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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ C H R O N I Q U E ] Le bleu, le blanc, et le roi

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[ C H R O N I Q U E ] Le bleu, le blanc, et le roi

« L’utopie est la matrice de l’histoire,
et la sœur jumelle de la révolte »
José BOVE


J’en ai vu qui s’arrachent les cheveux. Karim Wade est allé se faire baptiser par le feu en sa France natale. Il est allé se prosterner devant Nicolas Sarkozy, héritier du trône de Napoléon, pour avoir sa bénédiction, celle après laquelle il court depuis un an. Pour faire de ce pays ce que sa jeunesse a refusé à de Gaulle il y a exactement 50 ans, une succursale de la France. Bientôt un demi-siècle après notre indépendance, c’est une gifle authentique que Lat Dior Diop reçoit de Pinet Laprade. Leur première claque, nos héros d’hier l’ont reçue de celui qui est considéré comme un des pères de l’indépendance du Sénégal, Léopold Sédar Senghor. C’est au moment de son admission à l’Académie française que nous avons tous découvert que le poète qui nous a dirigé pendant vingt ans était un... français. Mais c’est parce que nous avons été insensibles aux signes. Quand les jeunes porteurs de pancartes disaient non à de Gaulle à la Place Protet, Senghor s’était inventé un prétexte pour quitter le pays. Un demi-siècle jour pour jour après cette rencontre mémorable, Karim Wade vient de donner un dernier coup de pied à notre défunte patrie. L’ironie de l’histoire, c’est que le discours de rupture prononcé ce 26 août 1958 par Lamine Guèye a été rédigé par un français qui avait renoncé à sa citoyenneté française pour devenir sénégalais, Jean Collin. Cet homme a été farouchement combattu par le « sénégalais » Abdoulaye Wade, parce qu’il représentait « la puissance coloniale ». Une honte à l’époque. Dans un brillant témoignage, le journaliste Mamadou Omar Ndiaye m’expliquait en fin de semaine comment, à partir de 1983, l’actuel président de la République a lancé une campagne de dénigrement systématique contre M. Collin. Mais jusque dans ses dernières volontés, l’ancien ministre d’Etat chargé des Affaires présidentielles a fait un pied-de-nez à ses détracteurs. Il s’est fait enterrer à Ndiafat, en pays sérère où il avait choisi son épouse. A l’opposé, Abdoulaye Wade a lui-même fièrement soutenu que ses parents l’ont déclaré à Saint-Louis où il n’est pas né, pour qu’il devienne « citoyen français ». La seule fois où son nationalisme s’est manifesté, c’est quand il a déserté les rangs de l’armée coloniale. Ce n’était point par sentiment nationaliste ou anti-français. C’était pour fuir la guerre en Indochine. C’est pourquoi ses camarades qui se sont fait incorporer le même jour à la base de Ouakam n’ont éprouvé que du mépris pour lui. Sa « francité » ne s’est jamais démentie par la suite. Depuis William Ponty, Abdoulaye Wade a plus passé de temps en France qu’au Sénégal. C’est là que Bathily et Dansohko sont allés le trouver à son hôtel parisien pour le convaincre de prendre le pays. L’homme, au mépris de l’anatomie de sa bouche, se ridiculise tous les jours, en s’efforçant rageusement d’avaler son « r » comme les parisiens. Il a mis quantité de béton et de ciment pour rénover sa maison de Versailles. Il vient d’acheter une résidence à Paris et une autre en Suisse, où il entend finir ses jours, après avoir bien installé Karim Wade au pouvoir.
Abdoulaye Wade ne s’est pas seulement arrangé pour que son deuxième fils naisse en France. Il l’a fait français. Karim Wade, pour le peu de temps qu’il est resté au pays, a fréquenté l’école Sainte-Marie de Hann. Il avait le choix entre le programme sénégalais et le programme français. De 1980 à 1985, il a suivi le programme français, fort de sa nationalité française, jusqu’à son départ pour Paris. Quand nous apprenions Lat-Dior et Aline Sitoe, il apprenait Napoléon et Jeanne d’Arc, toujours entouré de ses « amis » français. Le seul sénégalais qu’il approchait est devenu aphone depuis, il s’appelle Pouye. C’est à l’école de Cabrita que Wade fils a aussi découvert ses dons précoces pour les finances. Il aimait miser de fortes sommes sur son équipe de football, et proposait de l’argent aux buteurs de l’équipe adverse, s’ils s’abstenaient de... marquer des buts. Karim Meissa n’a jamais essayé d’apprendre le wolof parce qu’il ne s’est jamais senti sénégalais. Le nom Meissa, le seul qui le lie au Sénégal, il l’a caché comme une honte, jusqu’à ce qu’il soit révélé aux Sénégalais en 2004. C’est cette même année, quand les ambitions de sa mère se sont précisées, qu’il s’est enfin mis à l’apprentissage du wolof, derrière les rideaux de la présidence. Même pour apprendre le wolof, Meissa Wade a choisi un ressortissant américain, figurez-vous !

