirmés ni par le cabinet Mazars, ni par le FMI.

« La BCEAO ne gère pas le budget de l’État »

Comment est-ce possible qu’on ne puisse pas retracer les emprunts de l’État du moment où, comme le disent certains experts, les emprunts passent par la BCEAO ?

A ce propos, il faut signaler que la BCEAO ne peut donner que ce qu’elle a reçu. Autrement dit, la BCEAO ne peut fournir que les informations financières qu’elle a enregistrées pour le compte de l’État. De plus, il convient de préciser que la BCEAO ne gère pas le budget de l’État, mais de façon particulière, le compte global de l’État dans ses écritures qui doit en principe enregistrer toutes les opérations financières de l’État.

Donc l'argumentaire de Macky Sall ne tient pas la route ?

Je ne préfère pas rentrer dans ce débat à connotation politique. Ce que je dis c’est que la BCEAO ne peut retracer que ce qu’elle a reçu.

De même, les corps de contrôle ne peuvent être à priori, au courant des opérations non retracées dans les écritures du Trésor sans procéder à un contrôle. L’audit qui a permis d’identifier les irrégularités financières dont on parle aujourd’hui a été effectué par la Cour des Comptes (repris par le cabinet Mazars) et ce, en application de la loi de 2012 sur la transparence dans la gestion des finances publiques.

De façon globale, les corps de contrôle (IGE, Cours des Comptes, IGF…) au cours de leurs missions de contrôle et d’enquête ont eu à retracer dans leurs rapports, sans ambigüité toutes les irrégularités constatées dans la gestion des finances de l’État et des collectivités territoriales.

De même la BCEAO dans la gestion du compte de l’État dans ses livres, informe régulièrement les autorités financières des manquements constatés. 

C'est vrai qu'à un moment donné, on a pointé du doigt la responsabilité de la Cour de comptes. Qu’en est-il réellement ?

Ceux qui accusent la Cour des Comptes, à mon avis, ne comprennent pas la démarche de la Cour en matière du contrôle des comptes de l’État. Il serait important qu’ils examinent la loi organique relative à la Cour des Comptes pour s’imprégner de sa démarche et de ses prérogatives. Cela est valable également pour les autres organes de contrôle.

Pour en revenir à la Cour des Comptes, elle procède régulièrement aux contrôles sur pièce, des comptes des comptables publics mais également des contrôles sur place, sur la base d’un programme préétabli comme du reste l’Inspection Générale d’État (IGE).

Elle fait à l’issu de ces contrôles des propositions en termes d’amélioration du dispositif de gestion des finances de l’État mais prononce également des sanctions au cas où des irrégularités sont identifiées. Ces sanctions peuvent aboutir à la saisine de la justice par procédé des référés à adresser au Ministre de la Justice, Garde des Sceaux.

Certains qualifient cette dette cachée à de l'ingénierie financière, c'est-à-dire que l'État permet aux sociétés parapubliques d'aller emprunter sur le marché international. C’est ce qui expliquerait, selon eux, cette dette qui n’a pas été retracée. Quelle analyse en faites-vous ?

Je préfère m’en tenir, sans rentrer dans ce que vous appelez «ingénierie financière», à l’excellent travail qui a été fait par la Cour des Comptes et qui n’a pas été contredit ni par le cabinet Mazars ni par le FMI.

Quand on parle de dette cachée on sous-entend aussi des détournements de deniers publics qui vont de pair avec le blanchiment d’argent, combattu par la CENTIF. Pouvez-vous nous parler de votre expérience en tant que premier président de la CENTIF et les principaux défis que vous avez rencontrés ?

 

Je voudrais d’abord insister sur le fait que toutes les ressources publiques qui doivent abonder les comptes du Trésor et qui sont allés ailleurs constituent des détournements de deniers publics.

Au cas où ces ressources publiques découlent d’emprunts, vous pouvez l’appeler comme vous voulez (dette cachée ou autre) mais ce qui est constant, c’est que ce sont des ressources inconnues du Trésor.

Le détournement de deniers publics comme vous le savez, est une infraction de base du blanchiment d’argent. On ne détourne pas pour brûler l’argent mais pour acquérir des biens où l’intégrer dans le circuit financier légal.

C’est à partir de là que la Cellule de Renseignement Financier qu’est la CENTIF peut entrer en action si elle est saisie d’informations financières provenant des assujettis à l’obligation de déclaration des opérations suspectes.

À suivre…

Entretien réalisé par Thiebeu NDIAYE

Auteur: Thiebeu Ndiaye
Publié le: Jeudi 16 Octobre 2025

Commentaires (6)

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    Vérité absolue il y a 7 heures

    Claire Net et précis

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    Haut Fonctionnaire il y a 6 heures

    C'est un très Grand Fonctionnaire à l'image de Boubacar Camara et même de Mactar Cissé, leur erreur est de s'afficher dans la scène politique parfois avec haine parfois avec naïveté parfois avec un ego surdimenssionné

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    Faux! il y a 5 heures

    L'Afrique de l'ouest peut faire sa proper création monétaire. Il faut simplement avoir le contrôle total de l'or pour l'utiliser comme levier. Le fmi n'a pas D'argent elle fait simplement de la création monétaire avec ses fonds propres comme levier.

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    bya il y a 4 heures

    je croyais que Pastef n a pas besoin du FMI ? Ou bien ils ont baissé finalement leur froc

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    citoyen il y a 4 heures

    Les sudistes entrainent une animosité sans précédente entre sénégalais. Jamais dans l'histoire une pareille division sociale ne s'est produite au pays de la téranga. Ils ont le coeur carbonisé ces rancuniers. Je cite gni gueneu sokhor pastef : SONKO, GUY MARIUS SAGNA, AYIB DAFFE, WALY DIOUF BODIANG ETC...Tous du sud !

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    Patriote il y a 3 heures

    Meme si c’est vrai, un panafricain ne peut plus admettre cela. On doit avoir la mentalité que le FMi n’existe plus. Ça doit être un bonus et non une dépendance. Aussi, il faut investir cet argent de la dette et rembourser avec les profits qu’on aura. Mais emprunter pour payer les soldes et les factures c’est s’enfoncer dans la boue.

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    Barma Fall il y a 6 heures

    Votre avis de vrai patriote ne se discute point mais nous autres qui avions voté pour le changement total, ajoutons que le Sénégal ne pourra se construire que par lui même .

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    cheikh il y a 6 heures

    Il faut traduire cet interview et en faire un audio dans toutes les langues du pays. C'est clair et net.

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    Makadaam il y a 5 heures

    On ne peut se passer du FMI ?! cela s'est de l'école, les Baol-baol ont appris qu'ils peuvent devenir des mastersdone de l'entrepenariat sans levé de fond parce qu on est leur pas fait de lavage de cerveau a l ecole.

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    x il y a 5 heures

    pour le moment peut être...mais bien des pays ont mis le FMI a la porte dont la Turquie😔

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    PATRIOTE il y a 5 heures

    Avis d'expert. C'est excellent!

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