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Chronique

[ Chronique ] L’école fout le con

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[ Chronique ] L’école fout le con


« L’avenir, c’est du passé en préparation »
Pierre DAC


L’école sénégalaise, nous la savions malade. Depuis plusieurs décennies déjà, le système éducatif montre les signes d’agonie : baisse du niveau général des élèves, grèves à répétition et échecs scolaires. Il y a eu plusieurs maux pour dire le même mal. Mais plus que l’école, c’est une certaine idée du Sénégal que nous laissons mourir sans assistance. Ce pays a été bâti sur l’idée selon laquelle pour assurer son rayonnement mondial et sa prospérité économique, il devait d’abord compter sur l’éducation de ses enfants, et que nous n’avions pas d’avenir en dehors de notre matière grise. Le monde entier nous enviait Senghor et Cheikh Anta Diop. Nous n’avons pas seulement produit les premiers philosophes, les premiers mathématiciens, les premiers ingénieurs d’Afrique noire. Nous avons aussi été parmi les premiers à expérimenter le suffrage universel, signe d’un avant-gardisme qui tend à être démenti. Cette puissance intellectuelle s’est exportée au-delà de nos frontières, pour constituer ce que l’on peut appeler « le label Sénégal ». L’étendue de notre réputation, qui était aussi celle de notre diplomatie, comblait largement les limites étroites de notre pays. Ce que les autres peuples avaient dans leur sous-sol, nous l’avions dans la tête, avions-nous coutume de dire.
C’est pourquoi je suis convaincu que nous ne pouvons pas renoncer à notre Ecole sans renoncer à nous-mêmes. Or, nous avons pensé jusqu’ici que l’on peut s’absenter des amphithéâtres pendant plusieurs mois et s’en tirer avec une série de rafistolages scabreux et d’examens bidons. Nous sommes malheureusement mis face à nos propres errements. Les grèves elles-mêmes sont le signe d’un malaise que nous avons laissé grandir dans nos cités universitaires. Etudier est devenu une fin et non un moyen. Les étudiants revendiquent des repas, des bourses, des chambres et des mosquées. Ils veulent vivre dans les campus comme s’ils ne devaient jamais en sortir parce qu’au-delà, il n’y a plus rien. Le signe patent de cet affaissement intellectuel, c’est que Cheikh Bethio Thioune fait plus d’adeptes chez les étudiants que Souleymane Bachir Diagne.
Ce n’est pas l’école, c’est le rêve qui est mort. Nous nous battions pour être des instituteurs, des médecins, des ingénieurs, certains qu’au bout de longues années, une promotion sociale était possible. Le train de la réussite sociale passait par l’école. Mais attardons-nous un peu sur les résultats catastrophiques de cette année au baccalauréat. Parmi tous les élèves qui ont réussi à l’examen l’année dernière, 5000 n’ont pas été orientés et se sont retrouvés dans la rue. Il n’y avait pour les milliers de candidats de cette année, aucune raison de se battre pour un diplôme qui n’ouvre plus les portes de l’université. Sans motivation, il n’y a point d’excellence. Le président Abdoulaye Wade, par son entêtement à vouloir faire ce que personne n’a fait, a construit des lycées et des collèges un peu partout dans des abris de fortune, sans électricité, souvent sans blocs d’hygiène. Il n’a jamais pensé à ce que deviendraient les potaches une fois le baccalauréat acquis. C’est pourquoi le taux d’échec de cette année est une bonne nouvelle pour l’Etat, qui s’épargne ainsi le casse-tête de l’orientation. Il en résulte ce trop-plein d’aventureux qui finissent leur carrière de chômeur autour de la tasse de thé. J’ai toujours pensé pour ma part que le Sénégal n’est pas affecté par une crise de l’emploi. Il est touché par une crise de l’employabilité. Ceux qui sortent de nos universités ne chôment pas parce qu’il n’y a pas de travail. Ils chôment parce qu’ils reçoivent un enseignement qui les rend inaptes à l’emploi. Il y a certainement de grands instituts qui offrent des programmes de formation intéressants, mais l’Etat a décidé de laisser ces grandes écoles aux riches. Il en résulte un darwinisme social qui se fait au détriment des populations les plus démunies. Les enfants des nantis fréquentent les grandes écoles de commerce et deviennent les managers de demain. En dehors de l’école supérieure polytechnique, qui tente de survivre dans un environnement difficile, l’Etat n’a rien prévu pour adapter l’école nouvelle aux exigences du monde nouveau. Seuls 20% du budget de l’Education nationale sont consacrés aux infrastructures et au matériel pédagogique. Les 80% restants vont aux salaires des enseignants.

