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Chronique

[ Chronique ] Les éditeurs et le Roi

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[ Chronique ] Les éditeurs et le Roi
« La corruption, le plus infaillible symptôme 
de la liberté constitutionnelle » 
Edward GIBBON

Nous nous sommes interrogés jusqu’ici sur la qualité de l’information livrée par les journalistes. Peut-être qu’au lieu de porter le regard sur l’information, le temps est-il venu de le porter sur l’informateur. Je veux dire le journaliste lui-même, ou celui qui prétend l’être. Dans ce fouillis sophistiqué, nous trouvons de tout, des anciens charretiers comme des anciens camionneurs. C’est la liberté d’expression, reconnue à tous les citoyens, qui rend ce métier particulièrement poreux. Mais nous ne pouvons pas avoir une information honnête sans des informateurs honnêtes. La première condition d’une démocratie, ce n’est pas une élection libre, c’est une presse libre. Notre démocratie est donc menacée quand les journalistes, au lieu de dénoncer les injustices, les provoquent. A leur tête, il y a ceux qui organisent l’exercice de ce métier. Ils se font appeler les « éditeurs ».
Les éditeurs de presse ont fait le compte-rendu de leur rencontre avec le président de la République sur un ton jubilatoire. J’y ai vu quant à moi une entorse aux principes républicains les plus élémentaires et une menace réelle pour la République. Abdoulaye Wade a été pendant plus d’une heure l’Agence de régulation des télécommunications, le ministère des Finances, le ministère de la communication et l’Assemblée nationale réunis. Qu’ils le fassent sciemment ou non, ceux qui organisent ces rencontres informelles participent au renforcement de ce que j’ai appelé le fait monarchique. Le président de la République décide de tout ce qu’il veut sans égard aucun aux institutions de la République, mais les journalistes et leurs représentants devraient être les derniers à l’y encourager. Ils ont dénoncé ici et là le fait qu’en violation des délibérations de l’Assemblée nationale, le président de la République bloque l’aide à la presse pour punir des journalistes « qui l’insultent ». En allant le voir pour qu’il décide, d’autorité, d’augmenter le montant de cette aide, ces éditeurs lui reconnaissent le droit de les traiter injustement. Ils renforcent cette idée qu’Abdoulaye Wade est tout, puisqu’il décide tout. 
La nature des revendications portées à l’attention du président de la République elle-même est particulièrement étonnante : oubliée l’exigence de faire punir les agresseurs de Kambell et Kara, oubliée la traduction de Farba Senghor devant les tribunaux. Ils en oublient même la descente, récente, des nervis de Modou Kara dans les locaux de Walfadjri. Cette décision d’affecter à la sécurité de personnes privées des gendarmes dont la vocation est de garantir la sécurité publique est une dérive que les éditeurs de presse ne devaient jamais cautionner. Ils en sont maintenant les promoteurs. Tout se passe comme si, au lieu de dénoncer le régime privilèges instauré par Abdoulaye Wade, ils en réclament une partie. Puisque rien ne peut justifier une amnistie fiscale à un groupe d’individus qui ont décidé de leur propre chef de créer des chaînes de télévision. Sans un cadre fiscal repensé, cette amnistie ne servira à rien. La dette pardonnée d’une année n’efface pas celle de l’année à venir, à moins de retourner s’agenouiller devant Abdoulaye Wade. Ils réclament du généreux donateur Abdoulaye Wade le régime de faveur ce qu’ils dénoncent depuis une dizaine d’années. 
La noble vocation de l’entreprise de presse ne doit pas nous faire oublier qu’il s’agit tout de même d’une entreprise, elle doit être régie par le même code pour tous les investisseurs. Les éditeurs de presse ne sont pas plus méritants que les nombreux entrepreneurs qui font travailler des milliers de pères de familles. Ils se plaignent de l’environnement fiscal et des déficits qu’ils accumulent. Ils paient difficilement les cotisations sociales de leurs employés. Mais ils possèdent les plus beaux immeubles de ce pays, alors qu’on ne leur connait aucune autre activité. Les journalistes dénoncent la corruption de ce régime à longueur de journée, mais ils ne dénoncent malheureusement jamais la corruption de leurs patrons. Tous les patrons de presse ne sont pas dans ce lot, il faut préciser, pour ne pas céder à l’amalgame. Il y en a qui défendent leurs journalistes et triment durement pour payer les salaires de leurs employés. Mais la plupart d’entre eux partagent avec Abdoulaye Wade, à l’insu de tous, une partie de l’argent qu’ils disent avoir été volé. Ils en sont si jaloux que quand un de leurs reporters se dérobe pour aller voir le chef de l’Etat et réclamer ces mêmes faveurs, ils crient à la trahison. Le pouvoir qu’on leur prêtait est devenu un vouloir qu’ils réclament. C’est cela la grande fumisterie qui gangrène ce métier. La règle devrait être qu’avant d’exiger la vertu des autres, les journalistes l’exigent de ceux qui les emploient.

