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Tuesday 02 September, 2025
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"BP a pris la mer, il nous reste la misère", alerte Fama Sarr, femme transformatrice de poissons

Auteur: Khady Ndoye

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"Nous ne vivons plus, nous survivons. Nous sommes impactées, gravement". Ce cri du cœur, c’est celui de Fama Sarr, transformatrice de produits halieutiques et secrétaire adjointe du CLPA (Conseil local de la pêche artisanale). A Guet-Ndar, dans une zone où quatre sites de transformation de poissons rythmaient autrefois la vie économique, l’espoir a cédé la place à la colère.
Aujourd’hui, le gaz offshore a remplacé les pirogues. Cette communauté côtière est de plus en plus fragilisée par les effets de l’exploitation gazière offshore, Fama Sarr, femme transformatrice de produits halieutiques, livre un témoignage poignant. Elle parle au nom de plus de 1 200 femmes dont la survie dépend de la pêche artisanale, une activité aujourd’hui menacée.
En effet, la roche de Jatara, un site naturel de pêche transmis de génération en génération, est désormais inaccessible. "Cette roche, nos grands-parents l’avaient découverte. Elle permettait aux hommes de ramener du poisson, de nourrir leurs familles, de payer l’école des enfants. Aujourd’hui, elle est illégalement accaparée", explique Mme Sarr.
Avec la réduction des zones de pêche, les revenus chutent. Et pour les femmes transformatrices, qui fument, salent et vendent les produits de la mer, c’est une véritable asphyxie économique. "Il n’y a pas d’activités alternatives ici. La seule chose que nous savons faire, c’est pêcher et transformer. Rien n’est prévu pour nous reconvertir", constatent-elles amèrement.
Alors que le Sénégal ambitionne une transition énergétique "juste et équitable", Fama Sarr reste sceptique. "On parle de justice, mais les communautés impactées ne sont jamais impliquées. On ne croit pas à une transition juste sans nous. Ce sont juste des mots en l’air".
Au début du projet gazier Greater Tortue Ahmeyim (GTA), développé par British Petroleum (BP), les relations étaient prometteuses. BP s’était rapproché des communautés pour faire valider son étude d’impact environnemental. Mais, selon Fama Sarr, cet engagement n’a pas duré. "Une fois l’étude validée, BP a disparu. Les recommandations n’ont jamais été respectées. Notamment celle de créer des récifs artificiels pour compenser la perte d’accès à la mer", dénonce-t-elle.
Aujourd’hui, les installations offshore attirent les poissons. Mais les pêcheurs qui s’en approchent sont malmenés. "Ils sont pourchassés, arrêtés, parfois rasés de force, et emmenés en Mauritanie. Ils doivent payer des amendes. Ce n’est pas humain."
La riposte...
Dans cette zone de pêche qui est aujourd’hui à la croisée de la pauvreté et de l’exploitation gazière, les femmes transformatrices de produits halieutiques, pilier économique et social d’une communauté sinistrée, se préparent à la riposte. 
En effet, les communautés de pêcheurs de la Langue de Barbarie, touchées de plein fouet par l’exploitation gazière offshore du pétrole ne comptent pas se laisser faire. Avec l'appui de l’ONG Lumière Synergie pour le développement (LSD), les communautés de pêcheurs préparent la riposte communautaire face à un projet énergétique accusé de marginaliser les populations locales.
Selon Aby Dia, chargée de projet à LSD, "BP avait promis d’installer des récifs artificiels pour compenser les zones perdues. Aujourd’hui, rien n’a été fait. Il n’y a même pas de dialogue structuré avec les communautés". En 2024, LSD avait engagé un plaidoyer auprès des points de contact nationaux britannique et américain, accusant BP et Kosmos de violer les principes directeurs de l’OCDE. Cette année, l’organisation entend aller plus loin. 
Ainsi, un atelier de deux jours tenu à Saly a permis de jeter les bases d'une nouvelle forme de lutte. Il marquera le lancement de la campagne "Jatara Tour". Cette initiative mobilisera les communautés de pêche artisanale de Saint-Louis, Kayar, Bargny, Mbour, Gandiol et Ndangane, toutes concernées par les projets énergétiques offshore. L’objectif est d'obtenir des réparations, faire entendre les voix locales et réclamer une transition énergétique juste et inclusive.
Les communautés de pêcheurs de Saint-Louis appellent unanimement l’État du Sénégal à faire respecter les engagements pris par BP et à garantir l’implication pleine et entière des communautés dans toutes les phases du projet. 
"Nous sommes pour le dialogue, mais il faut que les autorités prennent leurs responsabilités. Les pêcheurs et leurs familles ne doivent pas payer le prix d’une exploitation gazière opaque et inéquitable", soutient Aby Dia.
En ce sens, LSD et les communautés entendent renforcer leur coordination et porter la voix des pêcheurs sur les plateformes nationales et internationales. Leur combat illustre les contradictions d’un modèle de développement qui, sous couvert de transition énergétique, marginalise des milliers de familles vivant de la mer.
Appel à l'État et à la communauté internationale
Fama Sarr et les siens ne réclament pas la charité, mais la justice. "Nous voulons que l’État pousse BP à respecter ses engagements. Nous sommes prêtes au dialogue. Ce que nous demandons, c’est la dignité", crient ces femmes, pour qui  la mer était une promesse de vie. Elle est devenue un territoire perdu. Et leur combat est simple : exister, vivre de leur travail, et ne pas être sacrifiées au nom du développement. "On dit que les ressources appartiennent au peuple. Mais nous sommes ce peuple. Pourquoi nous exclure ?", demandent-elles.
Auteur: Khady Ndoye

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