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Au Cameroun, le combat dans l’ombre des petites mains contre le coronavirus

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Au Cameroun, le combat dans l’ombre des petites mains contre le coronavirus
Ces personnels hospitaliers travaillent dans les services d’hygiène et d’assainissement, dans la buanderie ou encore à la stérilisation des matériels utilisés.


Encore une désinfection… Pulvérisateur sur le dos, Ebenezer Tchakounté enchaîne les opérations dans le service des urgences de l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Douala, la capitale économique du Cameroun. Enveloppé dans sa combinaison blanche, botté, visage couvert d’une visière et mains gantés, le technicien en « génie sanitaire » décontamine tout : couloirs, tables, toilettes, bureaux…

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Ebenezer est régulièrement interrompu par des blouses blanches ou des patients et, invariablement, dès qu’ils le voient, viennent vers lui pour faire pulvériser leurs vêtements, chaussures, sacs à mains… « Avant, je n’avais pas autant de travail. Mais depuis que cette pandémie sévit, mon rôle est d’éviter la contamination », explique le technicien.


L’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Douala est l’un de centres de traitement des malades atteints du Covid-19 au Cameroun. Ici comme dans d’autres hôpitaux réquisitionnés, le personnel soignant est mobilisé pour venir à bout de cette pandémie qui sévit désormais sur les dix régions du pays, et a déjà touché 6 585 personnes pour 200 décès au 3 juin.

« Un rôle fondamental »

Dans cette lutte, Ebenezer Tchakounté fait figure de soldat de l’ombre. Moins célébrés que les médecins et infirmières, les personnels du service hygiène et assainissement sont pourtant l’un des maillons de la guerre contre le virus. Comme les blanchisseuses de la buanderie, le service stérilisation ou encore les ambulances hospitalières. Chaque jour, ils sont à pied d’œuvre pour désinfecter, transportent les patients, laver le linge sale des malades infectés, stériliser le matériel ou lessiver les sols…

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« Ces personnes jouent un rôle fondamental sans lequel on ne pourrait rien faire. Sans eux, ce serait du suicide. Comme partir à la guerre sans armes », souligne le docteur Dominique Djomo, chef du service anesthésie et réanimation de l’hôpital gynécologique. « Ce personnel est indispensable pour le contrôle de l’infection dans les hôpitaux », renchérit le professeur Bertrand Hugo Mbatchou, chef de service pneumologie à l’hôpital général de Douala, autre centre de prise en charge.

Dans la salle de stockage de la buanderie de l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Douala, Marie Yetna pointe, elle, des serviettes, draps, blouses et vêtements lavés et repassés. Masque sur le nez, la chef de l’unité semble fatiguée mais satisfaite en cette fin d’après-midi d’avril. Son équipe constituée de dix personnes va comme d’ordinaire travailler jusqu’au soir, pour finaliser les dernières tâches.

Inquiétude

Le virus étant extrêmement contagieux, le processus a été modifié et leur travail « accentué ». D’ordinaire, le linge était trié selon son degré de saleté et une pesée déterminait la quantité de produits à ajouter. Désormais, « le linge du coronavirus subit un traitement particulier. D’abord, il faut le désinfecter totalement avant d’entamer le processus normal de lavage à la machine et le passage dans la calandreuse [repasseuse]», précise Marie, qui veille à la protection de ses équipes et leur rappelle la vigilance dont elles doivent faire preuve.

Micheline Nyanda est agent d’entretien à l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Douala. Ici, en avril 2020.
Micheline Nyanda est agent d’entretien à l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Douala. Ici, en avril 2020. JOSIANE KOUAGHEU
Dans la salle voisine, le même professionnalisme silencieux est à l’œuvre. Ici, des hommes et des femmes en blouse blanche, charlotte sur la tête, mains gantées et masque sur le nez, stérilisent le matériel chirurgical réutilisable. Les bouches à oxygène, tuyaux d’aspiration, masques à oxygène, pinces et sondes naso-gastriques sortis des salles d’hospitalisation des patients atteints du Covid-19 affluent là pour être trempées dans les bacs de décontamination, lavés, vidés de tous leurs résidus, rincés à l’eau distillée et finalement reconditionnés au fil de journées longues et très chargées.

