Alors que Dakar s’apprête à accueillir le 14e atelier sur la stratégie d’urbanisme national ( PNU ) en juillet 2025, la question de l’agriculture périurbaine et des conflits d’usage du sol s’impose comme un enjeu majeur. La métropole, en pleine expansion, voit ses dernières terres agricoles grignotées par l’urbanisation galopante, menaçant sa sécurité alimentaire. Avec plus de 70 % de ses besoins alimentaires couverts par les importations [1], dont 45% pour le riz seul [12], Dakar doit urgemment repenser son modèle pour concilier croissance urbaine et souveraineté alimentaire. Dakar ne peut plus se permettre d'ignorer cette problématique dans sa planification urbaine. Selon une étude récente du MASAE, cette dépendance coûte à l'économie sénégalaise près de 800 milliards FCFA par an [13].
Les chiffres sont alarmants : chaque année, près de 150 hectares de terres fertiles disparaissent sous le béton, [2], soit l'équivalent de 210 terrains de football. Les Niayes, ces zones humides autrefois grenier à légumes de la capitale (fournissant 80% des légumes consommés à Dakar dans les années 2000 [14]), ont perdu 60 % de leur superficie en deux décennies [3],. Cette érosion du patrimoine agricole s’accompagne d’une vulnérabilité accrue : hausse de 30% des prix des denrées locales depuis 2020 [15], dépendance aux marchés internationaux et exode rural massif, avec 15 000 jeunes quittant les campagnes chaque année [4]. Les agriculteurs familiaux (représentant 65% de la production maraîchère périurbaine [16]) , souvent sans titre foncier, subissent de plein fouet cette pression, chassés par des projets immobiliers ou des infrastructures.
Pourtant, des solutions existent pour inverser cette tendance. La sanctuarisation des 12 000 hectares de terres agricoles stratégiques identifiées par l'ANCAR [17], comme les Niayes ou les zones du lendeng de Rufisque et ses environs, apparaît comme une priorité. Des expériences pilotes comme le projet "Terres nourricières" à Thiès ont montré qu'une protection juridique adaptée pouvait augmenter de 40% les rendements agricoles [18]. Cela passe par l’adoption d’un Schéma Directeur Agricole Métropolitain et la création de Zones Agricoles Protégées, sur le modèle des ceintures vertes qui ont fait leurs preuves ailleurs[5]. Sécuriser les exploitants grâce à des baux de longue durée et des coopératives foncières permettrait également de stabiliser la production locale.
Moderniser les pratiques agricoles est une autre clé. L’agroécologie, combinée à des innovations comme l’irrigation solaire (réduisant la consommation d'eau de 60% selon le CIRAD [6]), ou la réutilisation des eaux usées traitées, pourrait booster la productivité tout en préservant les ressources. Des projets pilotes, comme la Ferme de Yoff [7], montrent déjà le potentiel de l’agriculture urbaine verticale pour valoriser les moindres espaces disponibles. La Ferme de Yoff [7], sur seulement 2 hectares, produit aujourd'hui 15 tonnes de légumes bio par an et forme 200 agriculteurs urbains annuellement.
Relocaliser les circuits alimentaires est tout aussi crucial. La création d’un hub alimentaire métropolitain à Diamniadio [8], d'une capacité de 50 000 tonnes/an, pourrait approvisionner 30% des besoins dakarois en produits frais. , couplée à la modernisation des marchés de proximité, réduirait les intermédiaires et améliorerait les revenus des producteurs. Des initiatives comme les cantines scolaires locales (déjà testées dans 50 écoles avec 85% d'approvisionnement local [19]) montrent la voie.Les pouvoirs publics ont un rôle central à jouer, notamment via des programmes comme les cantines scolaires approvisionnées à 100 % en produits locaux ou des campagnes de sensibilisation comme "Mangez dakarois".
Enfin, face aux dérèglements climatiques, diversifier les cultures et renforcer les capacités de stockage s’imposent. La patate douce résistante à la sécheresse, l’agroforesterie ou les banques de semences locales sont autant de pistes pour bâtir une résilience alimentaire durable.
