Après la victoire aux proportions inédites de Bassirou Diomaye Faye à l'élection présidentielle du 24 mars 2024 - premier opposant élu dès le premier tour -, les Patriotes Africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF) ont remis ça, dimanche 17 novembre, en remportant une très large victoire lors des élections législatives anticipées. Ce nouveau succès comme le précédent porte la marque de Ousmane Sonko, figure tutélaire de ce mouvement. Même si j’ai de nombreuses réserves sur le personnage - sa vision binaire et sans nuance sur beaucoup de thématiques, sa démagogie et son populisme, ses outrances verbales (Danguine bou Ameu AVC, sa menace de réserver au Président Macky Sall le même sort que Samuel Doe, etc), son goût immodéré du spectacle (après l’UCAD, et le Grand Théâtre, quelle est la prochaine étape de la tournée ?), son style brut de décoffrage qui fait école-, il faut reconnaître que c’est un personnage charismatique qui a une aura sans doute inégalée dans notre histoire politique. Une très large majorité du peuple a une foi aveugle en lui. Chez beaucoup, dans les couches les plus modestes de la population, il suscite une espérance à la limite touchante à voir et à entendre, tant cela frise la candeur. Ses partisans le voient comme un chevalier blanc incorruptible qui peut régler tous leurs problèmes et porter le Sénégal vers plus de propsérité, de souveraineté et de respectabilité. Ousmane Sonko et PASTEF ont également montré que l’on pouvait faire de la politique au Sénégal avec un zeste d'honneur et de dignité. Durant le bras de fer avec Macky Sall entre 2021 et 2023, je n’ai pas souvenir d’une figure éminente du parti à avoir désavoué publiquement le chef ou à s'être laissée aller à cette détestable habitude de la transhumance. À l'inverse, dès que Macky Sall a quitté le pouvoir, la plupart des barons de l'ancien régime lui ont tourné le dos. En allant seul aux dernières législatives et en s’imposant si nettement, PASTEF a également montré qu'un positionnement clair arrimé à un socle d’idées partagées peut être payant électoralement. Cela change de la tambouille politique habituelle où des ennemis d’hier se retrouvent comme par enchantement pour faire barrage à l’ennemi du moment. Des grandes formations politiques en lice lors de scrutin, seuls PASTEF et Sénégal Kessé de Thierno Alassane Sall ont été cohérents quant à leur composition. PASTEF prospère donc parce qu’il a un leader charismatique, qui a une réelle puissance d’incarnation mais aussi parce qu’il fait face à une classe politique globalement très médiocre, composée d'individus sans véritable colonne vertébrale ni conviction, et dont la seule boussole semble être la ploutocratie. Ce qui fait la force de PASTEF constitue également sa principale faiblesse dans l’exercice du pouvoir. Ce parti n’a pas le droit de faillir, de trahir ses idéaux et de décevoir ses partisans. Si Sonko et ses ouailles, qui ont réussi le tour de force de se vendre comme des gens chimiquement purs, se loupent, ce serait non seulement dommageable pour eux mais plus important dangereux pour le pays. Vers qui se tourneront ces milliers d’électeurs si les énormes attentes ne sont pas satisfaites ? Vers les représentants de l’ancienne classe dirigeante ? Ou vers une nouvelle version encore plus radicale de la mouvance anti-système ? En France, on a tendance à l’oublier, Emmanuel Macron s’est présenté - un tour de force vu son parcours - comme une figure anti-système. Il a fait campagne avec succès sur un discours contre le système incarné par le Parti Socialiste et l'Union pour un mouvement populaire (UMP, actuel LR) les deux partis traditionnels de gauche et de droite qui se sont partagés le pouvoir. https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2016/11/15/35003-20161115ARTFIG00368-2017-macron-se-declare-et-prend-la-gauche-de-court.phphttps://www.bfmtv.com/politique/macron-candidat-anti-systeme-et-phenomene-mediatique-pour-la-presse_AN-201611170005.htmlMacron va quitter le pouvoir en 2027 sans avoir tenu toutes ses promesses de restaurer la grandeur de la France, et de réussir là où les formations politiques classiques ont échoué. Alors qu’il va quitter le pouvoir sous un record d’impopularité, les électeurs français désemparés ne semblent pas avoir le désir de confier leur destin au PS NI aux Républicains. Ils penchent de plus en plus vers une autre mouvance anti-système : l'extrême droite incarnée par Marine Le Pen. Je ne suis pas doué des dons de Cassandre mais ce scénario est tout à fait envisageable au Sénégal. Si PASTEF échoue - ce qu’aucun patriote et républicain sincère ne doit souhaiter pourvu que ce parti fasse preuve de pragmatisme et laisse de côté ses vieilles lunes idéologiques-, les Sénégalais retourneront-ils vers Amadou Ba, Macky Sall, Barthélémy Dias, Karim Wade, Abdou Karim Fofana, en résumé le vieux monde ? Ou préféreront-ils tenter une autre aventure encore plus radicale incarnée désormais par Tahirou Sarr ?L’hypothèse Tahirou Sarr peut paraître farfelue tant son score est encore infime mais notons que son discours fait de plus en plus écho dans l’opinion, sa liste devance en termes de voix celle de Thierno Alassane Sall et de Abdoul Mbaye, et qu’il a de bonnes chances d’être Député. Une formidable tribune pour distiller sa rhétorique dérangeante et poursuivre sa montée en puissance dans la scène politique.Adama NDIAYE
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