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Equité Sociale, inclusion sociétale et logique de décentralisation : El Hadji Malick SY une vision de Société (Par Baye Dame MBENGUE)

Auteur: Senewebnews

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Equité Sociale, inclusion sociétale et logique de décentralisation : El Hadji Malick SY une vision de Société (Par Baye Dame MBENGUE)

Depuis plus d’un siècle, Tivaouane, sous l’impulsion de Maodo, constitue un point de convergence des fidèles. À l’occasion du Gamou, la ville sainte devient le théâtre d’un véritable cérémonial de purification où les croyants, baignés dans l’amour du Prophète, ravivent les énergies spirituelles de leur âme. Dans une ferveur comparable aux vibrations mystiques chez les bouddhistes, ils tissent une relation intime avec les maîtres spirituels du lieu.

Des moments de ferveur comme ceux-là constituent aussi un bon prétexte pour revisiter l’immense œuvre du père fondateur El Hadji Malick SY, comme un viatique dans un monde en pleine évolution. Dans ce sens, il nous est loisible de nous intéresser à la dimension protéiforme du saint homme, notamment sa maîtrise de l’art social mais aussi sa perception de l’autonomie (développement), en tenant compte des atouts qui l’entourent comme une dynamique sociétale qu’il fallait organiser dans une logique de développement à la base, à la fois en pôles théologiques et incubateurs de développement local.

Le Séminaire de Ndiardé ou le développement du Capital Humain

Maodo s’est très tôt investi dans la formation pour le développement du capital humain en érigeant à Ndiardé puis à Tivaouane un centre d’impulsion théologique où de futurs imams furent formés. Dans sa perspective de vulgarisation de l’Islam et de la Tijaniya, il a très tôt anticipé la nécessité de former des cadres (Moqadams) afin de les préparer à le suppléer dans leurs contrées d’origine.

Il assura lui-même la formation spirituelle et intellectuelle de plus de deux cents Moqadams qui, plus tard, devinrent des imams mais aussi des relais essentiels chargés de l’enseignement et de la diffusion du Coran. L’érection de la vie et de l’œuvre du Prophète comme référentiel, la supervision du développement du commerce, la mise en œuvre de la politique agricole et la pacification des relations avec les autorités locales furent l’essence première de son implication sociale.

El Hadji Malick SY était un enseignant rigoureux et très tourné vers la recherche. À l’époque, il développait déjà la notion de rigueur scientifique avec l’intégration précoce de l’intertextualité et de la co-textualité dans ses écrits. L’esprit d’ouverture et l’acceptation de la contradiction ou de la continuité de l’argumentaire dans les textes exégétiques faisaient le charme du saint homme.

Fernand Quesnot, attaché de France d’outre-mer, disait : « La haute culture d’El Hadj Malick SY, la renommée de ses études, sa vie exemplaire et son désintéressement expliquent l’influence exercée par ce marabout de 1902 à 1922 et la vénération dont il est encore l’objet de la part de tous les musulmans sénégalais. Par son enseignement, El Hadj Malick SY devait contribuer, pour une large part, à la diffusion de la science coranique au Sénégal.

De la Zawiya de Tivaouane sortiront, en effet, à partir de 1902, de nombreux maîtres d’écoles coraniques qui répandront le Tidjanisme à travers tout le pays et feront plus pour l’implantation de cette doctrine que les sabres et les fusils d’El Hadj Oumar Tall. À sa mort en 1922, le Tidjanisme avait conquis les couches supérieures de la population et exerçait une influence prépondérante non seulement sur les musulmans des grandes villes mais aussi sur les villageois de l’intérieur. »

El Hadji Malick SY est ainsi la version la plus aboutie du marabout moderne, qui comprit les enjeux de son époque en puisant dans la vie du Prophète comme modèle. L’Islam ne peut se faire de manière autarcique : il a besoin de son cadre (sociologique, politique voire environnemental) pour être plus efficient et toucher toutes les couches de la société sénégalaise. Il avait déjà intégré l’équilibre social dans sa stratégie d’implantation de l’Islam, mais aussi cherché à homogénéiser la société comme facteur prépondérant d’éveil des consciences dans la lutte contre la décolonisation.

Equité et inclusion sociales, Maodo pour une Société des équilibres

Dans une société sénégalaise fortement stratifiée où l’iniquité sociale est frappante, il est essentiel de repenser une structure sociale très disparate. El Hadji Malick SY comprit très tôt que la réussite de sa mission dépendait fortement de la maîtrise des dynamiques sociales. Le Sénégal présente beaucoup de disparités sur l’échelle sociétale : la société repose sur une pyramide sociale très inégale.

Notre société, héritière d’un passé monarchique, présente un corpus social marqué par des inégalités perceptibles à travers l’organisation des castes. Tel un réformateur, El Hadji Malick SY surgit pour rétablir l’ordre social en restaurant le dialogue, le respect de l’autorité et la volonté commune de vivre ensemble pour une société homogène.