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Au terme de son travail, Laurent Mevooh, ingénieur médico-sanitaire se dit heureux « de mettre à la disposition des services un matériel stérile, dépourvu de tout micro-organisme ». Si le responsable de la stérilisation reconnaît « aimer son travail », il ne cache pas son inquiétude, partagée par la plupart des personnes rencontrées ou interviewées par Le Monde Afrique, face au manque d’Equipements de protection individuelle (EPI).

« Au cœur de la lutte »

« Les médecins, infirmiers et autre personnel soignant manquent déjà de masques. Alors, bien sûr, la situation des agents désinfectants, agents d’entretien, ambulanciers et de ceux qui travaillent à la buanderie est encore plus préoccupante », avoue le coordonnateur d’un centre de traitement et d’isolement des malades atteints du Covid-19. « Ils ne sont pas prioritaires au moment des distributions et j’ai moi-même commis ces erreurs », regrette-t-il, contraint par la pénurie.

D’après ce médecin qui a souhaité garder l’anonymat, beaucoup manquent de masques, de combinaisons, de bottes… « Ils sont au cœur de la lutte. Sans eux, on vivrait dans un amas d’ordures extrêmement contagieux et mortel. Et sans protection, ils sont exposés à des contaminations », poursuit le coordonnateur. Selon le rapport de situation sur le Covid-19 du 21 au 25 mai au Cameroun, 181 personnels de santé ont déjà été contaminés à travers le pays.

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Alors, pour se protéger, chacun a ses astuces. A l’hôpital central de Yaoundé, dans la capitale, face aux EPI qui manquent « la plupart du temps », Nsano Mama, technicien principal de génie sanitaire et ses collègues ont décidé de recycler les combinaisons pourtant à usage unique. « Après avoir procédé à une décontamination de celles-ci bien sûr », précise l’homme qui déplore que ce matériel, essentiel pourtant à leur activité, arrive « à des fréquences très irrégulières ».

« Mourir pour sauver des vies »

Cinq personnels de l’entretien, de la buanderie et du service hygiène nous ont confié que, faute de masques chirurgicaux de type FFP 3, ils utilisaient des cache-nez en tissu. « Ce n’est pas recommandé car on travaille aux côtés des malades. Mais c’est mieux que rien », lance un agent d’entretien en haussant les épaules. « Je me demande parfois si le gouvernement se soucie de nous. Nos primes ne sont pas payées à temps, on manque d’EPI. On risque nos vies pour quoi à la fin ? », se demande une jeune femme, aussi agent d’entretien.

Malgré toutes ces difficultés, ce climat de danger et cet anonymat, beaucoup de ces petites mains nous ont confié être prêtes « à mourir pour sauver des vies ». Naomi Djandja est de celles qui font des sacrifices extrêmes. Dès les premiers cas de coronavirus détectés début mars au Cameroun, cette jeune maman n’a pas hésité à sevrer son petit garçon de 7 mois et à le confier à son époux et sa belle-sœur.

Depuis cette technicienne de génie sanitaire en poste à l’hôpital central de Yaoundé vit dans l’enceinte du centre d’isolement, comme la plupart de ses collègues. Elle ne rentre plus que de très rares week-ends et reste alors à bonne distance des siens.

« Quand un soldat va en guerre, il ne regarde pas en arrière. La cause est juste. Si je ne viens pas combattre cette pandémie, elle risque de me retrouver jusque chez moi », veut croire Naomi. A l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Douala, Micheline Nyanda partage la même analyse.

Rencontrée en plein travail au service anesthésie et réanimation, cette mère de quatre enfants et trois fois grand-mère nettoie chaque jour le sol carrelé. Et quand ses enfants lui crient leur inquiétude, elle rappelle, sûre d’elle : « Ne vous en faites pas, je respecte les mesures barrières. Et, surtout, j’aide mon pays à gagner une guerre contre un dangereux virus. » Un acte de bravoure anonyme. Comme beaucoup d’autres.  


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