On leur a dit très tôt?: un homme, ça tient. Ça prend sur soi. Ça avance sans broncher. Ça n’a pas mal, ou alors ça ne le montre pas. Un homme, c’est une épaule sur laquelle tout le monde doit pouvoir compter. Un pilier. Un roc. Un mur.
Mais derrière ces façades solides, au Sénégal comme ailleurs, il y a souvent des failles profondes, des blessures sans nom, des fatigues tues, des larmes jamais versées. Parce que pleurer, c’est trahir le rôle. Parce que dire “je n’en peux plus”, c’est risquer de ne plus être considéré comme un homme “entier”.
Être un homme ici, c’est réussir. C’est porter la maison sur son dos, même quand les genoux flanchent. C’est “assurer” pour les siens, qu’importe le salaire, la santé, les doutes. C’est cacher les peurs sous l’élégance du boubou repassé. C’est jouer au plus fort dans les conversations, dans les regards, dans les silences.
Les jeunes garçons apprennent vite. On les félicite quand ils “ne font pas d’histoires”, quand ils “ne pleurnichent pas comme une fille”, quand ils encaissent. On ne leur apprend pas à parler de ce qui blesse, de ce qui ronge. On ne leur enseigne pas à poser les armes pour respirer un peu.
Résultat?: des hommes qui s’effondrent en silence. Des pères qui ne disent jamais quand ils ont peur. Des frères qui ne savent pas demander de l’aide. Des maris qui confondent autorité et anxiété. Des amis qui s’éloignent pour ne pas avouer qu’ils vont mal.
La société célèbre leur force mais ne leur pardonne pas leurs faiblesses.
Et pourtant, il faut pouvoir tomber.
Il faut des lieux pour cela. Des mots qui autorisent. Des gestes qui accueillent. Il faut briser cette image virile qui enferme plus qu’elle ne protège. Car la virilité imposée devient un poison lent?: elle rend les hommes étrangers à eux-mêmes, coupés de leurs émotions, seuls face au vide.
Il ne s’agit pas de faire des hommes des victimes. Mais de leur permettre d’être humains. Entiers. Nuancés. Fragiles parfois, sans que cela n’enlève rien à leur dignité.
Car la vérité est là?: les hommes aussi tombent. Et ils ont le droit de ne pas toujours se relever seuls.
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