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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Le syndicat de la rue

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Le syndicat de la rue
« Qu’une nation ne fasse aucun effort,
si elle veut, pour son bonheur, mais qu’elle
ne travaille pas elle-même à sa ruine »
LA BOETIE


On ne peut pas applaudir quand des voitures brûlent, quand des édifices publics sont incendiés, mais Wade a eu ce qu’il a mérité. Il a semé le ventre des jeunes vendeurs, il a récolté la tempête. Tout le monde avait vu la colère monter. C’était une question de délai, mais quelqu’un devait dire un jour, « capitaine, la coupe est pleine ». C’est ce qui est arrivé mercredi. Wade était lui, convaincu qu’il n’y avait pas un jour comme ça dans son calendrier. Il avait même osé déclarer à des journalistes français venus le voir en 2006, que « la vie est chère, il y a des délestages, mais vous ne verrez pas les Sénégalais dans la rue, parce qu’ils m’aiment ». Il y a des leçons que la vie nous donne tous les jours, mais des hommes comme lui ne s’en inspirent jamais.
Pour laisser la colère s’exprimer, les autorités ont choisi à dessein ce jour de match Sénégal-Maroc. Ils pensaient que le trop plein de jeunes qui inonde les artères de Dakar allait garder les yeux collés à la télé. La démobilisation par la distraction ! Il n’y aurait personne à la marche pour cause de football national, et il allait bomber le torse le lendemain, pour dire « voilà,  c’est la preuve que le peuple est avec moi, que vous n’avez personne derrière vous. »  Tous les calculs des services de renseignement portaient sur la marche des syndicats. Ils en avaient corrompu certains, en pensant que tout tenait à une question d’argent. Si les jeunes marchands n’avaient pas fait le travail avant, c’est ce à quoi nous aurions assisté : des syndicalistes divisés au moment de lire leur discours. Mais on ne peut pas prévoir l’imprévu. L’imprévu, c’est cette masse de jeunes que Wade était allé voir en 2002 à Sandaga, quand il avait besoin de leurs voix et de celles de leurs parents restés au village. Il les avait rassuré, en leur disant, ce qui est aussi vrai « je suis le premier informel de ce pays ».
L’image que présente Dakar n’est pas belle. Nous avons concentré sur moins d’un pour cent du territoire national, près de la moitié de la population nationale. 4,5 millions de personnes vivent sur 550 KM2. Une politique aveugle a concentré sur cette petite portion du territoire national plus de 80% des routes, plus de 85% des unités industrielles, plus de 90% des richesses. Depuis trois ans, les dizaines de milliers de jeunes refoulés d’Europe ont grandi les alentours de la capitale. Wade devait savoir qu’ils finiraient par taper à sa porte, pour lui demander des comptes. On ne peut pas leur ôter leur petit pain, les renvoyer chez eux sur un ton méprisant, et leur demander d’y rester. C’était un pari trop audacieux. Le président de la République croyait sa parole tellement bénite, qu’il s’est dit « alleluya, je leur ai demandé de partir, et ils sont partis ».
Dans l’Angleterre du 18ème siècle, c’est le commerce de la laine, développé en offrant les espaces cultivables aux éleveurs de mouton, qui avait chassé les premières vagues de populations vers Londres. Quand ils y arrivaient, chassés de leurs terres, les pauvres paysans  étaient systématiquement raflés, chassés, humiliés. Hier, le syndicat de la rue a dit non à cette éventualité. Ceux qui se sont exprimés mardi sont les sans voix. C’est leur ventre qui a parlé. Ils n’ont pas l’intelligence d’Abdoulaye Wade, ils n’ont pas l’expérience syndicale de Mademba Sock. Ils n’ont d’ailleurs aucune revendication salariale sur la table. Quand Adjibou Soumaré leur a fait l’honneur de s’asseoir à leurs côtés, ils n’ont eu qu’une revendication : « nous voulons vendre pour faire vivre nos familles ». Mais quelle détermination ! Et ils ont raison. Chaque année, quand l’Etat veut renflouer ses caisses, quand la mairie de Dakar payer le salaire de ses chargés de mission et autres employés fictifs, elle leur envoie ses agents collecter la dime. Mais dès qu’il y a un petit sommet qui se prépare, on vient les chercher dans des tenues d’éboueur, en bouchant le nez pour ne pas sentir leur odeur. Adjibou Soumaré les a reçus. S’ils avaient exigé de parler à Wade, il se serait mis à genou pour les recevoir. Il a eu la frousse toute la journée, en pensant que des démons s’étaient mêlés à la marche pour lui ravir son fauteuil. Non, trop, c’est trop. C’est ce que ces jeunes ont voulu dire. Et, croyez-le, ils ont voté pour Wade, ils ne le détestent pas. C’est avec leurs marabouts que le président de la République avait signé un pacte de non agression. Il s’était rendu jusqu’à Touba, pour dire que jamais il ne toucherait aux talibés qui font vivre familles et marabouts en vendant à la sauvette.
