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Wednesday 03 September, 2025
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[Zoom sur…] Pêche et exploitation de gaz à Saint-Louis : L’impossible cohabitation ! 1/5

Auteur: Thiebeu NDIAYE, Bara Diouf et Oumar Samb

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Après l’extraction du ‘’first gas’’ en janvier dernier, le champ gazier Grand tortue ahmeyim (GTA), situé aux larges des côtes sénégalo-mauritaniennes, a livré ses premières cargaisons de gaz naturel liquéfié (GNL), le 17 avril dernier. Installant ainsi le Sénégal et de son voisin mauritanien au banquet des pays producteurs de gaz. Mais, si les deux États jubilent, attendant avec impatience la manne financière issue de l’exploitation de cette ressource énergétique fossile, les pêcheurs de Guet Ndar, eux, ruminent leur colère. Interdit d’accès à ‘’Diattara’’ (le récif rocheux naturel situé à 10 km aux larges) où BP a implanté le Hub gazier de GTA, les acteurs de la filière pêche artisanale -impactés directs de l’exploitation gazière- engagent l’ultime combat pour leur survie.
 
Une silhouette noire aux reflets d’une petite ville érigée au large de l’océan se dresse sur la façade maritime de la flèche littorale de Saint-Louis communément appelée la langue de barbarie. Il s’agit du hub gazier de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), qui cristallise à lui-seul les espoirs des peuples sénégalais et mauritaniens.
 
Le champ gazier qui est entré dans sa phase d’exploitation en janvier 2025 avec ‘’le first gas’’, commence à livrer ses premiers fruits avec une première cargaison de gaz naturel liquéfié (GNL) de 178 000 m³ vendu en février 2025. Une deuxième cargaison de 168 426 m³ de GNL, soit 3,83 millions de MMBtu a également été livrée le 15 mai dernier au moment où la production monte en puissance avec des prévisions de 207 737 Nm³ pour le mois en cours. Une manne financière qui fait certes saliver sur les deux rives du fleuve Sénégal, mais intensifie parallèlement le courroux de la population de Guet Ndar, la principale impactée.
 
Les récentes réactions de fierté des autorités des deux pays saluant les avancées significatives à GTA semblent étouffer les cris d’orfraie poussés par les habitants de ce quartier de pêcheurs de Saint-Louis, privés de leur principale source de subsistance. 
 
À Guet Ndar, le temps s’est littéralement figé depuis que GTA a déclenché ses turbines de liquéfaction de gaz. Les résidents (composés de pêcheurs pour la plupart) ne savent plus où donner de la tête face à ce ‘’monstre’’ qui menace de les réduire à la pauvreté. Ici, comme dans toute la région de Saint-Louis, l'économie locale du gaz n'est qu'une chimère à laquelle plus personne ne croit. Le voisin à 10 kilomètres au large des côtes, lui, suscite rejet et colère noire. Surtout chez la communauté de pêcheurs qui vit quasi essentiellement des ressources halieutiques.
 
Depuis l'installation de cet hôte encombrant, toute la chaîne de valeur de la pêche est impactée. Du pêcheur au mareyeur en passant par les revendeurs et les femmes transformatrices de ressources halieutiques, tous ou presque risquent de mettre la clé sous le paillasson. La situation se ressent jusque dans l'assiette. En effet, le célèbre ‘’thiebou ndar’’ qui fait courir autochtones, touristes et visiteurs, perd peu à peu sa saveur d'antan car l'élément essentiel qui en relève le goût, le poisson, commence à se faire rare.
 
‘’Diattara’’, le récif naturel à l’origine du conflit entre BP et les pêcheurs  
 
Habillé d’un ensemble jogging rouge et blanc, Papa Nalla Diop (pêcheur) porte le message de milliers de Guet Ndarois sous ses habits. « GTA menace la pêche artisanale à Guet Ndar », lit-on sur son t-shirt. En effet, ici, l'impact de l'exploitation gazière sur la pêche n'est plus une simple menace, c'est devenu une réalité atroce que les pêcheurs essayent d’accepter à leur corps défendant.
 
Prostré, fixant l’océan du regard perdu, en cet après-midi ensoleillé, Papa Nalla laisse exploser sa colère sous le masque chirurgical qui lui bande le nez et la bouche. « On nous avait promis une cohabitation fructueuse et sans heurt entre la pêche et l’exploitation de gaz. À l’arrivé c’est le contraire qui s’est produit », lâche-t-il avec amertume. Prenant de court les pêcheurs, l’opérateur britannique qui exploite le champ gazier a allègrement violé ce pacte de non-agression, gage d’une cohabitation apaisée.
 
