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Afrique

Une jeune Kényane raconte l'esclavage moderne

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Une jeune Kényane raconte l'esclavage moderne

Elle était domestique en Arabie saoudite, chez des princes. Au bout de 3 ans et 10 mois de mauvais traitements, elle a fui lors d'une escale à Paris.

 

"J'ai 29 ans et Mary n'est pas mon vrai prénom, mais j'ai peur qu'on me reconnaisse. La plupart de mes proches ne savent rien de ce qui m'est arrivé, je ne voudrais pas leur faire de peine. Autrefois j'avais des rêves. Je voulais apprendre le droit ou devenir infirmière, je voulais être une femme indépendante. J'ai grandi dans la banlieue de Mombasa, la deuxième ville du Kenya, avec mes parents, mon grand frère et ma petite soeur. Mes parents - mon père est mécanicien et ma mère ne travaille pas - ne gagnent pas assez pour payer nos études.

 

Lorsque je décroche mon bac à 18 ans, je comprends que mon père a un plan pour moi. Loin de l'université : il m'a promise à un de ses amis, un "vieux" qui veut faire de moi sa quatrième épouse, en échange d'argent. Je ne veux pas de cette vie, je la repousse de toutes mes forces. Mon père ne comprend pas. C'est un homme sévère, qu'on ne conteste pas, c'est comme ça depuis que je suis petite : s'il dit quelque chose, on le fait.

 

Lorsque mon père est mécontent, il nous frappe avec un bâton

 

Ma mère n'est pas toujours d'accord mais elle ne peut rien y changer, il reproduit sur nous ce qu'il a connu enfant : quand il est mécontent, il nous frappe avec un bâton ou avec un tuyau en caoutchouc. Mon grand frère, qui s'est rebellé, a quitté la maison pour aller à la capitale, Nairobi. Je vais partir moi aussi, moi qui n'ai jamais eu le droit de sortir seule dans la rue, je veux choisir ma vie.

 

Une de mes amies a travaillé en Arabie saoudite. Elle peut m'aider à trouver un travail là-bas, le temps de gagner de quoi payer mes études. Sans rien dire, je prépare mon départ. Une famille cherche un professeur d'anglais pour deux ans. Ce sont de lointains parents du roi Fahd. On les appelle prince et princesse. Ils sont prêts à payer mon billet d'avion et à me fournir un visa.

 

Je mets quelques affaires dans un sac, je prends mon passeport, que ma mère garde avec les papiers de la famille dans un tiroir de sa chambre, et je pars sans laisser d'explication. Le car jusqu'à Nairobi puis l'aéroport. C'est la première fois que je prends l'avion. Je ne cesse de pleurer. Dans le miroir des toilettes, mes yeux sont gonflés et rouges.

 

"Je ne sais pas que j'entre en prison"

 

A Riyad, un policier me demande mon passeport. Je le lui tends. A ce jour, je ne l'ai pas retrouvé. Il le donne à celui qui vient me chercher, un homme très grand et très noir - c'est idiot mais ça me surprend qu'il soit si foncé. Il est l'un des chauffeurs, il ne parle pas anglais, alors nous restons silencieux pendant le trajet jusqu'à la maison. Je regarde par la fenêtre cette ville totalement vide. Je pense à mes parents, je me répète : 'Tu fais un peu d'argent et tu rentres au Kenya.' Je ne sais pas que j'entre en prison.

 

Une femme me désigne ma chambre : un compartiment dans un conteneur séparé en trois pièces. Je partagerai la mienne avec une Philippine. Deux autres employées, une autre Philippine et une Sri-Lankaise, dorment à côté. Près des chambres, une petite salle de bains, pas de fenêtre, juste une ouverture pour la climatisation.

 

La maison est immense. Des salons, des chambres, des canapés, des tapis, des meubles à n'en plus finir. Vivent ici un couple et ses sept enfants, quatre filles et trois garçons. La princesse m'explique que je dois m'occuper de deux de ses filles, âgées de 13 et 15 ans, comme une mère le ferait : les nourrir, les habiller, les accompagner partout, m'occuper de leurs affaires, être à leur disposition 24 heures sur 24.

 

"La princesse nous gifle"

 

Mes journées débutent à 5 heures du matin. Je prépare leur petit déjeuner, je les réveille et je les habille. Oui, même adolescentes, elles ne s'habillent pas seules. La première fois, la plus jeune m'a dit : 'Mets-moi mes chaussettes, dépêche-toi !' Ensuite, nous partons à l'école. La famille possède six voitures, des grosses cylindrées, mais personne sauf le prince ne doit être seul avec son chauffeur. Je porte leurs cartables, les monte jusqu'à leurs classes. Puis je rentre faire le ménage. Je sais que la princesse passera son doigt pour vérifier qu'il ne reste pas un grain de poussière.