La transition vers un système alimentaire plus juste et plus durable à Dakar n’est pas une utopie. Elle demande cependant une mobilisation collective : autorités publiques, agriculteurs, chercheurs et citoyens doivent œuvrer de concert. L’ atelier national de juillet sera l’occasion de traduire ces propositions en actions concrètes, pour faire de Dakar une ville qui nourrit ses habitants tout en préservant son avenir.
Cette contribution, portée par un acteur engagé du développement territorial, vise à interpeller les décideurs, notamment le Ministère de l'Urbanisme, des Collectivités Territoriales et de l’aménagement des Territoires (MUCTAT) et le Ministère de l'Agriculture de la Souveraineté Alimentaire et de l’Élevage (MASAE). Il s'agit d'un appel à une collaboration intersectorielle urgente pour intégrer la dimension alimentaire dans les politiques d'aménagement du territoire. Pour une approche plus efficiente, il s’agira à Dakar de prendre en compte la zone d’étude du PDU horizon 2035 qui englobe Dakar et une partie de Thies et Mbour entant donné qu’il ne reste plus beaucoup de superficie cultivable a Dakar.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : disparition de 150 hectares de terres fertiles par an[2], réduction de 60% des surfaces des Niayes en vingt ans[3], dépendance alimentaire croissante [1]. Ces réalités exigent une réponse coordonnée entre urbanistes et acteurs agricoles. La sanctuarisation des terres stratégiques, la modernisation des pratiques agricoles et la relocalisation des circuits alimentaires ne peuvent plus attendre.
Des solutions concrètes existent et méritent d'être examinées lors de ces ateliers :
· L'intégration d'un volet agricole contraignant dans les documents d'urbanisme
· La création d'une commission mixte MUCTAT/(MASAE)pour harmoniser les politiques
· L'expérimentation de zones agricoles protégées dans les Niayes de Pikine/ Guediawaye
Cette approche intersectorielle, inspirée des meilleures pratiques internationales, pourrait faire de Dakar un modèle de ville nourricière en Afrique de l'Ouest. Mais elle nécessite une volonté politique forte et une collaboration inédite entre les ministères concernés.
Alors que l’ atelier du PNU de DAKAR approche, cette contribution se veut une invitation à élargir le débat. L'urbanisme de demain doit absolument prendre en compte la question alimentaire, sous peine de sacrifier définitivement l'autonomie nourricière de la capitale. Le moment est venu pour le MUCTAT et le Ministère de l'Agriculture et de l'Élevage de travailler main dans la main pour relever ce défi commun.
Références :
[1] Banque Mondiale (2022). Sécurité alimentaire au Sénégal.
[2] FAO (2023). Urbanisation et pertes de terres agricoles en Afrique de l'Ouest.
[3] UCAD (2021). Dynamique des zones humides à Dakar.
[4] ANSD (2024). Rapport sur l'exode rural au Sénégal.
[5] Métropole de Montpellier (2022). Plan Ceinture Verte.
[6] CIRAD (2023). Irrigation solaire en Afrique de l'Ouest.
[7] ISRA (2023). Projet Ferme de Yoff.
[8] MUCTAT (2023). PDU Dakar 2035.
[9] ONU-Habitat (2022). Guide intégration agriculture-urbanisme.
[10] RUAF (2023). Cas de Rosario, Argentine.
[12] DGPE (2023). Bilan céréalier du Sénégal
[13] MASAE (2024). Rapport sur les importations alimentaires
[14] ENDA Pronat (2020). Étude sur les Niayes
[15] ANSD (2023). Indice des prix à Dakar
[16] FAO (2022). Profil agricole de Dakar
[17] ANCAR (2023). Cartographie des terres agricoles
[18] PADER (2022). Évaluation des zones protégées
[19] Programme "Faim Zéro" (2023). Rapport d'activité
Par Selbe Ndiémou DIOUF,
Géographe, Ingénieur en gestion des travaux urbains, et spécialiste en Développement Territorial
Direction de la Promotion du Développement Territorial/DPDT
Chef du Bureau information territorial
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