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Chronique

[ Chronique ] Le justicier de Sandaga

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[ Chronique ] Le justicier de Sandaga

« O toi qui fais au proscrit ce regard calme et haut,
Qui damne tout un peuple autour d’un échafaud,
O Satan, prends pitié de ma longue misère ! »
BAUDELAIRE

 

La peine que la Cour d’appel vient d’infliger à El Malick Seck fera date dans l’histoire. C’est la plus lourde jamais infligée à un journaliste « dans l’exercice de ses fonctions ». Il n’a pas encore purgé le tiers de sa peine, mais El Malick Seck a déjà passé plus de jours en prison qu’Abdoulaye Wade pendant toute sa vie d’opposant. La sanction imposée à ce journaliste méritant est plus lourde que celles prononcées d’habitude contre les violeurs et les coupables d’homicide involontaire. Mais ce qui fait le plus mal, ce n’est pas la lourdeur de la peine. C’est l’indifférence de ses « confrères », qui se sont contentés dans la plupart des cas de rapporter la nouvelle, certains avec des ricanements nourris. De tous les réquisitoires, celui dressé par la « journalistique » est le plus dangereux, le plus sournois. Nous avons traité la lourde condamnation d’un homme honnête comme s’il s’agissait d’un tueur en série. « C’est un justiciable ». Soit. Mais peut-on parler de « justiciable » là où il n’y a pas de Justice ?
Ceux qui jettent la pierre à El Malick Seck doivent s’assurer de ne jamais pécher, puisqu’ils ont décidé de vouer, à la place de leur Dieu, un culte à Abdoulaye Wade. Dès les premiers jours de l’interpellation du journaliste, la waderie s’est évertuée à ôter à son coupable tout moyen de se défendre et s’est donné toutes les raisons de le jeter en prison. El Malick aurait pu être inculpé pour diffamation. Il aurait eu l’occasion d’aller chercher ses preuves. Mais le pouvoir aurait difficilement justifié son maintien en détention. La diffusion de fausses nouvelles laisse le soin de la preuve à ses accusateurs. Pour aggraver la peine à lui infliger, ils ont aggravé la faute. Encore que, pour diffuser une fausse nouvelle, il faut que ce soit déjà une nouvelle. C’est, au risque de me faire passer pour un idiot, dire ce que personne n’avait dit auparavant. Celle qu’avait donnée El Malick Seck n’en était pas une. Amath Dansokho l’avait déjà dit, Abdoulaye Coulibaly encore plus en détail lors d’une conférence de presse à Abidjan. C’est le président de l’Assemblée nationale de Côte-d’Ivoire qui a accusé Abdoulaye Wade, ce n’est pas El Malick Seck. Cet homme parle en connaissance de cause, puisque des proches du président de la République ont été pris avec les billets volés à Korogho, avant de s’évaporer dans la nature.
L’accusation de trouble à l’ordre public est encore plus choquante. Pour prouver qu’El Malick Seck a troublé l’ordre public, le Ministère public a compilé tous les articles publiés à la Une de son journal. Les Sénégalais se sont-ils soulevés à la suite d’un seul de ces articles ? Jamais. Des gens se sont-ils rassemblés ou ont-ils décidé de le faire sur la base des écrits de son journal ? Pas une seule fois. La Justice de l’alternance marche sur la tête. Elle libère les violeurs et les meurtriers, punit les innocents. Mettre El Malick Seck dans la chambre qu’occupait Clédor Sène n’honore en rien la Justice.

