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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Le vicieux-président

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Le vicieux-président

« Les crimes purement moraux,
et qui ne laissent aucune prise à la justice humaine,
sont les plus infâmes, les plus odieux »
MONTESQUIEU

 

Abdoulaye Wade aime les idées courtes dans les phrases courtes : « Je n’ai pas de dauphin… Je cherche encore… Karim n’est pas mon option ». Ce sont elles qu’on retient le plus facilement et elles ont un avantage : on peut les changer plus… facilement. Mais surtout, les phrases courtes vont bien avec les mémoires courtes. Wade en a une. Il ne faut donc pas être surpris qu’après avoir traité Idrissa Seck de voleur, lâché sa meute de bigotes à ses trousses, il revienne nous le flanquer vice-président de la République. C’est un coup de sabot donné à ceux qui le croyaient capable de changer, mais c’est bien mérité.
Wade n’a jamais voulu d’un Premier ministre, il fera disparaître le poste. Adjibou Soumaré était là pour conduire la défunte République à sa dernière demeure. Le président a toujours voulu d’une vice-présidence, il en mettra une dans sa voilure, quitte à aller au naufrage. Ce n’est pas une simple idée. Adjibou Soumaré a été prié de quitter l’ancienne maison militaire, qui deviendra résidence principale du vice-roi, son altesse Idrissa Seck. Là sera son trône, et son entêtement le privera encore de toute retenue dans la conduite des affaires. De là-bas, tenez-vous bien, il est même prévu un petit tunnel qui traverse la rue pour s’encastrer net dans le bureau du chef de l’Etat.
Les libéraux en sont tellement convaincus que depuis deux semaines, ils font le pied de grue chez Idrissa Seck pour s’amender. Tous, de Pape Ousmane Sy, l’ancien ami passé dans le camp de Karim Wade, à Macky Sall, qui y a envoyé un de ses plus fidèles collaborateurs, ont rampé et demandé pardon au futur maître. Karim Wade a été le premier à se rendre au Point-E pour « arrondir les angles ». Les libéraux savent se déculotter quand il s’agit de couvrir leurs arrières.
La vie, décidément, réserve certaines curiosités. Abdoulaye Wade, qui ne voulait pas d’une « dualité » au sommet, déterminé à conserver ses pouvoirs régaliens, veut maintenant les partager. Ce qu’il refusait au Premier ministre, au point de le chasser du gouvernement, il l’accepte pour le vice-président ! Partager le pouvoir n’a jamais été une option chez lui. Il a toujours voulu être le seul porteur de sa couronne. Il est maintenant prêt à la transmettre.
Le président de la République était sincère quand il déclarait qu’il ferait tout pour empêcher Idrissa Seck de lui succéder un jour. Ses attaques contre l’opposition procédaient de la même conviction. Les résultats des élections, qui ont été un véritable choc pour lui, lui donnaient raison sur tout et sur tout le monde. Il pensait qu’il pouvait tout se permettre, et que l’heure était venue de nous présenter son fils héritier. L’« hypothèse », révélée plus tard par Farba Senghor, date de cette période. Cet écart de langage a failli coûter au diplômé de rhum sa place au soleil, mais Farba ne ment jamais pour mentir. Il a entendu de ses oreilles Abdoulaye Wade faire cette confidence. Sortir cette « confession » dans un contexte de liquidation programmée de Macky Sall a été une faiblesse monumentale. Farba fait partie de la petite bande d’illuminés qui ne veulent ni de Macky Sall ni d’Idrissa Seck, mais de Karim Meissa Wade. Ils pensent que tout est possible, à condition de s’y mettre. Mais ses échecs répétés, partout où il est passé, sont aussi la preuve que Wade ne peut pas tout se permettre, et ils s’en rendent compte.

