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Alerte sur les amas coquilliers du Delta du Saloum

Auteur: Mbaye Sadikh

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Alerte sur les amas coquilliers du Delta du Saloum

Les amas coquilliers de Toubacouta nécessitent une action de protection d'urgence afin de sauver un patrimoine culturel en péril. D’où le lancement d’un projet porté par l’UCAD, la Direction du patrimoine culturel et l’UNESCO.

Sur la paume du Directeur du patrimoine culturel reposent deux morceaux de pierre apparemment sans valeur. Mais à voir l’attention toute particulière que Omar Badiane accorde à ce qu’il vient de ramasser, on ne peut s’empêcher de s’interroger. En réalité, ces deux fragments sont la preuve d’un patrimoine culturel en danger. Il s’agit de deux tessons de poterie trouvés sur le grand site des amas coquilliers du Delta du Saloum. Ces îles aux coquillages, classées patrimoine mondial de l’UNESCO en 2011, sont aujourd’hui menacées de disparition sous l’effet de l’avancée de la mer.

Ce jour-là, une délégation tripartite composée de chercheurs de l’UCAD, de la Direction du patrimoine culturel et de l’UNESCO s’est rendue sur les lieux pour constater de visu les dommages subis par les îles aux coquillages. La couche blanche et propre qui apparaît sur la façade maritime des amas constitue le meilleur témoin de l’avancée des eaux, qui atteint désormais les entrailles des tumuli. D’où l’apparition en plein jour d’ossements et de débris de vases.

À cela s’ajoutent des illustrations flagrantes des dégâts, comme cet arbre autrefois solidement perché sur les amas et maintenant couché sur l’eau. « En 2014, j’ai écrit un article pour alerter sur les risques. À l’époque, cet arbre était au milieu des coquillages », se souvient le Pr Moustapha Sall, archéologue à l’UCAD. Un guide touristique cite l’exemple d’un baobab qui se trouvait à environ six mètres de l’eau et qui a aujourd’hui totalement disparu.

Il s’avère donc nécessaire d’agir en urgence pour protéger le site. D’où le lancement, le samedi 29 novembre 2025 à Toubacouta, du projet intitulé « Mesures de sauvegarde d’urgence des amas coquilliers du Delta du Saloum contre l’érosion côtière ». Ce projet réunit l’UCAD, responsable du volet scientifique, le ministère de la Culture, tutelle étatique, ainsi que l’UNESCO, partenaire technique et financier.

Sur le site, les visiteurs ont eu droit à un exposé du Pr Moustapha Sall sur le processus de formation des amas coquilliers.

À l’origine, explique-t-il, il s’agissait d’une exploitation des huîtres pour les besoins de la consommation. Les huîtres étaient récoltées et bouillies, la chair récupérée, et les coquillages jetés sous forme de déchets. Face à cette accumulation, les insulaires ont ensuite eu l’idée d’y enterrer leurs morts, adoptant tout un ensemble de pratiques culturelles témoignant des croyances de l’époque.

Aujourd’hui encore, la récolte des arches et des huîtres constitue un lien entre le passé et le présent. « Depuis le 1er millénaire jusqu’à aujourd’hui, l’activité qui est à l’origine des amas coquilliers se poursuit. Vous allez à Sipo, vous allez partout dans le Delta : selon les périodes, on ne fait que récolter les arches puis jeter les coquilles. Cela montre que cette pratique millénaire est toujours d’actualité », détaille Moustapha Sall.

L’État a ouvert la boîte de Pandore

Mais pour qu’il y ait demain des visiteurs et des récits de sachants, il faut agir maintenant. Sinon, le Pr Sall et ses collègues devront renoncer définitivement à leurs ambitions de fouilles archéologiques dans le Delta du Saloum. Et ils ne seront pas les seuls. Les nombreux touristes étrangers présents sur les lieux devront également chercher ailleurs un endroit aussi paradisiaque. Ici, la nature offre un paysage d’une beauté exceptionnelle : clarté de l’eau, pureté de l’air, mangrove, coucher du soleil, chant des oiseaux… Tout concourt à faire de cette île un site aux atouts touristiques, culturels, économiques et patrimoniaux uniques.

Mais la rupture de la bande sableuse de Sangomar en 1987 a tout changé. Depuis cette date, l’arrivée du sable reste une menace pour la mangrove, barrière naturelle des îles aux coquillages. Il y a aussi les pressions anthropiques. Moustapha Sall rappelle que c’est l’État du Sénégal qui a utilisé le coquillage pour la première fois dans la construction d’une route en 2007. Depuis, les populations ont suivi son exemple. Certains en ont utilisé pour bâtir leur maison ; d’autres en ont fait une activité commerciale.

