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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ Chronique ] Le fantôme du Lac Leman

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[ Chronique ] Le fantôme du Lac Leman

« L’ambition est impitoyable.
Tout mérite qui ne la sert pas
est méprisable à ses yeux »
Joseph JOUBERT

Je ne sais pas s’il faut détester le sadisme d’Abdoulaye Wade ou s’il faut, comme s’en accommodent certains, dénoncer le masochisme des sénégalais qui regardent faire ce régime pudibond. Il ne se passe plus un seul mois sans qu’un malheur nous tombe sur la tête. Faut-il s’attaquer à la cause de ce malheur ou s’en  prendre à ceux qui le supportent obstinément ? Plus que les ressorts secrets qui poussent un chef d’Etat à toujours humilier son peuple, c’est la passivité de ce peuple et sa capacité à cohabiter avec le mal qui, en l’espèce, déconcertent. Après avoir produit aux yeux du monde entier ses aveux macabres sur les crimes d’Etat, avoué son état de délinquant financier sous sa statue de bronze, voilà qu’Abdoulaye Wade disparait dans la nature, laissant l’obscurité gouverner ses semblables. Et comme si ses ministres s’étaient passé le mot, ils ont tous fondu dans la nature pour laisser leurs pauvres citoyens dans le noir. Il y a deux ans, quand la question lui a été posée de savoir ce qu’il pensait de cette situation difficile, il avait déclaré que cela ne le gênait pas que le pays tout entier retourne à l’ère de la bougie. C’est ce que fait une bonne partie du pays depuis le début de la semaine.
Le moins que l’on puisse attendre d’un tel homme est qu’il indique le premier, le chemin du retour à cette vie monastique. Mais Abdoulaye Wade et les responsables de la Sénélec ne manquent de combustible qu’une fois le président de la République enfermé dans sa résidence médicalisée du Lac Leman, insensible aux suppliques de son peuple. C’est devenu, ces dernières années, un rituel digne de la grande sorcellerie. Pendant deux mois, le magicien de Kébémer disparait de la planète et quand le monde entier spécule sur sa mort probable, il réapparait à l’autre bout de la terre pour confondre ses « assassins ». Peut-être nous a-t-il quittés depuis longtemps. Et ses faits et gestes me font dire qu’il nous laisse gouverner par son fantôme. Car bien que ses mœurs ne nous soient pas inconnues, l’homme est devenu haineux, colérique et vindicatif, au point de se rendre méconnaissable. Il ambitionnait un Sénégal qui gagne. Mais au bout de son parcours sinistre, il n’est pas allé au-delà du Sénégal qui grogne.
Ses pratiques sont elles-mêmes l’abjuration de tous les engagements sur la base desquels il avait été élu président. Ce sont les masses pauvres et les populations de la classe moyenne qui, faute de mieux, avaient jeté leur dévolu sur cet homme. Ce sont eux qui souffrent le plus de son vandalisme. Attendre l’hivernage et les inondations pour couper le courant, c’est ajouter un malheur à un autre. Mais ce que je trouve insupportable, c’est, par-dessus tout, le mensonge qui accompagne chaque série de délestages. Au mois d’octobre de l’année dernière, le Directeur général de la Sénélec avait prétexté des mêmes raisons, le manque de liquidités, pour justifier les coupures. « La Sénélec n’a pas les revenus qu’il faut pour fonctionner correctement », avait déclaré Lat Soukabé Fall. Le chef de l’Etat revenait d’une longue absence du pays. Face aux menaces d’embrasement et à la colère grandissante dans la banlieue, la France puis la banque mondiale avaient consenti un financement total de 52 milliards. Enormément de moyens de l’Etat avaient été dégagés pour mettre fin aux délestages. Au point que le 19 juin dernier, le ministre de l’Energie faisait état d’un financement total de l’ordre de 520 milliards. « Après le rétablissement du déséquilibre entre l’offre et la demande, et les investissements massifs de 520 milliards de FCfa, il nous a été recommandé de définir l’avenir de Senelec », caquetait fièrement Samuel « Almet » Sarr. C’était le mois dernier. Un de ses obligés, Seydina Kane, opposait à ceux qui lui parlaient des coupures persistantes que ce n’était pas la Sénélec qui avait des problèmes, mais ses principaux fournisseurs, Gti et Kounoun Power. Le ministre de l’Energie assurait que ces efforts financiers permettaient « de rattraper financièrement les pertes provoquées par les flambées du cours du baril de pétrole, des tarifs qui n’étaient pas adaptés ». Fatalement et pour des motifs inconnus, il annonçait une hausse du prix de l’électricité de 8% alors que le prix du pétrole avait lui, baissé de moitié en un an. Que s’est-il donc passé pour qu’aujourd’hui, avec autant de milliards versés, la Sénélec se retrouve dans la même situation qu’il y a un an, c’est-à-dire sans le moindre sou, achetant son fuel au jour le jour ? Où est passé tout cet argent ? La question de la gestion de ces fonds doit être posée, autant que la capacité de Samuel Sarr à réussir là où il avait échoué préalablement. Cet homme, qui s’était signalé à nous par son implication dans l’assassinat de Me Babacar Sèye, se déclare titulaire d’une licence dans une université canadienne, sans jamais nous dire laquelle. Il avait été l’acheteur de la voiture qui a servi à l’assassinat du juge. Si Abdoulaye Wade s’est senti obligé de le garder à ses côtés après la libération de la bande à Clédor Sène, qu’il ne nous l’impose pas à la tête d’un département aussi stratégique que celui de l’Energie. C’est la moindre des exigences. Nous évoquons à juste raison le scandale de l’Anoci, mais nous avons quelques kilomètres de route pour notre consolation. Avec plus de 500 milliards investis, Samuel Sarr ne nous livre tous les mois que des phrases fumantes et du vent. Tous ceux qui sont entrés en conflit avec ce petit bout d’homme mystérieux, de Madické Niang à Macky Sall, ont changé de département ou ont été chassés comme des malpropres. Puisque l’idée de le démettre ne traverse pas la tête d’Abdoulaye Wade du fait du pacte qui les lie, nous pouvons supposer que notre calvaire n’est pas fini. Ou alors au lieu de s’en prendre à Samuel, nous devons nous en prendre à celui qui l’a mis là, Abdoulaye. Mais se peut-il que Wade puisse exiger de ses ministres une règle qu’il ne s’impose pas ? Est-il seulement acceptable que le président de la République donne en offrande des terres d’une valeur de 75 milliards contre un monument de 12 milliards quand nous manquons du minimum pour nous éclairer ? Appelé au chevet d’un pays malade, il l’a transformé en souffre-douleur.
Quel que soit ce que nous pouvons en penser, le mal est déjà fait. Mais si nous ne l’arrêtons pas, le pire nous attend. Nous ne l’avons évité jusqu’ici que par l’abnégation et l’engagement de quelques hommes. Je voudrais citer parmi ceux-là, le journaliste Abdoulatif Coulibaly. Pendant cette longue nuit, il fait partie de ces lumières qui empêchent ce pays de sombrer.
SJD



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