Dans la Langue de Barbarie, la pratique de la mer est statistiquement très meurtrière, avec environ une quarantaine de personnes qui perdent la vie chaque année. Pourtant, après la disparition récente de 12 pêcheurs, malgré les funérailles organisées mardi par les familles des disparus, l’angoisse et l’espoir font aujourd’hui partie du quotidien de leurs proches. En descendant le pont Moustaph Malick Gaye, la Langue de Barbarie s’ouvre grandement et l’on découvre le populeux quartier de Guet Ndar à gauche et à droite, les quartiers de Ndar Toute, Santhiaba, Gokhou Mbacc. En plus de la promiscuité dans laquelle vivent la plupart des familles qui l’habitent, l’avancée de la mer constitue un cauchemar pour les populations. La disparition des pêcheurs en haute mer est venue se greffer à leurs différents problèmes. Trop nombreuses sont les tragédies qui endeuillent régulièrement ces pêcheurs qui n’ont que leurs pirogues pour survivre. L’océan est source de vie pour ces pêcheurs, mais constitue aussi un univers hostile et dangereux. Accidents, morts ou disparitions font partie du quotidien de leurs familles. Les habitants de la rue Capitaine Thomas, à Ndar Toute, portent aujourd’hui le deuil des 12 pêcheurs partis en mer et dont les corps n’ont toujours pas été retrouvés. A quelques encablures de la mer se trouve le domicile d’Assane Niang, propriétaire de la pirogue. En ce début d’après-midi, la cour de cette concession, pas plus vaste qu’une cellule de prison, est littéralement envahie. Et toute la détresse de la disparition d’un être cher se voit dans l’attitude de ses occupants. L’atmosphère est pesante et, de temps à autres, quelques gens viennent présenter leurs condoléances. Et le défilé continue.
L’espoir de revoir ses enfantsAu milieu de la cour, Assane Niang, écrasé par le poids de l’âge, est entouré de sa famille. Malgré son visage qui traduit toute sa douleur, il tente de se réconcilier avec la réalité de la perte de ses deux fils - Ousseynou Niang, capitaine de la pirogue et Abdou Khadre Niang - et de ses neveux tous portés disparus. Stoïque, il raconte : « j’ai acheté cette pirogue il y a sept mois et elle allait en mer deux fois par mois. La dernière fois que mes fils ont embarqué, c’était le mardi 19 juillet à 18 heures. Ils étaient au total 12 à bord. Et à la veille de leur retour, ils appelaient pour nous prévenir. Mais pour cette fois-ci, ils ne l’ont pas fait. Notre équipage est parti en mer pendant deux jours pour les retrouver, en vain ». Depuis, c’est la détresse totale qui a envahi le vieux Assane, sa famille, celles des autres disparus et toute la Langue de barbarie. Un véritable cauchemar ! S’en est suivie une très longue attente, mais les éléments de réponse tardent encore. Le vieux Assane Niang est toutefois optimiste. Il garde toujours l’espoir de revoir ses enfants et neveux. Alors pourquoi avoir organisé ces funérailles ? Il estime tout simplement que c’était par nécessité. Ils n’avaient comme unique recours que l’organisation de ces funérailles, suivies d’une cérémonie de trois jours ce jeudi (ndlr-hier). « Du matériel provenant de la pirogue et qui m’appartient a été retrouvé à Balwakh, localité située à 60 km de Nouakchott, mais on a retrouvé nulle part des débris de l’embarcation, encore moins les corps de leurs occupant. Cela signifie que nos pêcheurs peuvent bien être vivants et en Mauritanie. Il y a donc des raisons d’espérer », indique ce père de famille qui ne cède pas au découragement. Pour Amadou Seck, qui a aussi perdu un de ses fils, Moustapha Seck, les recherches n’ont pas été très poussées. Selon lui, le service des Pêches a limité ses recherches dans les eaux sénégalaises. « Nous ne perdons pas espoir car des pêcheurs portés disparus ont été retrouvés un mois et sept jours plus tard. Nous espérons que nos enfants auront cette même chance », soutient-il.
La perte des soutiens de familleBlottie dans sa chambre, Mame Mbayang Dieng, la femme d’Ousseynou Niang, fait de son mieux pour contenir ses émotions. Mère de deux enfants, cette dame, qui attend un bébé, n’est pas encore prête à accepter la mort de son époux. « Je ne dors plus la nuit et ne mange plus. Mon époux était tout pour moi. Et je ne peux pas me résoudre à l’idée qu’il est parti et que je ne le reverrai plus jamais » soutient-elle. Aujourd’hui cette jeune dame, qui n’a même pas porté le deuil, attend la délivrance. Et elle se donne un délai de trois mois pour accepter la volonté divine. Si l’espoir subsiste toujours chez cette bonne dame, Ndèye Aïssa Camara, elle, s’est résignée. Pour la mère d’Ablaye Guèye, il ne fait aucun doute que son fils est mort. « C’était mon deuxième enfant et il était mon soutien, mon tout. Il était gentil, généreux et a toujours veillé à ce que je ne manque de rien. Son rêve c’était de s’acheter du matériel pour ne plus dépendre de personne. Je ne peux que m’en remettre à Dieu », indique-t-elle d’une voix sanglotante. Après 23 jours de disparition, le vieux Assane Niang prie et reste à l’affût de la moindre information qui pourrait lui apprendre davantage au sujet des disparus. C’est le brin d’espoir auquel s’accroche ce pêcheur aujourd’hui à la retraite que seul la vue des corps de ses fils pourrait véritablement convaincre de leur mort.
Samba Oumar FALL
Auteur: Le soleil
Publié le: Vendredi 12 Août 2011
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