Dans sa quête d’une société juste, Maodo s’opposait fermement à toute forme d’exclusion sociale et rejetait la notion de caste telle qu’elle s’exprimait dans la société sénégalaise. La sélection des Moqadams appelés à intégrer le séminaire reposait uniquement sur les compétences, l’amour des sciences, la curiosité intellectuelle et la dévotion au Prophète. L’origine ou le milieu social n’étaient pas pris en compte.

Il avait l’intime conviction que la cohésion passait par le respect de la diversité et la foi de l’autre. Ainsi, de nombreux Moqadams issus de classes inférieures obtinrent l’adhésion des masses grâce à leur érudition et à leur savoir.

Pour Maodo, une société juste et prospère repose sur des valeurs inspirées du Prophète : une jeunesse active et formée, une justice équitable, le sens du pardon, le culte du travail et la tolérance.

David Robinson, analysant l’attitude de certains marabouts durant l’époque coloniale, écrivait : « On pourrait être tenté d’introduire la notion gramscienne d’intellectuel organique. Il soutient que des marabouts tels qu’El Hadj Malick SY forgèrent leur carrière au milieu de l’ordre colonial naissant. Ils développèrent un capital social pour leur fief grâce à leur capacité à résoudre les problèmes et à interpréter les solutions. Mais ils avaient également pris soin de développer et de protéger un capital symbolique qui était complètement autonome vis-à-vis du régime colonial, que ce dernier finit à son tour par accepter. »

El Hadji Malick SY, dans sa vision, opta pour un Islam fédérateur qui constitue le liant par lequel une société diverse peut se retrouver, où la méritocratie en est le fondement, et où la réussite, fruit de l’effort, passe par le savoir et la discipline.

Décentralisation par l’Islam et socio-anthropologie du développement selon El Hadji Malick SY

L’arrivée de l’Islam au Sénégal dès le XIᵉ siècle, précisément en 1020, fut lente en raison de la résistance, expliquée par plusieurs facteurs : culturels, cultuels et liés au poids des traditions. Le contexte de domination se prolongeait dans un climat de surveillance et de répression. À cette époque, l’expression de la foi devait se faire avec tact et stratégie pour atteindre les masses.

El Hadji Malick SY, doté d’une intelligence sociale fine et d’une analyse situationnelle pragmatique, sut instaurer un cadre mutuel de respect, de confiance et d’estime avec le colonisateur. Comme un « Rousseau sénégalais », il était un anticonformiste (Sociétal) qui agissait toujours dans le sens de l’ordre préétabli tout en luttant contre ce qu’il jugeait injuste. Rousseau, dans Du Contrat social, affirmait : « Obéir à une loi que l’on s’est prescrite est synonyme de liberté. »

Le respect de la règle administrative était pour le saint homme un préalable dans la politique de diffusion de l’Islam. Elle constituait aussi un gage de dialogue socio-politique, permettant d’apaiser un contexte propice à la formation de leaders et à l’accélération du maillage territorial. Grâce à cette démarche, des relais théologiques virent le jour.

Ces cadres spirituels avaient une mission plus vaste que l’imamat et l’éducation spirituelle : ils étaient également chargés, dans une logique de décentralisation, de relayer son action. Visionnaire et perspicace, Maodo, véritable socio-anthropologue avant l’heure, misa sur l’ancrage local comme meilleur moyen de libérer les masses de leurs complexes et de favoriser leur émancipation.

Il bâtit, à travers le séminaire de Ndiardé puis à l’université de Tivaouane, un solide réseau de cadres (théologiens) qui, en plus d’outils pédagogiques, disposaient d’une probité exemplaire et de connaissances solides leur permettant de sensibiliser les masses au culte du travail, au développement du commerce et à l’exploitation des domaines agricoles.

Si « la décentralisation désigne le fait de transférer des compétences étatiques aux collectivités territoriales de rang inférieur (régions, départements, communes…) », la praxis chez Maodo présentait des similitudes : les Moqadams formés étaient déployés sur l’ensemble du territoire afin de former, d’éduquer et de sensibiliser les masses. Ils s’investissaient dans l’agriculture, soutenaient les échanges commerciaux et servaient de relais entre Maodo et l’administration coloniale.

El Hadji Malick SY réussit la prouesse d’une décolonisation pacifique en déconstruisant l’acceptation sociale. Il misa sur la formation pour éveiller les consciences. Homme de son temps et d’une sagesse infinie, il sut partir du substrat social pour engager la décolonisation des esprits. Patriote intrépide et chantre d’un souverainisme d’ouverture, il fit du travail un moyen d’intégration sociale et, par l’agriculture, un vecteur d’autonomie et de liberté. Il prônait également la consommation locale et la culture biologique comme remède efficace de prévention contre les maladies.

Stratège et entrepreneur social, Maodo sut théoriser et concevoir un modèle de société juste, où le mérite confère les statuts et où le savoir demeure le vecteur principal du développement.

Baye Dame MBENGUE

 Diplômé de Sciences Politiques

Auteur: Senewebnews

Commentaires (1)

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    Sénégal il y a 4 heures

    Une vision de société n'est pas un projet de société, car les deux mots ne sont pas synonymes.

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