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[Dossier] De France-Afrique à France-Afric’tion : À la genèse d’un désamour croissant

Auteur: Moustapha TOUMBOU

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Une relation qui bat de l’aile. C’est le moins que l’on puisse dire sur l’état des rapports, entre de nombreux États du continent africain et la France, qui traverse depuis plusieurs années un tourbillon de turbulence. Entre la volonté de refonte de la collaboration entre les  Etats et le sentiment de nationalisme naissant auprès des populations, les causes de ces tensions sont multiples laissant présager un retour à la normale impossible !En visite officielle au Cameroun les 25 et 26 juillet dernier, Emmanuel Macron avait été accueilli en grande pompe par la population locale. Devant ce monde enthousiaste et ravi de le voir, le président français, sourire aux lèvres, s’offre un bain de foule. Un accueil triomphal digne d’une star interplanétaire qui en a surpris plus d’un sur le continent. La raison ? Cette visite s’inscrivait dans un contexte de relations tendues entre la France et bon nombre de ses anciennes colonies. En tête liste figure le Mali avec son gouvernement de transition dirigé par le colonel Assimi Goïta. Les deux pays se livrent une bataille diplomatique sur la scène internationale marquée par des déclarations incendiaires. L'événement, qui a mis le feu aux poudres, est sans nul doute les sanctions infligées par la CEDEAO au Mali à la suite du deuxième coup d’Etat. Une décision mal vue par Bamako qui estimait que l’institution sous-régionale était instrumentalisée par le pays de Marianne.L’échec français dans la lutte contre le terrorisme« L'objectif est de nous présenter comme un paria, avec l'objectif inavoué et inavouable à court terme d'asphyxier l'économie afin d'aboutir pour le compte de qui l'on sait et par procuration à la déstabilisation et au renversement des institutions de la transition », déclarait le premier ministre malien Choguel Maïga. Une sortie qui laissait entendre que la France adoptait à nouveau une posture paternaliste rappelant la population aux mauvais souvenirs des périodes pré-indépendances. Mais la principale pomme de discorde entre les deux Etats reste la présence militaire française sur le sol malien. Ces soldats engagés dans la lutte contre le terrorisme depuis 2013 « n’ont pas apporté grande satisfaction », a estimé la junte au pouvoir qui a souhaité une renégociation de l’accord de défense et de coopération avec la France. Une requête inacceptable pour l’Elysée qui a précipité le retrait militaire de la force Barkhane du  Mali. Cette même force avait été la cible de plusieurs manifestants n’hésitant pas à bloquer le convoi militaire. Ce fut le cas à Kaya (Burkina Faso) le 18 novembre 2021, à Téra (Niger) le 27 novembre 2021, et à Ansongo (Mali) le 20 janvier 2022. Pour l’analyste politique et sécuritaire au Sahel, Bah Traoré, cette gronde populaire se justifierait par un mécontentement général lié à la lutte contre le terrorisme. « La présence militaire française au Sahel dure depuis près d’une décennie et les résultats obtenus sont loin d’être une réussite. Face à la propagation du péril djihadiste et l'incapacité des présences étrangères, les populations ouest africaines ne comprennent pas comment une puissance militaire comme la France peut échouer à sécuriser », explique-t-il. Le dernier comportement hostile à l’encontre de l’ancien colon a été enregistré au Burkina Faso suite au coup d’Etat survenu le vendredi 30 septembre dernier. L’ambassade de France était la cible de manifestants burkinabés, qui ont jeté des cocktails Molotov sur l’enceinte, bien décidés à se débarrasser de la présence française dans le pays.Une tendance de plus en plus forte au SénégalTel un virus, ce sentiment antifrançais semble s’être propagé à vitesse grand v dans la quasi-totalité des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest. Même le Sénégal, qui est pourtant un allié historique de la France, ne fait pas exception. Le dessert tant vanté par le président Macky Sall des Français aux tirailleurs sénégalais n’est apparemment plus au goût du jour auprès de la population. Les souvenirs des évènements de mars 2021 sont encore frais dans les mémoires. Les violentes manifestations, ayant émaillé à la suite de l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko,  ont été l’occasion pour certains locaux de décharger leur bile sur les intérêts français.
L’entreprise qui en a fait les frais est le groupe Auchan avec sa chaîne de magasin présente un peu partout dans la capitale pillée et saccagée. Bien que ce genre d’évènement ne soit pas monnaie courante, d'autres faits peuvent venir corroborer la thèse d’un sentiment antifrançais croissant. A l’exemple du mouvement Frapp France dégage créé en 2017 avec comme figure de proue l’activiste sénégalais Guy Marius Sagna. L’homme qui dit se battre contre le « néo-colonialisme » français s’inscrit en droite ligne dans le combat mené par d’autres activistes panafricains tels que Nathalie Yamb ou Kemi Seba.Une présence économique sur le reculoirUn refroidissement des relations qui intervient à un moment où la présence du pays de Macron perd en influence dans plusieurs secteurs d’activité. Dans une chronique diffusée sur Rfi, le journaliste Dominique Baillard évoque le déclin économique enregistré de la France en Afrique. Il souligne le fait que la France n’est plus le premier fournisseur du continent depuis plus de 20 ans. La première place serait occupée par l’Allemagne. « En valeur, les exportations françaises vers l'Afrique ont fortement augmenté. Mais leur poids relatif a été divisé par deux, passant de 12% à 5% entre 2000 et 2021. Cette dilution est due à l'explosion de la demande des Africains, elle a été multipliée par quatre ; et à l'émergence de nouveaux concurrents. Depuis le début des années 2000, la Chine grignote de nouvelles parts de marché, elle détrône la France en 2007. La Chine s'arroge aujourd'hui 17% du marché continental, trois fois plus que la France », a-t-il analysé.Bah Traoré : « Il y a un nouveau vent de nationalisme qui souffle au sein de la jeunesse et il n'est pas à négliger »Au vu de tout ce qui précède, il est pertinent de se demander si ces relations hostiles entre l’Afrique et la France ont atteint un point de non-retour ou si, malgré tout, l’espoir demeure. Dans tous les cas, le pays européen tente, tant bien que mal, de réparer les liens en ciblant la jeunesse. L’évènement marquant le point de départ de cette « nouvelle ère » est le sommet Afrique-France tenu le 8 octobre 2021 à Montpellier. Cette rencontre a voulu se démarquer de ses formats précédents en donnant exclusivement la parole à des jeunes du continent triés sur le volet. Une initiative qui reste insuffisante et moyennement appréciée en raison de son caractère scénarisé. Selon notre analyste politique, une remise en question profonde et sincère de la France est plus que jamais nécessaire. « La posture française à l'égard des dirigeants africains crée un fossé entre les peuples et leurs dirigeants mais aussi entre la France et l'Afrique, observe-t-il. Les tensions diplomatiques entre le Mali et la France donnent le sentiment que la France française, à l'égard de l'Afrique, reste condescendante. Il y a un nouveau vent de nationalisme qui souffle au sein de la jeunesse et il n'est pas à négliger. Il est essentiel pour la France de ne pas réduire ce ressentiment à une manipulation de la part d'autres puissances. Elle doit reconnaître sa part de responsabilité. Il y a là véritablement un conflit de perception qui n'est pas à négliger et qui déterminera les relations futures avec l'Afrique. La posture condescendante alimente ce sentiment ».
Auteur: Moustapha TOUMBOU

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