A l’origine de ce conflit : ‘’Diattara’’, le très poissonneux récif rocheux naturel situé à 10 kilomètres au large qui nourrit Get Ndar depuis plusieurs générations. « Diattara est un très énorme récif naturel qui mesure 4 kilomètres de longueur, 700 mètres de largeur et une profondeur de 33 mètres. Les 3,8 kilomètres sont sur le territoire sénégalais et les 200 mètres sur le territoire mauritanien. C’est ce récif qu’exploite la pêche artisanale à Guet Ndar », explique Papa Nalla qui ajoute : « le champ de GTA est situé à 125 kilomètres aux larges des côtes avec une profondeur de 2850 mètres. Donc BP avait impérativement besoin de se rapprocher du rivage pour implanter ses deux stations : une unité flottante (Fpso) à 40 kilomètres pour le prétraitement du gaz et un terminal offshore (hub gazier) à 10 kilomètres ».
 
C’est le lieu d’implantation de ce hub qui a créé le conflit. En effet, le terminal gazier en mer, une installation qui a besoin d’une protection contre la houle, est muni d’un brise-lames. Celui-ci est une infrastructure artificielle conçue pour réduire les effets des vagues et des courants. Il permet, ainsi, de créer un environnement marin plus stable et plus sécurisé pour les opérations de liquéfaction, de stockage et de transport du gaz naturel liquéfié (GNL). Ce brise-lames, une énorme structure en béton, est constitué de 21 caissons. D’un poids de 16000 tonnes, chaque caisson mesure 55 mètres de long sur 28 mètres de large et 32 mètres de hauteur.
 
L’opérateur rechigne à appliquer les mesures compensatoires
 
« Le récif de Diattara est donc le seul emplacement, de par sa taille, pouvant supporter une structure de ce poids. BP a donc décidé d’y installer son brise-lames, nous excluant ainsi d’une zone cruciale pour nos activités économiques », rouspète-t-il. Selon Mamadou Sarr, président de la commission environnement de l’association des Pêcheurs Artisanaux à la Ligne de Saint-Louis (APALS) un accord avait été trouvé pour permettre aux pêcheurs de poursuivre leur activité jusqu’à 500 mètres des installations, représentant la zone d’exclusion. Seulement, cela n’a jamais été respecté puisque toute pirogue qui s’approche du hub à 3 kilomètres est systématiquement mise aux arrêts par la marine sénégalaise ou mauritanienne.
 
En compensations, l’opérateur BP s’était engagé, dans le cadre de l’application des recommandations de l’étude d’impact environnemental et social, à fabriquer 12 récifs artificiels afin d’assurer la pérennité de l’activité de pêche. Une promesse qu’il peine toujours à honorer malgré le fait que les pêcheurs de Guet Ndar aient drastiquement revu leurs attentes à la baisse. Aujourd’hui, ils se battent pour qu’au moins un seul récif artificiel soit mis à l’eau afin de restituer la biodiversité.
 
Impacts sur l’environnement et risque de catastrophe
 
À côté de l’impact sur la pêche, les premières conséquences de l’exploitation gazière sur l’environnement ont très tôt commencé avec les annonces de fuite de gaz (détecté le 19 février) que les autorités ont tenté d’étouffer. Présidente des femmes transformatrices de ressources halieutiques et militante engagée pour la cause de Guet Ndar, Fama Sarr craint pire que la confiscation de Diattara : les risques de catastrophe. « On ne voit aucune mesure de prévention de catastrophe alors que l’exploitation est en train d'impacter l’environnement surtout avec ce torchage de gaz », souligne-t-elle.
 
Le torchage entraîne, en effet, la combustion incomplète du méthane, un puissant gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement est plus de 80 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone. Une pollution de l’air dont les effets immédiats et à long terme restent pour le moment méconnus. De même que les conséquences des récentes fuites de gaz sur la biodiversité marine.
 
Face à ces effets potentiellement néfastes sur l’environnement, Baye Salla Mar, conseiller municipal à la ville de Saint-Louis et président de l’Alliance des écologistes du Sénégal (ADES), plaide pour une application rigoureuse des mesures d’atténuation listées par l’étude d’impact environnemental et social.
 
Auteur: Thiebeu NDIAYE, Bara Diouf et Oumar Samb

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