Mais dès qu’il a été réélu, la mauvaise odeur de Sandaga lui est montée au nez. On ne peut pas, dans un même pays, être en mal avec les agriculteurs, les travailleurs, les enseignants, les marchands ambulants, les danseurs, les pêcheurs, et n’être d’accord qu’avec son fils, sa femme et quelques valets de chambre. Il y avait un peu de ça mercredi. Tout le monde n’est pas d’accord avec ces jeunes et leurs revendications, mais tout le monde s’est dit « ah mais c’est bien. Enfin une gifle qui va le réveiller de son sommeil ».
Abdoulaye Wade entretient cette illusion qu’il règne sur un peuple docile. C’est méconnaître sa propre histoire. Son combat de 24 ans, ce sont les Sénégalais qui l’ont mené à sa place. Il n’a jamais été là pour prendre des coups, encore moins son fils qui plastronne aujourd’hui au sommet de l’Etat. Ce sont des sénégalais courageux qui sont morts, pour qu’un jour il puisse jouir du droit d’être élu. Il n’a jamais été de ce combat. A chaque fois qu’il a été arrêté, il l’a été dans son paisible domicile du Point-E, au bord de sa piscine. Il n’est même pas capable de reconnaître à ce peuple le moindre des droits, celui de manifester. Mais même avec ses liasses de billets anesthésiantes, le Sénégal de 58, 68, 78, 88 est encore là. Il croyait avoir définitivement changé la face de ce pays, pour en faire une petite monarchie avec des sujets en rangs serrés. Il sait maintenant ce qu’il en est.
C’est un pouvoir important que Wade a perdu hier, celui qu’il avait sur la rue. Sandaga était sa place forte. C’est de là que partaient les appels aux forums radiophoniques : « bayyi leen paabi mu liggeey ». Il a perdu un pan important de ce mythe qu’il entretenait chez les gens peu cultivés, qu’il sait tout faire. Désormais, et c’est le message subliminal que ces manifestants ont transmis à l’ensemble de la population, tout est possible. Chaque coin de rue est un nouveau territoire reconquis. Il veut régner en maître dans ce pays, interdire toute forme de manifestation, en perdant de vue que le pays compte 1 policier pour 4000 habitants. Il veut une ville propre pour le plaisir de ses amis arabes, il risque d’avoir un décor morose, avec des voitures calcinées à chaque coin de rue, et des jeunes déterminés à lui faire payer son arrogance. Au lieu d’avoir Dakar 2008, il risque d’avoir son Dakar 1988. Un vrai retour de bâton pour lui qui avait fait de la rue le siège de son parti.
C’est dangereux de jouer aux artificiers. Parce que personne ne pouvait prévoir ce mouvement spontané. Et c’est la leçon que les jeunes marchands, démunis, sans moyens, ont donné à la fois aux syndicats et aux partis politiques : ils se sont fait respecter, se sont invités à la table du Premier ministre en quelques heures. Ce que l’opposition a mis des années à demander, ils l’ont obtenu en quelques heures, et de façon très persuasive. Ils n’ont ni l’organisation que réclament les politiciens, ni les moyens sans lesquels, pensent-ils, il est impossible de mobiliser les Sénégalais. En l’espace d’un mois, le président de la République a reculé sur plusieurs choses importantes : la baisse des salaires, l’achat d’un nouvel avion, et maintenant, face aux jeunes marchands. C’est par la détermination de la rue. Vous le verrez taire sa querelle avec Macky Sall, pour réunir tout le monde autour de lui. C’est ce qu’il fait, quand il sent son pouvoir menacé. Les députés feront très attention avec leurs rutilantes Hoover, quand ils passeront les rues. La cour présidentielle fera très attention à ses fastes, de peur de « heurter » le bas peuple. Ce pays n’en demandait pas trop, mais Wade en fait toujours trop.



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