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(Quartier à la Une) – Rebeuss : Quand une maladie donne son nom au quartier

Auteur: Chamsidine Sané

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Photo : Seneweb.com (Par Boubacar Badji)

À prononcer le mot «Rebeuss», c’est l’image de la célèbre prison de Dakar qui défile dans les esprits. La citadelle du silence a accueilli des célébrités comme Thione Seck, Karim Wade, Taïb Socé et autres pour des raisons diverses. Cette prison est allée jusqu’à accaparer le nom du quartier où elle est construite. Pourtant, la prison a trouvé le quartier déjà existant. Mais elle est devenue plus célèbre.

Paradoxe ou ironie du sort, le nom du quartier est tiré d’une maladie qui terrorisait les visiteurs du coin, Larva migrans ou Larbish. Ce qu’on appelle en Wolof «Arbis». Un quartier pourtant pas comme les autres, Rebeuss a une histoire. Une histoire originale.

Trouvé dans le salon de sa demeure familiale héritée de son pater Thierno Daouda Sy, Cheikh Tidiane Sy, imam de la mosquée de Rebeuss, nous raconte la provenance du nom du quartier. «Ce que j’ai glané auprès des sages du quartier, au départ, avant l’implantation de la population, c'est que cette contrée était constituée de flaques d’eau et des rizières. Pendant l’hivernage, pour ne pas dire tous les visiteurs, mais la plupart des gens qui fréquentent ce milieu, contractaient la maladie Larva migrans ou Larbish qui affecte l’intérieur des doigts des pieds. C’est delà, avec les déformations, que le nom «Rebeuss» est donné à cette contrée très fréquentée par les habitants du plateau au début du 20e siècle.

En ce qui concerne la date de création du quartier, nos interlocuteurs n’ont pas pu répondre à la question. D’abord Ass Diack délégué du quartier et jeune frère de Lamine Diack, ancien président de l’Iaaf, nous a servi comme réponse : «J’ai 86 ans. Je suis né ici (à Rebeuss, NDLR) et j’ai trouvé des aînés et des parents». Espérant trouver la réponse auprès de Demba Sy qui fait partie des sages du quartier, la même réponse que le délégué de quartier nous a été servie.

L’Imam, Cheikh Tidiane Sy non plus, ne peut pas donner la date exacte de la création du quartier de Rebeuss, mais dit mieux. «D’après ce que j’ai glané des anciens, c’est la même période qu’on a construit le palais présidentiel, ancienne résidence du Gouverneur de l’Aof». La construction du Palais a débuté en 1902 pour être inauguré en 1905. Ce qui veut dire, selon l’imam, que Rebeuss est créé à cette période.

Vétusté des maisons, chômage de la jeunesse … les «cafards» de Rebeuss

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«Ce sont les mêmes maisons qui sont là depuis nos parents. Pas de changement», regrette l’imam du quartier, Cheikh Tidiane Sy. Les habitations sont vieillissantes. Elles sont là depuis le début du 20e siècle. Rares sont celles qui ont été retouchées. «Toutes les maisons ont des titres fonciers. Le véritable problème du quartier, c’est la vétusté des maisons. Les responsables de familles veulent rénover leurs toits, mais c’est difficile parce que le chômage est la plus grande maladie des Rebeussois. La plus grande frange de la jeunesse chôme», déplore l’Imam.

Pour lui, la jeunesse n’a qu’un seul programme : «manger, coucher, dormir, boire du thé tous les jours sous l’arbre à palabres. Néanmoins, elle a une utilité. À l’approche de chaque hivernage, elle fait du set-sétal» (nettoiement).

L’autre épine sous le pied du quartier, c’est qu’«il y a trop de cantines, trop d’ateliers de mécaniciens, de menuisiers. Les ouvriers salissent les rues, trottoirs et polluent l’atmosphère. Ils créent trop de désordre dans les rues et ruelles, ils déposent leur fer, outils de travail sur la voie sans se soucier des riverains ou passants encore moins de la population. Leurs voitures stationnent n’importe comment. Cela ne donne pas une bonne image du quartier» clame-t-il.

