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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Afrique

Yassine Brahim: « La Tunisie ne doit pas devenir une dictature syndicale »

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Yassine Brahim est le président de la jeune formation politique Afek Tounes.

Échéances électorales, mode de scrutin, vague populiste mondiale, carte politique nationale, dialogue social… Autant de sujets sur lesquels le patron d’Afek Tounes se prononce sans langue de bois.

Afek Tounes, qui compte huit députés au Parlement et participe au gouvernement de Youssef Chahed, est l’une des rares jeunes formations à avoir émergé sur la scène politique tunisienne après 2011. Un « parti de cadres », au credo libéral-social assumé, adepte d’une vraie transparence des comptes – le fait est assez rare pour être souligné.

Son président, Yassine Brahim, 50 ans, diplômé de Centrale Paris, est issu du secteur privé et a travaillé pour de grands groupes internationaux avant de rentrer en Tunisie après la révolution. Ancien ministre du Développement et de l’Investissement, il est à l’initiative de la conférence Tunisia 2020, organisée fin novembre, qui a permis de mobiliser 14 milliards d’euros en appui à l’économie. Interview.

Jeune Afrique : La date de la tenue des élections municipales et locales, d’abord prévues en 2016, ne cesse d’être reportée. Beaucoup doutent de la possibilité d’organiser le scrutin en 2017. Quelle est la position d’Afek à ce sujet, sachant que Riadh Mouakher, le ministre des Affaires locales et de l’Environnement, est membre de votre formation ?

Yassine Brahim : La dégradation de l’environnement et du cadre de vie constitue l’une des grandes souffrances du citoyen tunisien, exaspéré par la crise des déchets, qui est elle-même liée à la crise des municipalités. Il faut renforcer le pouvoir local. Il faut des responsables élus.

Nous avons déjà trop attendu, presque six ans se sont écoulés depuis la révolution ! Il faut fixer une date butoir et s’y tenir, c’est une question de volonté politique. Les différends sur la taille du corps électoral et le vote des militaires pourront être aplanis. Certains partis, englués dans leurs difficultés internes, estiment qu’ils ne sont pas prêts, mais si nous dépassons l’échéance de mars 2018, il deviendra difficile d’organiser les municipales avant les prochaines législatives, prévues en 2019…

Faut-il organiser les municipales et les régionales en même temps, ou peut-on imaginer que les municipales aient lieu en premier ?

C’est une piste de réflexion. Nous plaidons pour la tenue rapide d’élections municipales, car nous partons d’un socle existant, alors que le pouvoir régional, lui, n’existe pas encore. Le gouverneur, représentant de l’État dans les régions, dispose de 436 prérogatives. Lesquelles va-t-il conserver ou abandonner ? Selon quels mécanismes ? Tout reste à faire sur le plan institutionnel, et il convient de s’y atteler sérieusement, sereinement, sans précipitation, car nous allons engager l’avenir pour les décennies à venir.

Le « modèle » tunisien, hypercentralisé, est obsolète. Mais il faudra bien réfléchir à la valeur ajoutée qu’apporteront les exécutifs régionaux par rapport à la base existante du pouvoir local que sont les municipalités. Et il faudra poser des garde-fous, afin de ne pas nous retrouver dans la même situation que l’Espagne, où les régions se sont endettées exagérément et où l’État a été obligé de voler à leur secours.

Nous gardons l’espoir de pouvoir constituer un front électoral moderniste face au bloc islamo-conservateur

Faut-il conserver la proportionnelle au plus fort reste, le mode de scrutin des législatives ? Envisagez-vous des alliances ?

Dans un premier temps, oui, sans doute. Ce mode de scrutin favorise la représentativité et le pluralisme. Il est adapté à une démocratie naissante. Nous gardons l’espoir de pouvoir constituer un front électoral moderniste pour équilibrer la scène politique face au bloc islamo-conservateur, un front dans lequel chaque parti maintiendrait son identité. Cela n’avait pas pu se faire, ni en 2011 ni en 2014, mais il faudra bien que les partis tunisiens fassent un jour preuve de maturité sur les alliances. Et cela aiderait beaucoup notre camp dans la perspective des élections générales de 2019.