 

Le plus pénible, c'est la lessive. La machine est vétuste. Il faut faire le rinçage à la main, ça prend des heures et l'eau est glacée. La buanderie est sur le toit de la maison. En hiver, on gèle. En été, la chaleur est si insupportable que nous sommes en sous-vêtements. Nous n'avons pas le droit de laver nos affaires dans la machine, devant nous contenter du lavabo. Parfois nous trichons bien sûr mais l'une d'entre nous, je ne sais pas pourquoi, nous dénonce. La princesse nous gifle.

 

"Jamais un jour de repos"

 

Si les filles ont un problème, l'école appelle le standard central de la maison et on me prévient : à moi de gérer, aller les chercher, les conduire à l'hôpital si c'est sérieux. Les parents, eux, dorment. Ils ne se réveillent pas avant 18 heures et se couchent au petit matin, lorsque leurs enfants se lèvent. Le prince dirige une entreprise d'immobilier. Il part au bureau après la prière de la nuit. Il y reste jusqu'à 23 heures puis c'est l'heure du dîner. Nous attendons qu'ils terminent pour pouvoir manger à notre tour... s'ils nous laissent des restes, sinon nous devrons attendre le petit déjeuner du lendemain. La princesse est perpétuellement au régime, elle se nourrit d'oeufs durs et de café. Sa vie est vide. La mienne est emmurée.

 

Je suis restée trois ans et dix mois chez eux, j'aurais pu y passer ma vie entière. Jamais un jour de repos et une vue bouchée par les rideaux aux fenêtres. Nous gagnons 600 riyals par mois (l'équivalent de 125 euros). Je n'ai pas le droit de téléphoner à ma famille. Les seules sorties, pour acheter des vêtements par exemple, doivent être autorisées par la princesse, et collectives, nous sommes toujours chaperonnées par un chauffeur. Elles sont très rares, peut-être deux fois par an. Sinon, nous sortons pour accompagner la famille.

 

"Sans passeport ni argent je suis prise au piège"

 

C'est un signe extérieur de richesse pour eux : une famille sans domestique est mal vue. Je rencontre d'autres servantes. On me raconte l'histoire de cette fille qui de désespoir s'est jetée du haut de la maison. Et celle qui a laissé son bébé de 3 mois chez elle, sans espoir de le revoir. On parle de cette patronne qui exige de sa bonne qu'elle tire la chasse d'eau à sa place. Je comprends que sans passeport ni argent je suis prise au piège.

 

Le pire, ce sont les vacances. Les enfants sont là en permanence. L'une dort la journée et passe ses nuits devant la télé ? Je dois la regarder avec elle, jusqu'au matin, mais assise par terre car on ne m'autorise pas le canapé. Et puisque sa soeur se lève le matin, je ne dormirai pas. Ca amuse la plus jeune, qui est aussi la plus méchante : 'Nettoie !' me lance-t-elle après avoir volontairement répandu son soda au sol.

 

"Il est armé d'un couteau. Il me viole"

 

Quand ils partent en voyage, ils nous emmènent. Egypte, Dubai, Jordanie : nous ne savons jamais où ni combien de temps nous partons. Les séjours à l'hôtel nous angoissent car ils ne réservent pas de chambre pour nous. Nous dormons par terre, au pied des lits des princesses. Et, puisqu'ils mangent au restaurant, nous n'avons plus leurs restes pour nous nourrir. Nous emportons des biscuits dans nos valises mais nous avons faim. Lorsqu'ils sortent pour visiter les villes, ils nous emmènent rarement. Je me souviens d'avoir été dans une fête foraine en Egypte, c'est tout. La plupart du temps, nous restons à l'hôtel, enfermées à clé dans la chambre.

 

En octobre 2008, la famille séjourne à Genève et décide de faire une escapade à Paris. Nous prenons le train. Je suis la seule domestique à être du voyage. Je reste dans la chambre, à faire la lessive à la main, puis à repasser le linge de toute la famille, les parents et leurs sept enfants. Un jour, alors que les autres sont sortis, le fils aîné ouvre la porte. Il est armé d'un couteau. Il me viole.

 

Hagarde. Je marche dans cette ville qui m'est inconnue, vite m'éloigne de cette famille qui me tue. C'était simple de sortir, il a oublié de refermer la porte à clé. Descendre, passer la porte, marcher. Au loin la tour Eiffel. La vue brouillée par mes larmes, je ne détache pas mes yeux de ce phare, je marche jusqu'à lui. Arrivée au Trocadéro, je m'écroule sur un banc, en pleurs. Je n'ai rien, ni argent ni papiers. Une femme s'approche. 'Que se passe-t-il, mademoiselle ?' Je ne comprends pas le français. En anglais, elle me demande d'où je viens. Elle me conduit à l'ambassade du Kenya.

 

"Même si je n'ai plus de rêves, je me sens libre"

 

C'est là qu'on me met en contact avec le Comité contre l'Esclavage moderne (CCEM) qui me prend en charge. Je vais porter plainte. Mais je sais si peu de chose sur mes bourreaux : même pas leur adresse, pas un numéro de téléphone, je ne connais pas le nom de l'hôtel où ils sont descendus ni leur destination future. J'ai en tête aussi leur impunité. Membres de la famille royale saoudienne, ils ne sont jamais inquiétés chez eux. Ici, la police m'interroge mais à ce jour ça n'a encore rien donné.