La prison, une mauvaise carte postale du quartier

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À cause de la prison, le quartier est mal vu. «Comme si ce sont des délinquants, des va-nu-pieds qui vivent ici. Alors que tel n’est pas le cas. Il faut fréquenter le coin pour en savoir plus. La prison a donné une connotation négative au quartier», regrettent nos interlocuteurs. D’ailleurs, le quartier tend à disparaître au détriment de la prison. Une situation que déplorent les habitants qui réclament une reconnaissance qu'ils redoutent de perdre. Pas mal de citoyens ne connaissent pas Rebeuss, ils connaissent la prison mieux que le quartier.

Rebeuss, un quartier melting-pot

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Pendant la période coloniale, Dakar Plateau était le quartier des Blancs. Ils occupaient les points les plus stratégiques, le Palais de la République, ancienne résidence du gouverneur de l’Aof, l’ancien Palais de justice, en somme, les actuels bâtiments des services publics. Les noirs occupaient la périphérie. Rebeuss devenu quartier de la ville du Plateau, était le point de convergence des ressortissants d’Afrique de l’Ouest. Toutes les nationalités s’y rencontraient. Raison pour laquelle aujourd’hui, il y a tous les noms de familles originaires du Burkina, du Mali, de la Guinée, du Cap-Vert et autres pays de la sous-région.

Ass Diack explique : «Rebeuss est toujours un quartier melting-pot. C’est un quartier cosmopolite, un métissage culturel où les Maliens, Burkinabés, Cap-Verdiens, en somme l’Afrique Occidentale en miniature, cohabitent ensemble. C’est le quartier qu’on appelait les bas-fonds de Dakar parce qu’il y avait la prostitution», renseigne-t-il.

Quartier de perversion

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Le quartier était réputé zone de perversion et de prostitution. Les prostituées étaient très nombreuses. Les gens quittaient le Plateau pour venir satisfaire leur libido et repartir. Il y avait aussi la présence des camps militaires. Selon nos interlocuteurs, toutes les conditions étaient réunies pour cette pratique. Hormis les maisons en tôle, baraques et autres faubourgs, les camps militaires étaient là : le camp Lat-Dior et le 7e régiment du tirailleur.

Mais, grâce au Bon Dieu, avec les prières des érudits, le quartier s’est départi de ses prostituées pour avoir une meilleure réputation. Des personnes âgées comme le père de Lamine Diack, feu Ibrahima Diack, feu Amadou Djigo, le 1er chef de quartier et père d’Alassane Djigo (qui porte le nom du stade de Pikine), le papa d’Ass Malick Thiam, le père de Boubacar Thiam, feu Vieux Al Demba Thiam, Ousmane Niang, feu Sidy Thiam et tant d’autres personnalités sont les pères fondateurs du quartier.

L’invasion de la peste en 1914

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La peste qui a envahi Dakar n’a pas épargné le quartier. À Rebeuss comme dans les zones internes du Plateau où vivaient les Africains, les agents vecteurs de cette terrible maladie faisaient la loi.

Parlant de la maladie, le délégué de quartier se met dans tous ses états. Il esquive la question tout en répondant que «la peste est une maladie grave. Je ne vais pas en parler. À cause de l’épidémie de la peste, Rebeuss s’est vu dépeuplée d’une frange de sa population qui est à l’origine de la création des quartiers comme la Médina et environs».

Après l’éradication de l’épidémie de la peste, Dakar pensait en finir avec les problèmes, mais l’histoire réservait un autre défi à la capitale de l’Aof. Rebeuss et les quartiers de Dakar n’étaient pas en reste sur le sort de l’histoire. 26 ans après la peste, c’est la bataille de Dakar qui a hanté le sommeil des Dakarois pendant trois jours.

