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Chronique

[ CHRONIQUE ] L’horreur ne se refuse pas !

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[ CHRONIQUE ] L’horreur ne se refuse pas !

« Je sais maintenant qu’à l’origine, 
le chaos fut illuminé d’un
immense éclat de rire »
René DAUMAL



Vous voulez savoir quand un pays fout le camp ? Quand ceux qui l’ont fait foutent le camp ! Nous, sénégalais d’en bas, sommes portés à une méfiance naturelle à l’égard des hommes « riches ». Mais Bara Tall force le respect. De parents pauvres et analphabètes, il est devenu un ingénieur polytechnicien respecté. Il a pris en main l’entreprise Jean Lefebvre quand son propriétaire français a mis la clé sous le paillasson. Soutenu par quelques banques de la place, il a redressé l’entreprise pour en faire un fleuron du BTP sénégalais qui emploie des milliers de pères de familles au Sénégal et un peu partout en Afrique. Il a su le dire avec la force de conviction et la retenue qui le caractérisent. Mais je ne tairai pas ce que l’homme a réussi à faire et que l’argent seul ne donne pas : il a tiré de sa fortune amassée à la sueur de son front une prime à son engagement social. C’est cet homme qu’ont vient de forcer à l’exil, dans un silence quasi unanime. Son groupe de presse tente de tenir le coup. Mais le rapport de force est tellement inégal ! Il y a huit ans, Abdoulaye Wade a voulu faire main basse sur son obsession de l’époque, le groupe Com 7. Bara Tall était, de tous, le moins intransigeant. Le plus téméraire, Cheikh Tall Dioum, présenté jusqu’en 2000 comme un modèle de réussite sociale, a été accusé de fraude sur le sucre et jeté en prison comme un malpropre. Youssou Ndour a failli le suivre suite à une affaire de fraude sur... des cassettes ! Le groupe que ces trois entrepreneurs sénégalais avaient bâti de leurs propres mains appartient maintenant à 40% à Pierre Aïm, un ancien prête-nom fatigué de voir les Wade essuyer leurs pieds sur lui.
Les ennuis de Bara Tall ont commencé avec les chantiers de Thiès. Précisément quand le président de la République lui a demandé d’accepter le remboursement de 11 milliards de francs Cfa dans le cadre des chantiers de Thiès, pour obtenir l’inculpation d’Idrissa Seck. « On va te mettre cet argent dans un compte bancaire », lui a dit Abdoulaye Wade. « Mon honneur et ma réputation ne me permettent pas de le faire », lui a répondu sèchement M. Tall. Une semaine après, l’ingénieur s’est retrouvé entre quatre murs à Rebeuss. Toute l’originalité de Wade est là : si tu reconnais que tu as volé, tu restes libre. Si tu ne le reconnais pas, tu vas en prison ! Avec la trivialité qu’on lui connait, il obligeait un homme à choisir entre le mensonge et la prison, vivre l’horreur ou salir son honneur.
C’est parce qu’il a dit non à ce compromis répugnant que Bara Tall mérite notre respect. Aller en Gambie chez un président de la République qui menace tous les jours d’enterrer ses opposants 10 mètres sous terre n’a rien de rassurant. Mais partir n’est pas toujours un choix. C’est parfois une obligation. C’est ce que font tous les jours nos pauvres jeunes dans des pirogues de fortune. Pourquoi un riche dépossédé de ses biens ne le ferait-il pas ? Yaya Jammeh est à la recherche d’un compatriote nommé Amet Sarr, qui lui a filé du mauvais mazout avant de prendre la fuite. Il reçoit des mains d’Abdoulaye Wade un homme honnête. Voilà ce à quoi nous sommes réduits : étrangers dans notre propre pays. Bientôt n’y auront droit de cité que des Abou-Khalif, des Jaber al Sabbah. Ils se sentent au Sénégal du prince héritier Karim Wade comme chez eux. Ils ont déjà pris possession du port de Dakar et de l’île de Gorée. Il faudra bientôt avoir l’échine ramollie ou faire ce que Wade a dit à notre entrepreneur : eh bien Barra, barre-toi. Derrière les barreaux !

