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Afrique

Tourisme médical : l’Inde, nouvelle destination privilégiée des Africains

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Chirurgien au chevet d’un patient nigérian, à l’Apollo Hospital de Chennai (Inde du Sud).

Chaque année, de plus en plus de Subsahariens sont admis dans un hôpital de New Delhi ou d’ailleurs pour soigner une pathologie grave. C’est cher ? Oui, mais moins que dans les pays développés.

Allongé sur son lit, Jean-Marie est encore affaibli par la transplantation rénale qu’il a subie un mois plus tôt. Ce professeur de sociologie nous a donné rendez-vous au Kundan Palace, modeste hôtel situé à deux kilomètres de l’Apollo Hospital de New Delhi. C’est là que, en compagnie de son épouse, il a posé ses valises.

Dans sa famille, le diabète se transmet de père en fils. D’ailleurs, l’un de ses frères en est mort. Depuis 2013, il était, dit-il, soigné « au rythme du pays ». Jusqu’à ce que sa santé se dégrade sérieusement. « En RD Congo, il n’y avait pas de spécialiste. Mon médecin m’a donc conseillé d’aller me faire soigner en Inde ou en Europe », explique-t-il.

À l’instar de Jean-Marie, et en dépit des exactions racistes qui ont fâcheusement tendance à se multiplier dans le pays, quelque 134 000 personnes se sont rendues en Inde avec un visa médical en 2015, selon une estimation des Chambres de commerce et d’industrie indiennes. Soit une augmentation de 140 % en deux ans.

Contrairement à une idée reçue, le tourisme médical en Inde concerne d’abord des patients d’origine modeste

Dix fois moins cher que dans les pays développés

La plupart viennent du Moyen-Orient, d’Afghanistan, du Bangladesh et d’Afrique. « Il faut prendre ces estimations avec précaution, car les dirigeants des établissements concernés sont souvent tentés de gonfler les chiffres », tempère Heidi Kaspar, chercheuse à l’université de Zurich (Suisse). Malgré le coût relativement faible des interventions – dont les prix sont jusqu’à dix fois moins élevés que ceux pratiqués dans les pays développés –, Jean-Marie n’avait pas les moyens de financer seul ce voyage.

Entre l’opération, les frais d’hôtel et les billets d’avion, la facture dépasse en effet 25 000 dollars, somme finalement prise en charge par l’un de ses employeurs. « Contrairement à une idée reçue, le tourisme médical en Inde concerne d’abord des patients d’origine modeste, confirme Heidi Kaspar. Certains viennent ici parce qu’ils n’ont plus d’autre choix, et au prix de durs sacrifices. Ils souffrent le plus souvent de pathologies graves : cancers, troubles cardiaques ou neurologiques nécessitant parfois une transplantation. »

Jean-Marie a fait appel à Harmick, le fils d’un ami établi à New Delhi, pour qu’il l’aide dans ses démarches. C’est lui qui a traduit le dossier médical de l’anglais au français, et inversement, et fait l’intermédiaire avec l’Apollo Hospital, premier établissement privé indien à s’être lancé dans ce type de tourisme, il y a une vingtaine d’années. Jean-Marie a également dû trouver un donneur parmi les membres de sa famille, comme l’exige la loi indienne.

En Inde, le secteur du tourisme médical pèse 3 milliards de dollars. 

Les « facilitateurs »

Depuis l’apparition du tourisme médical, au milieu des années 2000, travailler comme interprète a permis à nombre d’étudiants africains francophones d’arrondir leurs fins de mois. On les appelle ici des « facilitateurs » car, au-delà de leurs compétences linguistiques, ils aident les hôpitaux à attirer des clients. Certains en ont même fait un métier.

Il n’y a pas de système standard, le secteur est peu organisé mais il fonctionne très bien

C’est le cas de Capitaine, arrivé de RD Congo il y a quatre ans. « J’ai aussitôt acheté une carte SIM, se souvient-il, et contacté des médecins au pays pour qu’ils m’envoient des patients. » Pour chaque malade amené dans un hôpital privé de Delhi, Capitaine affirme toucher 20 % du montant de la facture, ce qui lui permet de rémunérer son « réseau d’intermédiaires » congolais. « J’accompagne les patients partout, y compris en salle d’opération. Je m’habille comme un “doc” et leur explique tout ce qu’ils ont à faire. » Parfois, moyennant finances, il va jusqu’à les héberger chez lui.

Proies faciles

Les hôpitaux se montrent plus discrets quant à la rémunération de leurs « facilitateurs ». « Il n’y a pas de système standard, le secteur est peu organisé mais il fonctionne très bien », assure Vinayak Shourie, directeur commercial au Fortis Hospital, à Gurgaon, pas très loin de la capitale. Dans ce centre de soins aux faux airs de palace, la grande majorité des 15 000 étrangers soignés chaque année arrive par ce canal. « La plupart des intermédiaires que j’ai rencontrés font un travail fantastique et prennent grand soin des malades », confirme Heidi Kaspar.

