Ébranlé par la perte de deux Premiers ministres, le chef de l’État a revu le fonctionnement de l’exécutif. Son frère, ministre de la Défense, et son directeur de cabinet y jouent un rôle plus important que jamais. Explications.
Il y a des âges où l’on n’aime guère bousculer ses habitudes. À 79 ans, Alassane Ouattara (ADO) y a été contraint et forcé, surpris par la perte soudaine d’Amadou Gon Coulibaly (AGC) en juillet 2020, puis par celle d’Hamed Bakayoko, en mars 2021. Deux piliers de son système, décédés tragiquement en moins d’un an… Un coup du sort aux lourdes conséquences.
Le chef de l’État ivoirien aimait dire d’AGC qu’il était son double sur le plan intellectuel. Au cours de plus de trente années de compagnonnage, ils avaient appris à travailler ensemble. Ces deux technocrates parlaient le même langage. ADO en avait fait un secrétaire général tout-puissant de la présidence. Tous les dossiers passaient par son bureau ou celui de ses nombreux conseillers qui le suivirent à la primature lorsqu’il fut nommé en janvier 2017.
Amadou Gon Coulibaly, le double
AGC était aussi la pierre angulaire du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Ce parti avait été taillé sur mesure pour lui. Ses cadres, redevables, devaient l’accompagner dans la conquête du pouvoir.
HAMED BAKAYOKO ÉTAIT L’HOMME DES MISSIONS SENSIBLES, PARFOIS SECRÈTES
La mort d’Hamed Bakayoko a également impacté le chef de l’État. Ministre de l’Intérieur, puis de la Défense et enfin Premier ministre au décès d’AGC, le golden boy faisait partie du carré des fidèles d’ADO. Il s’était rendu indispensable dans la gestion de certains dossiers sécuritaires.
C’était aussi l’homme des missions sensibles, parfois secrètes. « Le président reconnaissait les qualités d’Hamed. Mais il n’avait pas la même certitude et le même attachement pour lui qu’à l’égard d’AGC, qui était son plus proche collaborateur depuis près de trente ans. Et puis lorsqu’il a été Premier ministre, il y a eu beaucoup de rivalités politiques au sein du RHDP. Le climat est aujourd’hui beaucoup plus apaisé », précise l’un des vieux amis d’Alassane Ouattara.
ADO a également perdu le soutien de plusieurs autres personnalités de son entourage qui n’avaient guère supporté le choix d’AGC en tant que dauphin : l’ancien vice-président Daniel Kablan Duncan ou l’ex-ministre des Affaires étrangères Marcel Amon-Tanoh. Sans oublier Mamadi Diané, ancien conseiller spécial aussi discret qu’important, et Sidiki Diakité, ex-ministre de l’Intérieur, qui tous deux sont décédés. Jusqu’à son départ du gouvernement en mars 2020, Amon Tanoh était avec AGC et Téné Birahima Ouattara, l’un des membres de la « troika », ce groupe autour duquel tout s’articulait à la présidence.
L’ombre du frère
C’est donc tout son système qu’il a fallu rebâtir entièrement. Échaudé par l’expérience Duncan, le chef de l’État ne compte toujours pas nommer de nouveau vice-président. Il s’appuie désormais sur un quatuor formé par le Premier ministre Patrick Achi, son frère cadet Téné Birahima Ouattara, son directeur de cabinet, Fidèle Sarassoro et le nouveau secrétaire général de la présidence, Abdourahmane Cissé.
Patrick Achi est en contact permanent avec le président de la République. Toutes les semaines, notamment avant le conseil des ministres désormais bimensuel, il le retrouve en compagnie de Fidèle Sarassoro et d’Abdourahmane Cissé pour une réunion de travail. Il a la main sur les dossiers économiques. ADO lui a également confié certaines questions sensibles comme la gestion du retour de Laurent Gbagbo. Les relations bilatérales et la Défense demeurent, en revanche, la chasse gardée du chef de l’État qui, sur ces dossiers, est épaulé par Téné Birahima Ouattara.
Téné Birahima Ouattara, frère du président ivoirien.
TOUT TOURNE AUTOUR DE PHOTOCOPIE. DÈS QU’UN MINISTRE A UN PROBLÈME, C’EST VERS LUI QU’IL SE TOURNE
L’ombre de celui que l’on surnomme « Photocopie » plane au-dessus du Premier ministre. Le frère cadet est, aujourd’hui, la personne en laquelle Alassane Ouattara a le plus confiance, sans oublier son épouse, Dominique, toujours influente, ainsi que sa nièce Masséré Touré. Cette dernière, épouse du ministre de la Construction, Bruno Koné, est présente en tant que directrice de la communication de la présidence, lors de la plupart des entretiens du chef de l’État. Et elle a son mot à dire dans la stratégie présidentielle.
Ministre des Affaires présidentielles jusqu’en mars 2021, Téné Birahima secondait déjà son frère sur de nombreux dossiers. Il supervisait les services de renseignements, les questions de sécurité et jouait parfois le discret émissaire ou médiateur. Responsable de la Défense depuis le décès d’Hamed Bakayoko, il a vu son pouvoir se renforcer considérablement. « Tout tourne autour de Photocopie. Dès qu’un ministre a un problème, c’est à lui qu’il s’adresse », raconte un membre du gouvernement. D’ordinaire si discret, le voilà désormais exposé. C’est une nouveauté, tant pour le principal intéressé que pour Alassane Ouattara, qui n’aime guère que l’on parle de sa famille, notamment dans les médias.
