Nombre d’éléments de la mouvance présidentielle sont manifestement abattus après les événements du 23 juin. Est-ce le cas pour vous ?
Pas du tout. Nous sommes en politique. Plus nous nous rapprochons de l’élection présidentielle de 2012, plus nous aurons des situations politiques qui connaîtront des hauts et des bas. Ce que j’ai vu le 23, certains nous disent que c’est du nouveau, mais cela n’est pas le cas. Des manifestations de Sénégalais réclamant un changement ou une amélioration, ce n’est pas la première fois que cela arrive. Je fais partie des députés qui, en 1999, étaient partis au Palais Bourbon, avec leurs propres moyens, manifester contre Abdou Diouf qui était invité à l’Assemblée nationale française. A l’époque, il avait un projet de toucher notre Constitution pour dire que désormais, il n y aura plus de limitation de mandats. Ce que nous faisions ce jour contre la police française, nous le faisions au nom du peuple sénégalais. Nous étions des mandataires du peuple sénégalais. Si je vois aujourd’hui des Sénégalais qui ne sont pas députés se retrouver devant l’Assemblée nationale, je dis qu’il n y a rien de nouveau qui peut affecter notre compagnonnage avec le président Wade, encore moins nous décourager.
Quelles leçons tirez-vous de ces événements ?
Je tire deux leçons. La première, je salue la maturité des Sénégalais. Désormais, des projets de lois ne sont plus l’affaire de l’Exécutif, mais du Législatif. Les Sénégalais s’intéressent à ce qui se fait à l’Assemblée nationale. Si les Sénégalais n’avaient pas la maturité qu’il faut, ils auraient tout simplement dit : l’Exécutif a initié un projet de loi, attendons ce que les députés vont faire. Les Sénégalais ont constaté qu’ils ont le droit de manifester leur mécontentement ou leur approbation par rapport à un texte législatif. Ce qui reste, il faut travailler pour qu’il y ait une opinion publique au Sénégal. Que les Sénégalais ne dépendent plus d’activistes ou de politiciens. Il faut faire en sorte qu’il y ait davantage plus de citoyens qui comprennent que leur citoyenneté les oblige à avoir un droit de regard sur tout ce qui se fait.
La deuxième leçon que j’ai tirée, c’est la journée émaillée par des violences caractérisées par des maisons brûlées, des voitures calcinées. Cela est à condamner. Le droit de manifester se limite là où démarrent les droits des autres. Il est anormal qu’on agresse de paisibles citoyens. Le Sénégal ne connaît pas ça. Quelle que soit la situation, les Sénégalais savaient raison garder. Il y a des limites qu’on ne doit pas dépasser. Ces limites sont : il faut manifester, réclamer ses droits, il ne faut pas bafouer les droits des autres. Ces violences sont à condamner. Il faudrait également qu’on respecte les institutions. Tout Sénégalais doit éviter de jeter des pierres à l’Assemblée nationale ou au service d’ordre. Il faut faire en sorte que de telles dérives ne se répètent plus. Cela n’honore pas le Sénégal. Cela n’honore personne. Certains s’en glorifient pour dire : oui c’est un message donné au pouvoir. Je dis que ce n’est pas un message donné seulement au pouvoir. Si cela continue, chacun sera son propre gendarme. Chacun sera sa propre police. Et personne ne sera à l’abri. Il faudrait qu’on comprenne que ce que nous avons vu en Côte d’Ivoire, au Libéria, personne ne doit souhaiter qu’on le vive au Sénégal. Les événements qui ont secoué ces pays cités avaient commencé comme ça. Certains pensent que le fait d’être dans l’opposition ou dans les carcans du pouvoir leur donne la possibilité de pouvoir installer des violences partout. Ils se trompent. Vous brûlez la maison d’une personne, les parents ou les sympathisants de celle-ci peuvent riposter. Tout le monde doit combattre la violence.
Vous dites que les Sénégalais n’ont jamais dépassé les limites. A votre avis, qu’est-ce qui a poussé les citoyens à dépasser les limites ?
C’est dû à de fausses informations. Les Sénégalais n’ont pas le temps de faire des jugements. On leur prépare les informations la nuit, le matin on leur balance les informations par des revues de presse ou des journaux. Ils ne prennent pas le recul nécessaire pour apprécier. Ils prennent ces informations comme du Coran, sans prendre le jugement qu’il faut. Si les Sénégalais ont la bonne information, ce que vous voyez ne se produirait pas. On oblige les Sénégalais à croire à des rumeurs et tous les actes posés sont conditionnés par ces rumeurs.
Que faut-il faire pour pousser les Sénégalais à prendre le temps de faire des jugements ?
Il faudrait mieux forger l’opinion publique pour que notre démocratie soit complète. Pour cela, les partis politiques et la presse doivent jouer leur rôle. Les partis politiques doivent encadrer les militants pour leur donner une formation politique et civique. Il va falloir que chacun d’entre nous tienne un discours responsable, donne de bonnes informations, appelle au calme, respecte les institutions. Si cela est fait, le Sénégal peut aller loin et sa démocratie sera plus que jamais saine.
Quelle doit être la posture de la mouvance présidentielle ?
La mouvance présidentielle doit savoir que c’est elle qui gouverne. Il faut qu’elle soit vigilante. Elle doit également prévoir ce qui doit venir. Il ne suffit pas d’y aller avec un esprit partisan. Il faut savoir que même ceux qui ne sont pas dans la mouvance sont des citoyens avec qui nous partageons le Sénégal. Il faut respecter davantage tous les citoyens et poser des jalons pouvant renforcer notre démocratie et la paix civile. Toutefois, il ne s’agit pas de vouloir être en paix avec tous jusqu’à accepter l’inacceptable. Si cela se fait, les institutions risqueraient d’être banalisées, et ce serait une catastrophe qui n’arrange personne.
Vous semblez prôner l’ouverture et la fermeté…
Il faut s’ouvrir, œuvrer pour la transparence tout en étant ferme. Si un Etat n’est pas ferme, les gens dépasseront leurs droits. Personne ne doit jouer à défier l’Etat. La mouvance doit protéger tout le monde.
Est-ce que la relance du dialogue politique pourrait aider à rapprocher l’opposition et le pouvoir ?
Le dialogue politique est inévitable. Refuser le dialogue politique, c’est hypothéquer les élections à venir au Sénégal. Depuis 2007, l’opposition et la mouvance présidentielle ne parlent pratiquement pas le même langage. Aussitôt après l’élection présidentielle de 2007, une partie de l’opposition avait dit que le fichier n’était pas bon. Cette opposition estime que le président n’est pas légitime. Elle a boudé les élections. Ceux qui avaient boycotté sont revenus pour manifester devant l’Assemblée nationale, alors qu’ils n’ont jamais considéré les députés comme des élus légitimes. Tant qu’on ne se retrouve pas autour d’une table pour d’abord être d’accord sur le fichier, les problèmes évoqués par l’opposition, dans huit mois, nous risquons ne pas avoir une élection présidentielle apaisée. Cela aura des incidences sur les élections législatives.
Qui doit faire les premiers pas ?
C’est la mouvance présidentielle qui doit faire les premiers pas et je pense qu’elle l’a toujours fait. Le président de la République a tendu la main à l’opposition à plusieurs reprises. Mais, chaque fois que la main est tendue, souvent on parle de ruse et cela occasionne un blocage. Le président a toujours appelé au dialogue. Les autres acteurs doivent jouer le jeu pour que le dialogue ait lieu. Sans le dialogue, on hypothèque l’élection de 2012.
Propos recueillis par Babacar DIONE
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