Voilà un an qu’Abdoulaye Wade force les portes de l’Elysée pour faire recevoir son fils. Il s’était jusqu’ici heurté à une oreille sourde du président français. Jusqu’à ce que les étudiants africains de Science Po entendent, ahuris, un conseiller de l’Elysée présenter la Génération du concret comme un exemple de réussite économique en Afrique !
C’est pourquoi nous aurions tort de banaliser cette audience, la plus grotesque depuis la réception du sergent-chef Eyadema par le général de Gaulle en 1964. Ce n’est pas un conseiller de l’Elysée ou son Secrétaire général qui a reçu Karim Wade. C’est le président de la République française. Et c’est parce qu’il s’agit de Nicolas Sarkozy, qui s’embarrasse peu des convenances démocratiques, que les Sénégalais doivent porter une attention particulière à ce qui s’est passé dans la grande salle de l’Elysée. C’est toute la symbolique de la photo arrachée à Nicolas Sarkozy en face du bureau de Catherine Pégard. Pour dire aux sénégalais « voilà, je suis reçu comme un chef d’Etat ».
Après avoir construit un tunnel à huit milliards qui prend de l’eau partout, Karim Wade s’impose le droit de promettre. Mais c’est parce que son père lui a fait croire que les Sénégalais font bon ménage avec le mensonge. Il y a deux ans, Abdoulaye Wade lui-même promettait de faire du Sénégal « un exportateur de pétrole en quelques mois ». Pour vous dire la foi qu’il a en l’avenir de ce pays, il a pris cet engagement dans la cité religieuse de Touba, après une prière du vendredi. Tout un symbole. Il y promettait aussi de cultiver du « Tabanaani » pour en faire du biocarburant. Mais ce que je trouve inacceptable, ce sont les scènes d’humiliation auxquelles nos ministres sont soumis tous les jours. Le Sénégal a un Premier ministre, un ministre des Finances, un ministre de l’Energie. Quelle que soit la taille de leur crâne, nous ne pouvons pas accepter cette crétinisation permanente.
Abdoulaye Wade avait demandé et obtenu la présence de son fils lors d’une audience avec Nicolas Sarkozy au début de l’été 2007. Introduit à l’Elysée par des portes dérobées, Karim Wade y était présenté comme un « successeur » qui bénéficiait déjà du soutien de « nombreux mouvements politiques » et « des chefs religieux ». Le fait que cette audience se déroule deux semaines avant l’invitation de Macky Sall au Sénat français est un message adressé au président de l’Assemblée nationale et à tous les Sénégalais : la France n’a pas de préférence.
La vérité est que comme en Côte-d’Ivoire hier, elle n’a pas le droit d’avoir une préférence en dehors de celle des sénégalais. Ce qui est loin d’être le cas de Karim Wade, qui ne s’aventure dans les artères de Dakar que derrière des vitrines blindées. Si nous nous aventurions à toucher un seul de ses cheveux, la France se verrait dans l’obligation de protéger un de ses citoyens. Mais c’est ce qui fait que Karim Wade ne peut pas, et ne doit pas diriger le Sénégal. C’est un français, et la Constitution, jusqu’à ce qu’elle reçoive une dernière visite, exige la sénégalité exclusive à ceux qui veulent diriger le Sénégal. Malheureusement, il est fort probable que les vacances qu’Abdoulaye Wade va passer dans sa résidence aux abords du lac Leman soient ses dernières en tant que président de la République. Son fils l’a maintenant convaincu de l’urgence d’organiser des élections en 2009, étant assuré que si la France ne pose pas de problèmes, il pourra valablement organiser des élections et les remporter. C’est la raison de son activisme sur les deux rives de l’Atlantique. Le président de la République entend profiter de la période de vacance entre l’élection d’un nouveau président aux Etats-Unis et le départ effectif de George Bush pour imposer ses dernières volontés institutionnelles. Le pays se refuse à son fils, mais il veut lui forcer la main.
SJD



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