Présent à la présidence depuis cinq ans, Fidèle Sarassoro devrait, de son côté, voir ses compétences élargies. Il cumule déjà sa fonction de directeur de cabinet avec celle de secrétaire du Conseil national de sécurité (CNS). Il a en charge certains dossiers techniques. Il pourrait être amené à jouer un rôle plus important au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). À la demande d’ADO, il s’est présenté aux élections législatives dans son fief de Sinématiali (Nord), où il a été élu facilement. Une manière pour le président de faire émerger de nouvelles figures en pays sénoufo.
Abdourahmane Cissé et Claude Sahi
Du haut de ses 39 ans, Abdourahmane Cissé a intégré, en avril dernier, le cercle rapproché du chef de l’État. Il est chargé de faire le lien entre la présidence et le gouvernement. Technocrate, diplômé de la prestigieuse École polytechnique, près de Paris, ancien de la banque d’affaires Goldman Sachs International, son profil plaît à ADO. À partir de 2012, Abdourahmane Cissé a été conseiller aux finances publiques, conseiller spécial pour les affaires économiques et financières, puis ministre du Budget. Désormais secrétaire général de la présidence, il est au cœur du système.
Alassane Ouattara a également décidé de nommer Claude Sahi comme chef de cabinet. Le poste occupé par le passé par le ministre Sidi Tiémoko Touré était resté vacant depuis plusieurs mois. Ancien proche d’Ibrahim Coulibaly, il fut l’un des piliers du ministère de l’Intérieur, où il était le directeur des affaires politiques. Hamed Bakayoko l’avait recruté en 2014. « Sahi poussait pour être ministre de l’Intérieur depuis le décès de Sidiki Diakité. En le nommant, ADO bénéficie de sa bonne connaissance de l’administration. C’était un manque dans son entourage qui créait de légers blocages », explique une source à la présidence.
Alassane Ouattara à son arrivée à Bouaflé, le 23 septembre 2020.
ALASSANE OUATTARA EST FROID, CALCULATEUR, OBSERVE, ANALYSE PUIS TRANCHE
Adepte de la géopolitique, Alassane Ouattara accorde une importance particulière à certains postes, comme celui de Premier ministre et de secrétaire général de la présidence qu’il voit comme un tremplin pour la primature. Il est également très attentif au choix des personnes et à la confiance qu’il peut leur accorder. Surtout, il prend rarement des décisions dans la précipitation. Il est froid, calculateur, observe, analyse puis tranche.
Au-delà des personnes, les pertes d’Amadou Gon Coulibaly et d’Hamed Bakayoko ont-elles contraint le chef de l’État à faire évoluer sa manière de travailler ? Près de dix mois après l’élection présidentielle, « il est encore trop tôt pour le dire », estime l’un de ses proches. S’il a toujours été très présent dans la gestion du pays, l’absence d’AGC l’oblige toutefois à moins déléguer qu’auparavant.
AUJOURD’HUI, IL SE DONNE LE TEMPS DE VOIR TOUT LE MONDE À L’ŒUVRE
L’ancien haut fonctionnaire est, en tout cas, toujours aussi méticuleux. Levé tôt, il se rend dans son bureau au premier étage de la présidence, après avoir passé ses premiers appels, répondu à quelques e-mails et écouté les nouvelles à la radio. Il demande beaucoup d’implication à ses collaborateurs. À peine le nouveau gouvernement formé, il a mis la pression sur ses ministres pour qu’ils nomment le plus rapidement possible leur directeur de cabinet, provoquant un vent de panique chez certains.
« Aujourd’hui, il se donne le temps de voir tout le monde à l’œuvre. C’est une sorte de période d’essai pour déterminer le niveau de compétence et de confiance », poursuit l’un de ses vieux amis. « Le patron est exigeant », répète Patrick Achi à ses proches, depuis sa nomination.
QUI POUR REMPLACER AMADOU GON COULIBALY AU RHDP ?
Encore plus que la perte de Hamed Bakayoko, le décès d’Amadou Gon Coulibaly (AGC) a considérablement affaibli le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Pour compenser cette absence, Alassane Ouattara devrait nommer, dans les prochains mois, un nouveau président du directoire. Le poste est de facto occupé par Adama Bictogo, officiellement directeur exécutif du parti.
L’homme d’affaires, vice-président de l’Assemblée nationale, se verrait bien poursuivre l’aventure. Mais ADO pourrait choisir de placer une personnalité, peut-être moins ambitieuse, en laquelle il ait pleinement confiance. « Pour le moment, il n’a pas tranché. Bictogo a pris du poids dans son dispositif en l’absence d’AGC et de Hamed Bakayoko. Mais le président n’est pas totalement rassuré », souligne un membre de son entourage. De nouvelles figures devraient émerger dans les prochains mois.
3 Commentaires
Pourquoi Ouattara n'a pas fait de feu Ahmed bakhayoko son dauphin à la mort de Gon coulibaly au lieu de le nommer premier minsitre?
Pourquoi il ne veut pas du tout que Soro soit candidat?
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