L’opinion a une piètre image des partis, qui recueillent moins de 20 % d’opinions favorables. Les forces « antisystème » ont le vent en poupe, aux États-Unis et en Europe (Brexit, élection de Donald Trump, Mouvement 5 étoiles en Italie). Ne craignez-vous pas que votre pays soit contaminé à son tour par la montée du populisme et que les électeurs, exaspérés par l’incurie des politiques, aient envie de « renverser la table » ?

Je ne veux pas dire que nous sommes vaccinés, mais nous avons connu ce phénomène en 2014 et surtout en 2011. Beaucoup de promesses faites par les partis de la troïka étaient populistes ou démagogiques, et elles ont engendré une immense déception. Le thème de la « rupture » a perdu en crédibilité. Tant mieux, de notre point de vue, car nous sommes un parti pragmatique. L’exemple grec est très intéressant.

Le pays a cédé aux sirènes populistes, a fait mine de claquer la porte, mais il ne pouvait se passer de l’aide extérieure, il ne pouvait se permettre de tourner le dos aux organismes internationaux. Finalement, est-ce que les Grecs n’ont pas été trompés par ceux qui leur promettaient la lune ? C’est un cas à méditer pour la Tunisie, qui est tributaire, elle aussi, de l’aide extérieure, et qui doit se remettre au travail, car ses fondamentaux se sont dégradés. Je suis optimiste.

J’observe que, même si on peut déplorer des campagnes démagogiques, à l’instar de la campagne « winou’l petrol » (« où est passé l’argent du pétrole »), il y a aussi beaucoup d’initiatives citoyennes fantastiques, et qui portent leurs fruits, par exemple « winou’l trottoir » (« rendez-nous notre trottoir », qui dénonce l’occupation anarchique de l’espace public). Ces mouvements participent d’un réveil citoyen, d’une réappropriation de la chose publique par la base. La vraie rupture se situe là, elle est aux antipodes du populisme.

Mais tout de même, le divorce des citoyens d’avec les mouvements politiques ne vous inquiète-t-il pas ?

Il faut poser les bons diagnostics. Au-delà du populisme, le problème mis en exergue par les votes britannique et américain est celui de la répartition inégale des richesses créées par la mondialisation des échanges et la libéralisation des marchés. Il exprime un besoin de protection, qui est légitime. Beaucoup de monde a été laissé de côté par la croissance, qui a surtout profité aux grandes métropoles comme Londres, New York ou Los Angeles.

La richesse doit être répartie, l’économie de marché et la liberté d’entreprendre sont des moyens plus efficaces que l’intervention publique pour créer de la croissance, mais l’État a un rôle à jouer pour s’assurer de sa juste répartition. Il dispose pour cela de deux instruments : la fiscalité et l’investissement dans l’éducation, la santé, les infrastructures. À Afek, nous ne sommes pas des libéraux dogmatiques, mais des libéraux-sociaux, j’insiste sur ce point.

Le projet de loi de finances pour 2017, en débat au Parlement, a provoqué un véritable tir de barrage des corporatismes, des avocats aux médecins en passant par les syndicats de la fonction publique. Et le gouvernement de Youssef Chahed, bousculé, est apparu sur la défensive. La Tunisie est-elle encore gouvernable ?

Elle est difficilement gouvernée, car la carte politique actuelle, caractérisée par cette « alliance » entre Nidaa et Ennahdha est contre-nature. Ennahdha se montre assez accommodante avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), sans doute en prévision du congrès syndical de 2017. Et sans doute aussi parce que les cadres islamistes ne désespèrent pas d’infiltrer la centrale. Nidaa est empêtré dans un imbroglio invraisemblable et n’est pas en position de contrer l’UGTT.

La faiblesse du gouvernement et celle de la classe politique profitent à l’UGTT. Nous disons que la Tunisie ne doit pas devenir une dictature syndicale. Pour nous, l’UGTT est une force amie dans le combat idéologique face à Ennahdha. Mais les positions qu’elle défend sur le plan économique sont anachroniques, irréalistes et même nocives. L’UGTT voit l’État employeur comme une manne financière.

Nous appelons à un dialogue social responsable et sans concessions. Il ne doit pas se cantonner à la question de la limitation de la masse salariale dans la fonction publique, mais doit aussi englober les retraites, la caisse de compensation, les dépenses de l’État et le devenir des entreprises publiques. Le vrai sursaut sera à ce prix.



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