Dès son élection, Abdoulaye Wade s’est attelé à faire croire à l’opinion que la presse nationale était un refuge de rançonneurs à la petite gâchette. Même si cela était vrai, quel autre métier n’en compte pas ? Le corps des médecins est aussi composé de praticiens véreux. Les magistrats comptent parmi eux des corrompus. Cela ne fait pas de tous les magistrats des corrompus. Au lieu de lui demander de faire le ménage dans sa propre maison et de chasser les criminels qui composent son cabinet, la presse est tombée les pieds joints dans le bac à ordures, en avouant au monde entier sa « saleté ». Le mépris calculé du président de la République s’est transformé en une aversion généralisée pour tout ce qui touche au journalisme. Il suffit de faire le tour des forums pour mesurer dans quel mépris nous sommes tenus.
L’argent a fait le reste. Il a divisé les journalistes en patrons véreux et reporters exploités, journalistes dakarois choyés et correspondants régionaux réduits à la mendicité. Nous avons laissé cet homme mentir au monde entier sur sa générosité envers les journalistes. Au Bénin voisin, l’aide à la presse est trois fois plus importante. Abdoulaye Wade l’a certes doublée en la portant à 300 millions de francs, mais il ne la distribue que tous les deux ans, au mépris de la loi des Finances. Il aura fallu un battage médiatique sans précédent pour que l’aide à la presse votée en décembre 2007 soit payée en  février 2009.
S’il y a un quelqu’un qui est passé maître dans la diffusion de fausses nouvelles, c’est bien le chef de l’Etat. Il nous a « révélé » à la télévision nationale que Moustapha Niasse est un voleur, qu’Amath Dansokho est un brigand, qu’Idrissa Seck a gardé dans des banques américaines l’équivalent de 80 milliards de francs Cfa. S’il l’avait fait lors d’une réunion du Comité directeur de son parti, on aurait pensé qu’il revigorait ses troupes démoralisées. Mais il l’a fait au sortir d’une rencontre avec le khalife général des Mourides à Touba. Il était allé plus loin. Il avait déclaré posséder dans les tiroirs de son bureau les preuves documentées de tout ce qu’il avançait.
Son chef-d’œuvre dans le genre reste la déclaration faite après la rénovation de son avion, quand il jurait à la télévision nationale que cet investissement n’a coûté aucun rond à l’Etat. Quand un président de la République ment aussi impunément, les juges de ce pays ne se sentent en aucune façon dérangés. Les législateurs se sont arrangés pour qu’ils se rendent « incompétents » face à « l’omnipotent ». Son souverain président peut juger, mais il ne sera point jugé, si ce n’est pour « haute trahison ». Et encore. Par une Haute cour de Justice ! Cette façon de traiter les citoyens différemment n’est pas un privilège de sang.
C’est parce que la société s’est entendue sur le fait que les métiers qu’ils pratiquent les exposent plus que d’autres à des risques particuliers qu’elle a créé des privilèges de juridiction. C’est pourquoi on ne peut pas juger des députés, des juges, des magistrats comme on juge des braqueurs de banque. Dans l’exercice de leur métier, les journalistes sont eux-aussi exposés à des fautes comme la diffusion de fausses nouvelles ou la diffamation. Si tous les journalistes qui se sont une fois trompés sur un sujet ou une personne allaient en prison, il ne resterait personne dans les salles de rédaction. Le chef de l’Etat lui-même passe son temps à avouer que son entourage lui a « menti » ou l’a « trompé ». S’il peut être floué avec le nombre d’agents de renseignements et de conseillers qui l’entourent, il n’a pas le droit d’imposer trois années de prison à un journaliste parce qu’il a diffusé de « fausses nouvelles ».
Officiellement, El Malick Seck a inventé tout ce qu’il a écrit. C’est cela la définition de la fausse nouvelle. Mais dès qu’il a été arrêté, la police a multiplié les perquisitions dans les locaux de son journal à la recherche de « preuves ». Le journaliste enquêtait en ce moment-là sur la véritable identité de Pape Diop. Les proches du président du Sénat étaient persuadés que le téméraire était sur le point de publier l’authentique pièce d’état-civil du numéro deux de la République. Les journalistes se passaient déjà ce précieux document sous la veste. Au lieu d’envoyer l’ancien poissonnier en prison pour usurpation d’identité et usage de faux, ils ont réduit le journaliste téméraire au silence.
Si j’étais l’avocat d’El Malick Seck, je m’abstiendrais de faire des recours inutiles. Saisir la Cour de cassation, c’est créditer l’idée d’un pouvoir judiciaire indépendant. Il ne peut rien contre un homme qui vote des lois d’amnistie pour des criminels et qui peuple ses prisons de gens innocents. C’est Abdoulaye Wade qui a envoyé El Malick Seck en prison, il n’y a que lui qui peut le libérer de prison. Le justicier de Sandaga distribue sa justice comme il fait avec sa générosité. Il l’applique en faisant montre d’une très sélective obstination. Mais c’est aux sénégalais de décider s’ils doivent continuer à supporter un homme qui passe son temps à s’inventer des coupables pour les punir.
SJD



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