Le Sahara occidental, territoire non autonome disputé depuis des décennies entre le Maroc et le Front Polisario, a été de nouveau au centre du débat, mercredi. Une décision de justice européenne a donné aux indépendantistes "le droit de représenter le peuple sahraoui devant les tribunaux et dans les affaires commerciales", comme l'explique à France 24 Erik Hagen, membre de l’ONG Western Sahara Resource Watch.
La décision était attendue par les indépendantistes du Front Polisario, à l’origine de la saisie du Tribunal de l’Union européenne pour des accords estimés "litigieux" entre le Maroc et l’UE concernant le Sahara occidental. La juridiction européenne leur a donné raison, mercredi 29 septembre, en annulant les deux accords de partenariat commerciaux.
Dans une déclaration conjointe publiée à Bruxelles juste après l'annonce du Tribunal, l'UE et le Maroc se sont engagés à poursuivre leur "partenariat stratégique". Saluant "une victoire triomphale", le Front Polisario s'est, lui, félicité d'une décision "historique" pour la cause sahraouie.
Le Sahara occidental, au centre de l’attention, est un territoire non autonome depuis 1963, selon l’ONU. Il est disputé depuis plus de 45 ans entre Rabat et les indépendantistes sahraouis, soutenus par l’Algérie. Ancienne colonie espagnole de 266 000 km², et peuplé de plus d'un demi-million d'habitants, il est essentiellement contrôlé par le Maroc, qui détient 80 % de ce territoire quasi-désertique, au sous-sol riche en phosphates et au littoral très poissonneux.
Cette situation perdure depuis 1975, année où l’Espagne a cédé le nord et le centre du territoire au Maroc et le sud à la Mauritanie. Le Front Polisario a d’emblée refusé cette annexion, soutenu rapidement par l’Algérie qui n’avait pas apprécié que l’avenir des territoires sahraouis soit décidé sans le consulter. Les indépendantistes demandent un référendum d’autodétermination sur le Sahara occidental, constamment refusé par le Maroc.
Le territoire est séparé depuis 1980 par un "mur de défense" construit par le Maroc, qui a été suivi d’un exode des populations locales. On estime aujourd’hui qu’entre 100 000 à 200 000 réfugiés sahraouis sont installés dans ces camps situés à 1 800 km au sud-ouest d'Alger, près de la frontière avec le Maroc. En 1991, la guerre entre le Maroc et le Front Polisario s'est soldée par un cessez-le-feu mais à condition qu’un référendum d'autodétermination puisse être organisé.
Erik Hagen, membre de l’ONG Western Sahara Resource Watch, analyse pour France 24 cette décision.
En quoi la décision du Tribunal de l’Union européenne d’annuler deux traités entre l’UE et le Maroc peut-elle être perçue comme un revers pour Rabat ?
Erik Hagen : Le Sahara occidental est l’affaire la plus importante au niveau international pour le Maroc. Rabat cherche toujours différentes méthodes pour gagner en légitimité politique et diplomatique sur cette question : cela se matérialise par des accords commerciaux avec des multinationales, des exportations de produits à l’international ou encore des accords de pêche.
La décision du Tribunal de l’Union européenne de mercredi touche à ses deux accords les plus importants avec l’UE.
Rabat a le droit de certifier les entreprises du Sahara occidental pour les exportations vers l'Europe. Parmi elles, 144 entreprises marocaines ou internationales sont situées sur le territoire sahraoui. Le fait que les accords n’aient maintenant plus de validité empêche le Maroc d’exporter des produits vers l’UE. Cela va aussi entraîner le retrait de la flotte européenne des eaux adjacentes au Sahara occidental pour la première fois (NDLR : Le protocole de pêche annulé conclu entre l'UE et le Maroc devait permettre à 128 navires européens d'accéder durant quatre ans aux zones de pêche des eaux atlantiques marocaines, y compris au large du Sahara occidental).
Qu’est-ce que cet arrêt européen change pour le Front Polisario ?
La position de la Cour disant que le Front Polisario est le représentant du peuple sahraoui est une reconnaissance légale – cette affirmation existait dans une résolution des Nations unies – et surtout un signal politique. La déclaration du Tribunal de l’UE est claire : ce qui est important avec cet arrêt, c’est que le Front Polisario est conforté dans son droit de représenter le peuple sahraoui devant les tribunaux et dans les affaires commerciales.
Par ailleurs, le Tribunal a relevé deux mots importants dans son arrêt par rapport aux décisions du Conseil de l’Europe de 2019. Il a d’abord noté que le remplacement – par le Conseil – du mot "consentement" par le mot "consultation" était erroné lors de l'extension des accords commerciaux au Sahara occidental.
De même, le Tribunal a conclu que le remplacement du mot "peuple" par le mot "population" était également erroné. Là où le mot "population" peut désigner les Marocains partis s’installer au Sahara occidental depuis 1975 et les Sahraouis réfugiés en Algérie, le "peuple" sahraoui est une entité légale qui a un droit d’autodétermination – ce que souhaite le Front Polisario pour le Sahara occidental.
Est-ce que cet arrêt va amener un changement du statut international du Sahara occidental (officiellement territoire non autonome) ?
Cet arrêt confirme le statut légal du Front Polisario et du peuple sahraoui, mais cela ne va pas changer le statut international du Sahara occidental. Depuis les premiers jugements, en 2015, le Sahara occidental est distinct du Maroc au regard de la justice européenne, ce sont des territoires différents.
Avec cet arrêt, finalement, les gouvernements, les institutions et même les entreprises européennes vont devoir probablement changer leurs pratiques vis-à-vis du Sahara occidental. Il ne s’agit plus seulement de "consulter" les populations locales, il y a maintenant des aspects juridiques, politiques et éthiques à prendre en compte avec cette décision judiciaire.
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