On est parfois vus comme des voleurs

Heureusement, car les patients qui ne parlent pas l’anglais peuvent vite devenir des proies faciles. Il est arrivé que des opérations soient surfacturées au profit d’un traducteur et/ou d’un médecin peu scrupuleux. Craignant que ces dérapages n’entachent leur réputation, certains établissements réclament une meilleure réglementation de la profession. « On est parfois vus comme des voleurs », regrette Capitaine.

Antennes africaines

La majorité de ses patients venant d’Afrique de l’Est, le Max Hospital s’apprête à ouvrir une antenne à Nairobi. Il n’est pas le seul : la majorité des hôpitaux privés indiens concluent des partenariats avec des établissements africains (publics et privés), quand ils ne nouent pas des liens directs avec certains gouvernements. « La plupart de nos malades nous arrivent dans le cadre de tels accords », explique Harinder Sidhu, chargé du développement international à l’Apollo, un groupe hospitalier pour lequel « l’Afrique est un marché clé ».

Les clients viennent de tous les pays subsahariens, le plus souvent anglophones. Chaque semaine, des équipes de managers et de médecins de l’Apollo sillonnent le continent. Le groupe a conclu des partenariats avec les gouvernements zambien, tanzanien, botswanais, congolais (Brazza), mozambicain et malgache. Et le Max, quant à lui, avec une région kényane. Lorsqu’un ressortissant de ces territoires ne peut être traité sur place par manque d’infrastructures ou de spécialistes, le gouvernement finance son transfert dans l’hôpital indien partenaire.

Anémie

Habimana est soignée au Max Hospital depuis la fin de février. Au Rwanda, où la médecine nucléaire est encore balbutiante, personne n’avait réussi à diagnostiquer les causes de son anémie. Avec l’aval de son gouvernement, elle a donc pris la direction de Delhi. « Je suis arrivée sur une chaise roulante tant j’étais affaiblie. Aujourd’hui, je suis de nouveau capable de marcher », se réjouit cette magistrate de 47 ans.

L’industrie du tourisme médical fonctionne comme une organisation commerciale

Une affaire de business

En contrepartie de cet afflux de patients, les hôpitaux indiens accueillent des médecins africains pour des stages d’observation de durée variable : entre quatre semaines et, plus rarement, un an. L’Apollo Hospital et le Fortis Hospital en accueillent chacun une trentaine par an. En 2016, le Max Hospital en a vu défiler une centaine. Les pays d’origine des médecins sont les mêmes que ceux des patients. Si les stages proprement dits sont gratuits, les frais de séjour restent à la charge des bénéficiaires.

Car, bien sûr, tout ça est avant tout affaire de business. « L’industrie du tourisme médical fonctionne comme une organisation commerciale », confirme un doctorant sous le couvert de l’anonymat. Selon le cabinet de conseil Grant Thornton, le secteur pèse 3 milliards de dollars et pourrait atteindre 8 milliards d’ici à 2020. Dans ce pays où 1,3 % du PIB seulement a été consacré aux dépenses de santé en 2015-2016, le gouvernement pousse à la roue. Il veut que l’Inde devienne une référence en la matière.

Bichonnés

Une stratégie qui commence à payer, à en juger par la présence au Max Hospital de deux patients nigérians prestigieux : l’homme d’affaires Shehu Suleiman et son ami Abubakar Sadiq Mohammed, qui fut ministre du Tourisme sous Goodluck Jonathan. Tous deux sont venus pour faire un bilan de santé et rencontrer un spécialiste de renom. Une opération et trois semaines plus tard, ils auront dépensé 8 000 dollars chacun. « Nous aurions pu nous faire soigner au pays, mais notre travail ne nous aurait pas permis de le faire dans de bonnes conditions », estime Suleiman, qui repartira pour Abuja le soir même.

Les deux notables nigérians ont été bichonnés par l’hôpital : un chaperon leur avait été affecté pour les aider à trouver leur chemin entre les différents services et éviter qu’ils ne fassent la queue. Tout le monde ne bénéficie pas d’une telle sollicitude. L’honnêteté oblige à dire que la qualité du service est fonction du montant de la facture acquittée par le patient.

« C’est un peu comme si vous aviez le choix entre un hôtel cinq étoiles ou un hôtel classique », explique Vinayak Shourie, avant de se reprendre : « Mais, bien sûr, l’analogie s’arrête là puisqu’il s’agit de soins médicaux. » Traduction : Business is business, enfin presque.

Coopération à double entrée

C’est une première. En février, le ministère indien des Affaires étrangères a pris en charge le stage d’observation d’une vingtaine de médecins africains dans différents hôpitaux du groupe Apollo. « Nous ne pouvons pas soigner les malades, mais nous observons et posons des questions, raconte le Sénégalais El Hadji Mansour Dob. C’est parfois frustrant, mais nous n’avons pas à nous plaindre : nous sommes dans un pays étranger, et les pathologies ne sont pas toujours les mêmes. »

Fortis, lui, gère quatre hôpitaux sur le continent : un au Nigeria, un en Ouganda et deux autres à Maurice. Le PDG et le directeur de l’administration sont presque tous indiens. « Ça fonctionne un peu sur le modèle d’une franchise, et ils peuvent utiliser le nom de Fortis », explique Vinayak Shourie, le directeur commercial du groupe.  C.D.



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