Pendant que le président de la République s’acharne sur des présumés voleurs, ses hommes se livrent à un pillage systématique. Depuis six mois maintenant, le Sénégal ne fabrique plus les fameuses cartes d’identité numérisées lancées par Ousmane Ngom. La raison est que la Société De la rue, partenaire de la famille Sy, n’a pas été payée. Pendant toute la période qui a précédé la dernière présidentielle, le président de la République a laissé faire ses hommes d’affaires, dans des conditions rocambolesques. Du 12 septembre au 17 octobre 2005, 135 millions au moins ont atterri dans les comptes personnels de Pape Ousmane Sy, conseiller du président de la République en Nouvelles technologies et de son frère Arona. L’argent passait par un de leurs employés, Ndiaga Fall. L’affaire a éclaté quand Ndiaga Fall, un petit employé payé 130 000 francs, a refusé de verser la dernière tranche de 100 millions qui a transité par le compte d’une nouvelle société que les Sy l’ont aidé à monter, avec une adresse fictive ! La justice, malgré des preuves évidentes de pratiques frauduleuses, a fermé les yeux. Le père de Pape Sy était ministre de la Justice. Abdoulaye Wade a laissé faire jusqu’à ce qu’au lendemain de la présidentielle, l’affaire éclate de nouveau, avec une rupture du contrat qui liait De la Rue à l’Etat du Sénégal, pour un montant de 14 milliards de francs Cfa. Au lieu de porter cette affaire rocambolesque au clair et demander des comptes à Pape Sy et Arona Sy, le président de la République a nommé leur père ministre d’Etat ministre de l’Intérieur. Il se trouve qu’aujourd’hui, si la présidence de la République devenait vacante, le Sénégal serait dans l’incapacité matérielle d’organiser de nouvelles élections dans les 6 mois. Ce sont les mêmes machines qui comportent le fichier électoral et le fichier national d’identité. Et c’est la même société qui fabriquait les deux cartes « numérisées ».
Avant d’atterrir à la présidence de la République, Pape Sy était « informaticien » dans la société Amex montée par Cheikh Tidiane Sy et les frères guinéens Diané, qu’il a connus chez Mobutu, au Zaïre. Son CV comporte la mention « maths sup ». Aucune trace d’un diplôme universitaire, pas le moindre diplôme en informatique. En 2000, retournement de situation : il est devenu l’un des plus grands spécialistes en Nouvelles technologies. Il est le premier sénégalais à avoir présenté une dissertation devant le Conseil des ministres, pour expliquer comment il a vendu la troisième licence de téléphonie à Sudatel. La preuve que ces gens ne se privent pas, c’est qu’après les félicitations adressées à Karim Wade et Pape Sy pour la vente de la licence Telecom, les membres de l’Artp se sont partagé 150 millions Cfa issus de cette même vente, « pour avoir participé à la vente ». Personne n’a vu trace des milliards de Sudatel.
J’ai appris avec stupéfaction qu’Amadou Racine Sy a vendu la moitié des actions de la Sonatel détenues par l’Ipres à Genesis, sans autorisation du Conseil d’administration de l’institution. C’est l’acte le plus grave qui soit posé contre la République : transférer des milliards qui allaient dans les comptes de l’Etat à une petite bande de copains. Pendant qu’on s’en prend à de pauvres innocents dont le seul tort est d’avoir refusé de « coopérer ».
Le gouvernement agit de la même manière avec les commerçants. Il laisse perdurer la pénurie de riz, pour s’acharner inutilement sur de petits commerçants. Au lieu de s’en prendre au coupable, on s’en prend au coupé. J’ai entendu un agent du ministère du Commerce déclarer avec conviction qu’à Matam, il y a un stock de 150 tonnes de riz disponible. Mais 150 tonnes, c’est une consommation de deux jours pour la région ! Ce qui se passe est plus grave. Les grands importateurs n’importent plus, parce que le gouvernement n’a pas tenu son engagement de payer la péréquation sur le riz. Ils n’importent plus parce qu’Abdoulaye Wade avait promis de déverser 600 000 tonnes de riz indien dans le pays. C’est ce que coûte un un chef d’Etat qui ne sait pas tenir ses dentiers en place. Et pour régler le problème, ironie de l’histoire, il envoie aux petits commerçants un ancien de l’Oncad, Mamadou Diop Decroix. Ils commencent tous à dire que « s’il faut risquer la prison pour 10 francs Cfa de bénéfice, autant ne plus vendre du riz ».
C’est saisissant, la force avec laquelle nous voulons entrer dans la modernité, tout en restant un pays féodal. Je veux parler de cette sortie des imams, saluée un peu partout dans le pays, d’est en ouest, par des « allah Akbar ». Après la disparition du roi tout puissant, nous avons consacré le marabout tout puissant. Avec une connaissance parfois approximative des écritures coraniques, il peut dire le juste et l’injuste, le bon et le mauvais. Le pays crève de faim, mais nos mollahs ne le voient pas. Tout juste à leurs portes, un enfant a été battu et laissé pour mort pour la petite somme de 200 francs. Vous ne les verrez jamais condamner ces actes barbares. Ils n’ont la dent dure que pour les journalistes. Tous n’ont pas la cervelle gelée. Mais beaucoup pensent comme les géniteurs de la démocratie athénienne : les enfants et les femmes n’en font pas partie.
La presse a une grande part de responsabilité dans cette doxacratie avilissante. Nous voulons donner la parole à tout le monde. Je ne comprends pas au nom de quelle logique nous devons boycotter la cérémonie du Lion d’or et nous ruer quelques jours plus tard sur la Conférence de presse improvisée de Farba Senghor. S’il n’était pas arrivé en retard, on verrait à la Une des journaux : « Farba Senghor insulte les journalistes ». Mais vous lui avez tendu votre micro ! Et malheureusement, une bonne partie de l’opinion pense que parce que les journalistes rapportent les propos de Farba Senghor, tout ce qu’il dit est vrai. Une corporation a rarement poussé le masochisme aussi loin.
SJD



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