Cette double action, naturelle et humaine, a fini par porter un sérieux coup à ce site exceptionnel. « De manière générale, on peut dire que l’état de conservation des amas coquilliers est bon. Cependant, il existe aujourd’hui un défi lié au changement climatique et à l’érosion côtière. Sur les principaux sites, qui sont une véritable attraction scientifique et populaire, des mesures urgentes doivent être envisagées », reconnaît le Directeur du patrimoine culturel, Oumar Badiane.

Disposer de données scientifiques

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’intervention de l’équipe de l’UCAD. À vue d’œil, il ne fait aucun doute que les amas coquilliers cèdent sous l’effet des vagues. Le constat est évident. Mais il faut documenter cette réalité afin de disposer de données scientifiques permettant une meilleure connaissance du terrain et une intervention adaptée. La méthode retenue consiste à constituer trois groupes de chercheurs — aquatique, aérien (drone) et terrestre — afin de cartographier et d’inventorier à nouveau le site pour déterminer avec exactitude la surface perdue, la vitesse d’avancée des eaux, le nombre de tumulus menacés, etc.

À Diorom Bumak, par exemple, parmi les huit tombes répertoriées, les chercheurs ont recueilli les coordonnées géographiques, les mensurations et toutes les autres informations jugées importantes sur ces nécropoles. Le travail permettra également de confronter les anciennes datations aux avancées technologiques, afin de les confirmer ou de les infirmer. Les chercheurs espèrent aussi obtenir davantage d’informations sur les populations ayant formé ces tumulus, notamment leur ADN.

Pour l’instant, les travaux scientifiques permettent d’affirmer que le site appelé Diorom Budaw présente la plus grande urgence. « Ici, les tumulus sont situés sur le rivage, contrairement à Diorom Bumak où ils se trouvent au centre du site », souligne un membre de l’équipe de l’UCAD.

Comment alors protéger ces sites menacés ? La question reste ouverte. Sur certaines parties, le reboisement de la mangrove a fonctionné et protège une partie du site. Cependant, dans d’autres zones, la présence de sable a limité cette option. Il faut donc envisager d’autres méthodes, probablement avec l’intervention d’ingénieurs en génie civil. D’où l’importance d’une approche pluridisciplinaire pour trouver la meilleure réponse.

« Un seul tumulus peut remplir tout un musée »

En attendant, afin de mieux sauvegarder ce patrimoine, les chercheurs préconisent de fouiller les tumulus pendant qu’ils sont encore intacts. « Un seul tumulus peut remplir tout un musée », indique Moustapha Sall. Ce travail permettrait de faire fonctionner le centre d’interprétation de Toubacouta, prévu comme lieu de passage obligatoire avant la visite du site. Les touristes y bénéficieront d’une présentation complète — images à l’appui — avant de découvrir la réalité du terrain.

Au-delà de la préservation du site, l’objectif est de valoriser davantage le potentiel touristique et culturel des îles du Saloum. Le centre d’interprétation fonctionnera alors pleinement, de même que le village artisanal aujourd’hui déserté par les artisans. Avec ce projet, les guides seront formés afin d’offrir un récit scientifique harmonisé. Un ticket d’entrée sera également instauré.

Tout cela permettra non seulement de générer des revenus pour la municipalité, mais aussi d’assurer une gestion rationnelle des flux de visiteurs, afin de limiter la pression sur le site et structurer l’économie autour de cet écosystème. « Sur les sites où il existe un réel potentiel, si les touristes ne restent que deux à trois jours, c’est du gâchis. L’idéal est de trouver une articulation permettant de mettre en valeur tout le patrimoine de ces terroirs, afin de prolonger les séjours, en renforçant le circuit et le dispositif d’accueil », argumente Oumar Badiane.

Pour réussir ce pari, il est nécessaire de relever le défi de l’appropriation communautaire. Autrement dit, informer les populations sur ce qui se passe. Car jusqu’ici, reconnaît le Directeur du patrimoine, la protection du site est perçue comme une affaire de l’UNESCO et de la Direction du patrimoine culturel.

« Au-delà de l’activité de recherche, il est important de mettre en place un véritable programme capable de renforcer les dispositifs d’éducation et de diffusion de l’information auprès des populations, du secteur du tourisme qui profite de ce que le pays a de plus beau, mais aussi auprès d’autres acteurs tels que les associations, les ONG et les communautés elles-mêmes », conclut Badiane.

Une dynamique a été enclenchée avec le lancement du projet conjoint. Les parties prenantes espèrent qu’elle sera maintenue pour le plus grand bien de la localité, mais aussi du Sénégal qui, à travers les amas de Toubacouta, dispose de la plus grande île aux coquillages dans le monde.

Auteur: Mbaye Sadikh
Publié le: Mardi 09 Décembre 2025

Commentaires (2)

  • image
    BEBERT il y a 1 heure

    Effort pour cet article qui nous change du client...............bravo

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    yaram il y a 58 minutes

    les cimetières ca tient à rien. c est juste une question de temps avant que des gens qui se disent scientifique ouvrent les tombes pour en fin de compte exposer les cranes humains et des restes. il n y a point de repos sur cette terre

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