La présidence de la République est désormais partagée entre le camp de Viviane Wade, qui pense que oui, son fils aîné est bien présidentiable, et celui d’Abdoulaye Wade qui, depuis les manifestations du mardi 20 novembre dernier, pense que c’est une hypothèse trop risquée. Le chef de l’Etat a un argument important. Les chancelleries occidentales ne veulent pas de son fils. Pas même ses compatriotes français qui le voient atterrir au Bourget dans ses habits de prince. Le département d’Etat américain l’a fait savoir de façon claire, dans une lettre transmise au président de la République. Depuis quelques mois, les chancelleries se plaisent à rapporter les « vilénies » financières du « fils ». Il n’a que quelques soutiens de monarques arabes qui pensent que ce qui est possible en Arabie l’est au Sénégal. Idrissa Seck a adressé à Karim Wade une réplique mémorable au cours d’un dîner, quand Wade fils a laissé entrevoir pour la première fois l’idée de succéder à son père : « le seul envoyé qui s’est réclamé un jour fils du père a été crucifié ». C’était à la veille d’une mission… au Moyen Orient.
La dernière option, sur laquelle ceux qui ont l’oreille du président de la République travaillent, est une transition qui ferait d’Idrissa Seck le vice-président de la République, à la suite de quoi des élections générales seraient organisées. La Constitution serait alors modifiée, Idrissa Seck et Karim Wade iraient aux élections à l’américaine. Pape Diop est prêt à « jouer le jeu », Macky Sall a donné son aval pour le vote de cette loi, à condition qu’on arrête de le persécuter.
Loin d’être une nouveauté, l’offre d’une vice-présidence a déjà été faite à Moustapha Niasse, dans les mêmes termes, en juillet 2006, contre une prolongation du mandat du président de la République de deux ans. Wade s’engageait à ne pas se représenter en 2009, s’il obtenait des garanties sur l’impunité de sa famille. Ce qui ramène la question sur la table, et de façon quelque peu urgente, c’est la santé défaillante du chef de l’Etat, contraint à des séjours répétés en Suisse et en France. L’évolution de sa maladie, quoiqu’il fasse preuve d’un courage remarquable, lui impose des cures douloureuses. Il y a trois mois, en plus de la résidence de l’ambassadeur, l’Etat du Sénégal s’est offert un immeuble de six étages en réfection, pour accueillir le président et sa cour en cas de « nécessité ». D’autant qu’entre le 10 et le 14 novembre derniers, il a été obligé de se rendre deux fois à Paris pour ses soins. Dans cette histoire, et Idrissa Seck le comprend peut-être mal, c’est moins sa personne qui compte, que les protections que Wade veut trouver à ceux de sa famille qui lui survivront. L’affaire est une grande fourberie faite à la morale républicaine. Abdoulaye Wade passe Idrissa Seck à la laveuse, le blanchit, et Idrissa Seck à son tour couvre le derrière d’Abdoulaye Wade. Tout simplement ! Après, ils iront dans les cours maraboutiques recueillir des prières pour que Dieu bénisse leur alliance.
Ce qui est choquant, ce n’est pas que Wade choisisse Idrissa Seck ou son fils. Tous, autour de lui, sont vomis par les mêmes laves. Le sopiste a appris à ses petits tout ce qu’il sait faire en matière politique. Le plus inacceptable, c’est l’idée même qu’il se cherche un dauphin, un successeur, comme si le Sénégal était sa propriété. Quand Paul Biya, qui n’est quand même pas un exemple de vertu, a été interrogé sur le même plateau de France 24, dans les mêmes termes, il a répondu au journaliste qu’on ne peut pas parler de dauphin en démocratie. Même les dictateurs repentis se gardent de certaines bouffonneries. Si la désignation de Karim Wade est inacceptable, le montage en vue l’est tout autant.
Les libéraux font un calcul simpliste. Réunis, ils ne font pas la majorité du pays, ils font la totalité. Avec Fada chef de l’opposition, que Wade vient de rappeler à ses côtés, ils contrôlent l’Assemblée nationale et le Sénat. S’ils décidaient de mettre à exécution leur plan macabre, rien ne pourrait les arrêter. Ils font encore une fois passer des solidarités de chapelle avant les exigences républicaines. Mais ils seraient naïfs de ne pas penser à la journée du 20 novembre, et à ce qu’elle peut produire de nouveau. Même quand on dirige une bande de demeurés, on ne peut pas tout se permettre.



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