Mais en disant oui sur presque tout, Abdoulaye Wade sait ce qu’il attend des journalistes. Ce traitement seigneurial a un prix, la soumission totale. Ils ne pourront plus dénoncer un régime de privilèges dont leurs patrons sont les premiers bénéficiaires. Pendant six ans, le président de la République n’a voulu rien entendre du sort injuste réservé au Groupe Sud. Le fait qu’il décide de rendre justice à ces pionniers de la presse privée dans le contexte actuel n’a rien de fortuit. Cette décision arrive en plein débat sur l’octroi frauduleux de terrains au promoteur privé Mbackiou Faye. Quand les journalistes voudront dénoncer cette situation à l’avenir, il leur dira : « Mais taisez-vous, je l’ai fait pour Sud et vous n’avez rien dit. » Alors qu’au fond, qu’il rende justice à Sud maintenant est sans effet. J’attends de le voir pour croire cette mesure effective, mais le mal est déjà fait pour tous ceux qui ont souffert de cette situation injuste.  
Partout ailleurs, en France comme aux Etats-Unis, le président de la République reçoit, discute avec les journalistes. Les hommes des médias et les hommes de culture sont les invités naturels des agapes présidentielles. Le problème vient du fait que pour Abdoulaye Wade, tout ce qui critique son régime est un ennemi à abattre. On peut être un ami sans être un obligé ? Pas chez Wade. C’est un des traits de son mauvais caractère. 
Mais la publication du livre d’Abdoulatif Coulibaly en juillet 2003 a servi de prétexte à sa radicalisation. Il en a voulu à mort à tous les journalistes, et c’est en ce moment que son entourage actuel l’a coupé du reste du pays, en lui faisant croire qu’il avait des ennemis partout. Au lieu de faire cesser ses pratiques délinquantes, il s’en prend à ceux qui les dénoncent.
Les médiocres qui l’entourent ont intérêt à maintenir une tension permanente autour du président de la République. C’est la raison même de leur existence. Ils prient tous les jours pour qu’il y ait des feux à éteindre. Le fait que cet homme puisse avoir à sa portée des intellectuels expérimentés et se contenter des conseils d’un ancien instituteur violeur, un élève hors du  commun et l’ancien garçon de course de Mamadou Diop, Serigne Mbacké Ndiaye reste un mystère. J’ai demandé à Mamadou Oumar Ndiaye, qu’il a reçu à déjeuner, si cet homme avait toute sa tête. J’ai entendu, sur le sujet, les rumeurs les plus affolantes. Le directeur du Témoin, pour qui j’ai le plus grand respect, a trouvé un homme lucide au meilleur de sa forme. Il a trouvé Abdoulaye Wade d’une vivacité étincelante. Le président de la République lui a même rappelé les détails de souvenirs qui datent de Takoussan, au début des années 80, ce qui est le signe d’une grande vitalité. 
Mais ce qui suit n’est pas rassurant. Jugez-en vous-mêmes : au moment de libérer son hôte, Abdoulaye Wade lui fait part d’une information qu’il venait de recevoir : le colonel Konaté de Guinée, malade, lui a demandé d’être accueilli à Dakar pour des soins médicaux, un avion médicalisé étant même allé le chercher à Conakry. « Tu es journaliste, c’est toi qui sais ce que tu dois de cette information », assure Wade. En bon journaliste ayant obtenu une information de première main de la bouche du chef de l’Etat, Mamadou Oumar Ndiaye décide d’en informer l’Agence de presse sénégalaise et la RFM, qui diffusent la nouvelle. Quand les autorités guinéennes sont saisies le lendemain samedi, de cette bourde de l’APS, elles sont partagées entre l’indignation et la colère : l’info est fausse, le colonel Konaté n’est pas malade ! Pris au dépourvu et voulant éviter une nouvelle gaffe à son président, Madické Niang est obligé de le… démentir. C’était la moindre des choses. J’avais raison d’émettre des doutes sur la santé mentale du locataire de l’avenue Senghor. Quand sa mémoire lointaine fonctionne si bien, c’est que sa mémoire immédiate l’a abandonné. Si ce n’est pas le cas, il doit avoir avec la vérité des rapports très conflictuels. Mais dans tous les cas, l’avoir à la tête du pays n’a rien de rassurant.
SJD


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