Mais plus que la politique éducative, c’est le culte de la médiocrité qui a tué l’école sénégalaise. Dites à vos enfants que le seul moyen de s’assurer une promotion sociale est d’exceller à l’école. Ils vous demanderont si vous connaissez Mamadou Massaly, le Pca sans baccalauréat. Ce troubadour à la langue pendue fait quand même mieux que son camarade Hassan Bâ, qui s’est autoproclamé idéologue de la Génération du concret et éminence grise d’Abdoulaye Wade. Ce charretier des idées creuses a échoué au concours d’entrée à l’école des instituteurs après son brevet et n’est devenu instituteur-adjoint qu’au bout d’énormes efforts de « connaissances ». L’actuel Premier ministre est lui-même  le symbole de la médiocratie institutionnalisée. Les diplomates et fonctionnaires internationaux sortent de son bureau toujours éberlués. La médiocrité et la vulgarité sont toujours en compétition dans cette immense carapace. S’il n’est pas en bras de chemise, Souleymane Ndéné Ndiaye « reçoit » avec une tape comme s’il invitait au combat. Il vient de demander, par une des formules qui font sa marque, « à tous ceux que l’hôtel doit de l’argent, comment faire pour faire revivre l’hôtel Indépendance ». Je l’ai aussi entendu dire : « Pour obtenir que tous ceux qui vous doivent payent dans nos caisses. » Pensez à tous les enfants qui regardent la télévision nationale, et qui s’entendent dire que l’auteur de ces approximations langagières est le Premier ministre du Sénégal. Ils en perdent le goût d’apprendre. Quel message a voulu nous envoyer Abdoulaye Wade, en nommant à ce poste cet homme médiocre qui a passé 12 années à l’université pour obtenir sa maîtrise et qui se déclare titulaire d’un « Deug » en Economie ? Le président de la République tue en chaque enfant la part d’idéal sans laquelle rien n’est possible. Il transmet aux générations futures cette croyance pernicieuse selon laquelle pour s’assurer une bonne place au soleil, on n’a point besoin de s’embarrasser de paperasseries inutiles. Les enseignants sont eux-mêmes gagnés par cette chienlit sociale. Quand les magistrats réclament une indemnité de judicature de 500 000 francs, ils sont comblés au-delà de leurs espérances. Les enseignants réclamaient une augmentation de leur indemnité de logement, qui était à 40 000 francs. Ce n’est qu’au bout de deux années de mouvements syndicaux, en 2006, qu’ils ont obtenu 20 000 francs d’augmentation. C’est ce qui fait qu’un inspecteur principal de classe exceptionnelle gagne 300 000 francs au bout de quarante ans de carrière, le quart de ce que gagne un magistrat débutant. On comprend alors pourquoi les enseignants et le corps médical crient à l’injustice. Leur pessimisme naissant, ils l’ont transmis aux parents. Ils achètent à leurs enfants des ballons de football avant de leur acheter des livres. Le président de la République s’était engagé à combler ces lacunes, en prenant en charge l’enfant dès le bas-âge. On s’était mis à espérer qu’enfin, quelqu’un comprenait que pour faire de bons adultes, il fallait d’abord faire de bons enfants. C’est la raison de l’optimisme suscité par le programme de La case des tout-petits. C’était du bluff. Seul 1,7% du budget de l’Education est consacré à la petite enfance et à l’alphabétisation. C’est pourquoi tant d’enfants pensent que pour se remplir les poches, pas besoin de se prendre la tête. Ils sont les Abdoulaye Wade de demain.
SJD



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