Déguerpissements : la brutalité du court terme face à l’intelligence du long terme (Par Cheikh Omar Sall)
Chaque nouvelle opération de déguerpissement est annoncée avec tambours et trompettes, comme une victoire éclatante de l’ordre public. En réalité, ce n’est qu’un théâtre tragique : des étals détruits, des familles plongées dans l’angoisse, des cris de détresse qui se perdent dans la poussière des bulldozers. Et après ? Rien ne change. Le problème se déplace, les marchands reviennent ailleurs, et la ville continue de suffoquer sous les mêmes désordres.
Car la vérité est simple : déguerpir sans plan, c’est échouer par avance.
Le coup de poing contre la raison
Un État fort ne se mesure pas à sa capacité à déployer des forces de l’ordre, mais à sa faculté d’anticiper, de planifier et d’accompagner. Les déguerpissements, dans leur forme actuelle, ne sont pas une politique : ce sont des réflexes. Ils traduisent l’impuissance à penser la ville autrement, l’incapacité à construire un futur inclusif pour ceux qui vivent du commerce de rue.
On arrache aux petits marchands leur gagne-pain sans leur offrir d’alternative. On les traite comme des intrus alors qu’ils sont des acteurs essentiels de l’économie urbaine. On croit régler un problème, mais on ne fait que nourrir la frustration, la colère et la défiance.
L’intelligence du dialogue et de la pédagogie
Il existe une autre voie, plus exigeante mais infiniment plus efficace : le dialogue et la pédagogie.
Avant toute opération, il faut parler aux concernés, leur expliquer pourquoi l’occupation anarchique de l’espace public freine la mobilité, menace la sécurité et abîme l’image de nos villes. Ce travail d’explication est une marque de respect, mais aussi un préalable indispensable à toute transformation durable.
Les campagnes de communication, qu’elles passent par les radios, les réseaux sociaux ou les associations de commerçants, doivent préparer le terrain. Car on ne change pas les habitudes par la force, mais par la conviction.
Offrir des alternatives dignes
Exiger sans proposer, c’est condamner. Il faut offrir des alternatives crédibles : des marchés modernes, organisés, accessibles, intégrés dans la planification urbaine.
Le Maroc nous montre la voie avec ses souks réaménagés, qui conservent l’âme du commerce traditionnel tout en lui donnant un cadre fonctionnel. Paris, dès le XIXe siècle, a su inventer les passages couverts et les galeries marchandes, transformant la rue en un espace de circulation harmonieuse entre commerce et urbanisme.
Pourquoi ne pas s’inspirer de ces modèles pour bâtir, à Dakar, à Thiès ou à Kaolack, des espaces commerciaux modernes et formels, qui libèrent l’espace public tout en offrant aux marchands un cadre digne et rentable ?
Pour une vision qui dépasse l’urgence
Il ne s’agit pas seulement d’aménager des marchés. Il s’agit de poser une vision :
• Planifier la ville en intégrant les acteurs du commerce informel.
• Accompagner la transition des marchands par des mécanismes sociaux et économiques adaptés.
• Transformer l’espace public en un lieu de circulation, de rencontre et de dynamisation économique.
Une telle approche demande du courage politique et de la constance. Mais elle seule peut briser le cycle des déguerpissements stériles.
La force de l’intelligence
Les bulldozers peuvent raser des étals, mais ils ne bâtissent pas une ville. Seule une vision réfléchie, inclusive et durable peut le faire. Chaque déguerpissement sans programme est une preuve de faiblesse politique déguisée en démonstration de force.
L’heure est venue de remplacer la brutalité du court terme par l’intelligence du long terme. De bâtir des « souks » modernes, des galeries marchandes sénégalaises , des espaces où l’ordre public et l’économie populaire cohabitent au lieu de s’affronter.
Ce n’est qu’à ce prix que nos villes respireront et que nos citoyens, tous nos citoyens, auront la certitude que la République les respecte.
Cheikh Omar SALL
Commentaires (13)
Toutefois, il faut avoir le courage d'enlever ce qui n'est pas bon. Malheureusement, on est truffé de fumistes qui disent "daniou done dane sen doolé"; si chacun se donnait cette liberté personne n'avancerait.
Que celui qui avait une cantine legale soit recasé dans les mêmes standards sinon meilleures, gni si nékou lone bou niou sonnal
Nos villes sont sales, occupées illégalement et les piétons n'ont plus où poser le pied.
Néanmoins je suis d'accord avec vous sur un point, il faut faire déguerpir les occupants illégaux des trottoirs et installer une surveillance régulière aux mêmes endroits.
IL YA TROP DE LAXISME. Il enlever les occupations illégales
Stop cette démagogie qui ne dit pas son nom
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