 

Je veux tourner la page. J'aurais pu rentrer au Kenya, reprendre la vie là où je l'avais laissée, sans plus de moyens. J'ai expliqué à mes parents, ils ont compris je crois. Ils ne savent pas ce que j'ai enduré, ni le viol ni l'esclavage. Ca les aurait blessés. En 2011, mon père est décédé, je ne l'ai pas revu. J'aurais aimé lui parler, lui dire que malgré tout, je ne lui en veux pas. Mais il est trop tard.

 

J'essaie de vivre chaque jour après le précédent. J'ai appris le français et obtenu une carte de séjour. J'ai fait une formation et j'ai deux emplois : je garde des enfants et je donne des cours d'anglais à domicile. J'ai un ami depuis peu, j'ai mis du temps à accorder ma confiance à un homme. Pour la première fois de ma vie, même si je n'ai plus de rêves, je me sens libre."

 

(Article publié dans "le Nouvel Observateur" du 29 novembre 2012)



12 Commentaires

  1. Auteur

    Aide

    En Décembre, 2012 (20:19 PM)
    Bonjour, J'ai reve que je recitais ayat el kursi a quelqu'un qui le repetait apres moi a deux reprises. Y'a t-il une signification particuliere? Meci d'avance de m'avoir eclaire
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  2. Auteur

    Ziw

    En Décembre, 2012 (20:54 PM)
    Whatever... Salle Pute
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    Auteur

    Desole

    En Décembre, 2012 (20:58 PM)
    c est dure
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    Auteur

    Specialiteeeeee

    En Décembre, 2012 (21:50 PM)
    Il faut se rendre à l'évidence, les arabes haissent les noirs, ce sont les plus racistes de la planète. Certains sénégalais simplistes, par le fait de la religion les adulent. Il faut savoir qu'ils ont (les arabes) importé l'islam en Afrique sub- saharienne pour mieux réduire en esclavage le peuple noir, et cela continue ! Une bonne dizaine de versets du saint coran définit le noir comme esclave et cela n'émeut personne ! il faut lire l'ouvrage de tidiane ndiaye "l'islam voilé" ceci renseigne sur le sujet et permet de comprendre toute la perversité.
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    Auteur

    Constat D'un Sénégalais

    En Décembre, 2012 (22:20 PM)
    Un Expert qui se nomme "DOF" et qui commente comme un demeuré pas besoin d’être Merlin pour deviner à quel genre de type on a affaire  :tala-sylla: 
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    Auteur

    Imagination.....

    En Décembre, 2012 (00:11 AM)
    Cette histoire est fausse car en Arabie Séoudite il ný a pas d´hivers en lisant cette article tout est faux. DE LA PURE IMAGINATION.....Il faudra trouver mieux que ca car c´est du n´importe quoi......
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    Auteur

    Hum

    En Décembre, 2012 (00:45 AM)
    dans tous les cas vraies ou faux, les arabes, les beurres etc sont des Racistes pas besoin de recit pour nous le prouver!!
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    Auteur

    Sed Gouye

    En Décembre, 2012 (05:18 AM)
    On Peut lapeler huver masque bow sedde dafay nek 18drgre
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    Auteur

    Lhomme Correcte

    En Décembre, 2012 (09:09 AM)
    il faut aller au fouta pour voir, si vraiment les arabe sont pire wue les toucouleur. un grand Marabout te dira que je peut donner ma fille a un chien mais je ne peux pas te le donner parce que tu Mathiodo ou je ne sais pas qu oi
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    Auteur

    Biba

    En Décembre, 2012 (10:22 AM)
    vréma g pa pu retenir mé larmes mé lé arabes sont dune cruauté immence dieu c pourkoi le prophete es décendu laba

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    Auteur

    Noiret Fier

    En Décembre, 2012 (12:21 PM)
    Des fous qui séquestrent des gens pour les utiliser, on les rencontre partout ds le monde avec des acteurs diversifiés!!!!!!!!

    Ce problème décrit ici pourrait éventuellement se passer un peu partout dans le monde avec des acteurs différents. Ceci veut dire que selon moi, ce n'est pas du tt un problème direct Arabe contre Noir ou blanc contre Asiatique ou autre. Des cons/fous/ mal intentionnés comme cette famille décrit ici, on peut les rencontrer en Europe aux Moyen-Orient et en Asie aussi. La seule différence est que dans certains pays comme les USA il serait plus difficile de faire ces genres de pratique vus que les lois et les contrôles sont plus fonctionnels.

    Ce qui est arrive a cette dame est malheureuse. Je pense que nous africains devons agir avec tact envers qui que ce soit!!!!. Love and peace!!!!!

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    Auteur

    Noiretfier

    En Décembre, 2012 (14:21 PM)
    @[email protected] d'accord avec toi. Le racisme doit être combattu.

    Le racisme n’est que de l’ignorance… !!!!

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