C’est la vedette dans les rayons des officines dakaroises. La pilule du bonheur pour éviter des lendemains qui déchantent après une nuit d’extase. Enquête sur le succès grandissant du Norlévo au lendemain des fêtes de fin d’année.
Un tiers des adolescents a déjà eu des rapports sexuels
Ouf ! Elle peut respirer. Elle a aligné les nuits blanches. Aïssatou, 28 ans, vient de vivre la plus longue semaine de sa vie, torturée par l’angoisse d’une grossesse non désirée. Elle peut enfin laisser échapper un long soupir de soulagement, maintenant qu’elle tient entre les mains son test de grossesse négatif. Emportée par l’élan du désir, la jeune fille a passé les fêtes de Noël en compagnie de son petit ami. Sans protection, elle a couché avec son copain. Passée la nuit de gaieté, viennent les lendemains de doutes, de regrets, et de tourments.
Dans une société où la grossesse hors mariage est mal acceptée, une petite pilule blanche est devenue la panacée pour les jeunes filles sexuellement actives. Son nom est éloquent : «Pilule du lendemain», Norlévo dans les rayons des officines. «Elle m’a sauvée», clame Aïssatou reconnaissante. Elle a avalé le comprimé, deux jours après ses ébats. Grâce à ce petit comprimé, choper une grossesse non voulue est devenu une ringardise. Disponible sur le marché depuis 7 ans, cette forme de contraception d’urgence a été très vite adoptée par les Sénégalaises.
Le succès de ce médicament à base d’hormones de synthèse (Levonorgestrel) suit la courbe de l’évolution des mœurs. Un tiers de la population adolescente âgée entre 15 et 19 ans déclare avoir déjà eu des rapports sexuels (Enquête démographique et de santé (Eds IV). Si le tabou de la sexualité saute de plus en plus allègrement, la grossesse illégitime reste difficile à assumer dans ce Sénégal moderne.
Les week-ends et les lendemains de fête, c’est le pic
Niché au fond de la grouillante banlieue dakaroise, le Centre conseils ado de Guédiawaye est souvent le point de chute des ados en brouille avec l’abstinence. Absa, se déhanchant sur ses mini-talons, vient ce matin toquer à la porte de la sage-femme du centre, Nabou Diop. A 15 ans, elle a une première expérience avec le Norlévo qu’elle a gobé sur conseil de son partenaire, un homme de 54 berges. Absa raconte : «Nous étions dans une auberge à Dakar, il m’a convaincue de faire l’amour sans préservatif : «Tu ne cours aucun risque», m’a-t-il assuré, «Après je t’achète un médicament qui t’évitera une grossesse».»
Dans cet espace réservé aux 11-19 ans, la pilule du lendemain est un «bonbon» très demandé. On y prescrit jusqu’à 8 boîtes de Norlévo par jour. «Nous n’avons pas le droit de la refuser», se résigne Nabou, la sage-femme.
Cette dernière reçoit ses patientes dans une petite salle faisant office de cabinet. Sa salle d’attente est majoritairement squattée par les filles ados célibataires, qui dépassent de loin en nombre les femmes mariées. Rien que pour l’année 2012, Mme Diop a prescrit 136 boîtes de Norlevo. Et «les filles qui sollicitent le plus la pilule du lendemain ont entre 16 et 18 ans», affirme-t-elle.
La tendance se confirme dans les officines. Les pratiques observées inquiètent les spécialistes de la santé. «Vous voyez une jeune fille qui achète la pilule, demande un verre d’eau et l’avale devant vous, avant de s’en aller», témoigne, ébahi, Aziz Fall, propriétaire de pharmacie à Yoff.
Les week-ends et les jours de fête, la demande monte d’un cran. Adossé au comptoir de sa pharmacie, Aziz Fall ajuste bien les lunettes. Le regard rivé sur son carnet de ventes, il décompte jusqu’à 10 boîtes sorties entre samedi et dimanche, contre moins de huit en semaine. Ses clientes ont entre 14 et 24 ans.
«Nous voyons beaucoup plus de clientes du Norlévo en période de fête, surtout au lendemain de la Saint Sylvestre», renchérit Abdoul A. Dramé, pharmacien à Guédiawaye.
Au Centre conseils ado, les lendemains de fête favorisent un pic de consommation du Norlévo. «J’ai prescrit 8 boîtes rien que dans la matinée du 1er janvier, dernier», atteste la sage femme Nabou Diop.
Quelle est la recette de cette nouvelle pilule du bonheur tant aimée chez les ados au péril de leur santé ? Son succès, elle le doit à son prix relativement accessible (environ 3600 francs). A la pharmacie, elle se vend sans ordonnance. Connu sous le nom savant de Levonorgestrel, la pilule du lendemain est reconnue pour son efficacité à enrayer les risques de grossesse, et à éviter les cauchemars dus à un retard des règles et l’épreuve angoissante du test de grossesse.
Seulement, comme les autres contraceptions d’urgence, son mode opératoire est très simple. En prise unique, par voie orale la prise doit être faite, au plus tard 72 heures (3 jours) après la relation sexuelle. «Le mécanisme d’action consiste à bloquer l’ovulation et, par conséquent, la femme, n’ayant pas ovulée, verra ses menstrues», explique Cheikh Atab Badji, gynéco-obstétricien. En effet grâce à la dose de progestérone artificielle apportée par la pilule, les spermatozoïdes peuvent se balader librement sans aucune chance de rencontrer un ovule à féconder, première étape de la grossesse. En dépit de son succès, Norvélo n’est pas fiable à tous les coups. «La contraception d’urgence présente des risques d’échec», rappelle le gynéco Badji. Selon le médecin, la pilule du lendemain laisse survenir une grossesse une fois sur quatre. En plus, sa prise répétée est néfaste à la santé sexuelle. «Elle peut endommager la flore vaginale et même entraîner, à la longue, la stérilité», prévient le pharmacien de Yoff, Aziz Fall.
Son utilisation ne doit pas se faire sur deux cycles successifs, selon les spécialistes de la santé, qui craignent de la voir érigée en méthode de planification permanente par les jeunes filles.
Conseillère en offre contraceptive, Annette Seck Ndiaye prévient : «Je veux insister sur le fait que la pilule d’urgence n’est en rien une méthode de contraception. Il ne faut pas que les filles pensent que c’est quelque chose qu’elles peuvent prendre à chaque rapport suspect pour éviter de tomber enceinte.»
La grosse crainte des spécialistes de la santé, c’est que la pilule du lendemain n’ouvre la porte aux maladies sexuellement transmissibles (Mst) chez une couche, déjà très vulnérable à l’infection au Vih. Les statistiques officielles révèlent une réalité assez préoccupante : «La moitié des nouveaux cas de Sida survient chez les 15-24 ans.» Dans ce contexte, Djiby Sadio, conseiller au Centre conseils ado de Guédiawaye, a des frissons quand il reçoit une de ses patientes de 16 ans qui fait ce constat : «Faire l’amour avec un préservatif, c’est comme sucer un bonbon sans enlever l’emballage.» Norlévo a de beaux… lendemains devant elle.
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