Rebeuss, victime de la bataille de Dakar du 23 au 25 septembre 1940

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«La bataille de Dakar», également appelée «l'opération de Dakar», «l'expédition de Dakar» ou «l'opération Menace», est un affrontement naval britanico français de la Seconde Guerre mondiale. Elle a opposé, selon Wikipédia, au large de Dakar, du 23 au 25 septembre 1940, les Forces françaises libres (FFL) du général De Gaulle et les forces britanniques d'une part, et les forces françaises obéissantes au Gouvernement de l'État français dit de Vichy, dirigées par le gouverneur général Boisson, gouverneur général de l'Afrique-Occidentale française (Aof) à partir du 26 juin 1940, d'autre part.

Témoin oculaire du bombardement de Dakar du 23-25 septembre 1940, Ass Diack n’avait que 10 ans lorsque les balles des canons de la mort retentissaient sur Dakar. Un souvenir qui a marqué ce jeunot des années 40 qui ne veut pas s’épancher sur les dégâts collatéraux causés par ce bombardement. «Rebeuss a subi les affres du bombardement de Dakar. Je ne saurai vous dire si Rebeuss a enregistré des victimes ou pas. En tout cas, tout ce que je peux dire, c'est que Rebeuss a enregistré des pertes. Lors de ces évènements, j’avais 10 ans, donc je ne suis pas en mesure de dire l'étendue des dégâts».

Le stade Assane Diouf témoin de l’histoire sportive

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Regardant dans son cahier de souvenirs du temps de sa tendre adolescence, l’Imam livre une information peu connue de la jeune génération. «Le premier cirque organisé au Sénégal a eu lieu dans ce stade. J’étais adolescent, âgé de 07 ans. Pendant les jeux de l’Amitié, nous avions suivi des matches ici. Le match de la Mauritanie avec une autre équipe. Je ne me souviens plus de l’équipe», regrette imam Sy.

C’est en 1963 que ce stade est baptisé Assane Diouf, un grand sportif champion de France de boxe. Le stade Assane Diouf est témoin de l’histoire sportive du Sénégal. Malheureusement, tout ce répertoire riche en sport est envoyé à la corbeille.

Seule aire de jeu des jeunes du quartier, ce bijou a été cédé à des Chinois en février 2007 pour la construction d’une Cité des affaires dénommée «Kawsara». Suite à une forte pression des Rebeussois, et surtout du collectif René Sanchez, Me Wade fait une volte-face, en mars 2009, en décidant de restituer le stade. Depuis lors, rien de concret, jusqu’à l’avènement de Macky Sall à la magistrature suprême. Les jeunes surveillent de pied ferme leur joyau. «Assane Diouf est un symbole et on ne veut pas que le stade meure d’une double mort», disait le président du collectif René Sanchez.

Ces fils qui honorent Rebeuss

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Rebeuss a vu naître plusieurs pionniers de la Nation sénégalaise. Sur tous les plans. Ousseynou Thiam, le premier journaliste noir de l’Aof qui était à la Rts, est fils du quartier. Le plus grand nombre des premiers dirigeants de ce pays sont de Rebeuss. Les plus grandes stars de l’Aof viennent de Rebeuss. Le président de la première ligue de l’Aof de football est du quartier. C’est feu El Hadj Maguette Diack. Il est le premier président de la Fédération sénégalaise de football.

Il y a aussi Lamine Diack qu’on ne présente plus, ancien président et premier Africain à avoir dirigé l’Iaaf, Pape Gallo Thiam, champion de France de saut en hauteur, Habib Thiam vice-champion de France 200 m, André Mendy, champion d’Aof du poids et du disque, Alassane Djigo, champion d’Afrique du 100 m, 200 m et 400 m. Le Jaraaf qu’on appelait le foyer France Sénégal avait son siège à Rebeuss. Et tant d’autres...

Auteur: Chamsidine Sané
Publié le: Mercredi 20 Juillet 2016

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