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Chronique

[ Chronique ] Méfiez-vous des balles perdues

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[ Chronique ] Méfiez-vous des balles perdues

« Le sport consiste à déléguer au corps
quelques vertus les plus fortes de l’âme »
Jean GIRAUDOUX


Le gardien de but de l’équipe du Sénégal, ses coéquipiers le connaissent bien. Demandez-leur ce qu’ils pensent d’un match à venir. Ils vous diront toujours qu’ils savent qu’ils vont prendre un but. Il y a toujours ce qu’ils appellent le but de Tony Sylva. C’est le paradoxe d’un des quatre meilleurs gardiens de Ligue 1, le championnat de France. Il est capable de gagner tous les duels dans un match, et prendre ensuite un but des 35 mètres quand on s’y attend le moins. Il y a quelques années, les responsables monégasques y avaient vu une myopie non décelée. Ne pas voir un projectile de la taille d’un ballon de football est un problème sérieux. Il s’est fait traiter par un ophtalmologue, mais le problème, apparemment, reste entier. A cela s’ajoute un confort dans lequel se complait notre gardien de but : il n’a pas de concurrent sérieux. Depuis qu’Oumar Diallo est parti, Mario Sylva fait service minimum. C’est un gros navet planté au milieu des bois. Les rares fois où il se couche, c’est pour mordre du gazon. Quand on a Tony Sylva derrière, on est sûr d’en prendre une. Et malheureusement, cette situation n’est pas près de finir. Son remplaçant immédiat est un joueur de National en France, et le troisième gardien, un joueur du Colorado Rapids aux Etats-Unis. C’est donc au staff sénégalais d’aller à chaque match, en sachant qu’il part avec un but de retard. El Hadj Diouf l’a bien rappelé à quelques jours du début de la Can, sans attirer la moindre attention : « le problème du Sénégal, c’est derrière ». Mais c’est qui derrière ? Eh bien, sans vouloir l’accabler davantage, c’est Tony Mario Sylva. Ce grand soldat nous a valu bien des victoires, mais il est bien temps de donner aux autres gardiens qui squattent le banc de touche une première chance. Bien entendu, le pauvre garçon n’est pas le seul responsable de ce qui a failli se transformer en une déroute. Sur l’action qui a mené au deuxième but, on a bien vu une petite hésitation de l’axe central de l’équipe du Sénégal. Eh bien, rendez-vous bien compte que l’entraîneur, sans aucune raison compréhensible, sinon qu’il a longtemps boudé l’équipe nationale, a laissé le jeune Sonko dehors. Sonko avait, ces derniers temps, trouvé avec Diawara certains automatismes nécessaires à la bonne marche d’une défense. L’entraîneur Kasperczak l’a préféré à Abdoulaye Diagne Faye, qui n’a pas joué avec les Lions depuis juin 2007. Le résultat est un goût amer que nous allons traîner pendant longtemps, si nous n’assurons pas la qualification contre la très bonne équipe d’Angola. Ce n’est pas le seul choix du polonais qui soit discutable. Je n’ai jamais compris pourquoi le joueur qui compte le plus grand nombre de sélections et de buts, Henri Camara, joue toujours les 20 dernières minutes de la partie. Il a réussi jusqu’ici à se tirer d’affaire, mais lors de ce Sénégal-Tunisie, il a eu du mal à entrer dans le match. Seigneur Henri, comme l’ont appelé assez justement certains de mes confrères, mérite certainement mieux que le banc de touche.
Un choix est toujours discutable, me direz-vous. Mais quand on décide à la place de 11 millions d’individus, chaque geste posé doit être explicable et justifiable. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas d’écoles pour les entraîneurs.

Je ne peux pas franchir la ligne médiane, sans parler de cet entraîneur polonais. La réussite de Bruno Metsu n’avait rien de mystique. Il jouait avec trois milieux récupérateurs, dont un qui se transformait en attaquant, pour créer le surnombre. Cette époque du virevoltant Khalidou Fadiga nous laisse des souvenirs. Le seul qui, sans en avoir le talent, a essayé de jouer au relayeur durant ce match contre la Tunisie, Ousmane Ndoye, a été remplacé par Pape Bouba Diop, trop lourd pour récupérer et servir des balles en profondeur. Comme on ne pourra jamais comprendre pourquoi le polonais a fait jouer l’un des meilleurs attaquants de pointe du moment, Mamadou Niang, à gauche. Avoir El Hadj Diouf, Mamadou Niang, Henri Camara, Diomansi Kamara dans une équipe et jouer en 4-4-2 est une hérésie. Depuis que nous jouons au football, défendre ne nous a jamais réussi. Or, ce qui a fait défaut mercredi, c’est la décision prise d’entrée de jouer le match nul et la victoire en même temps. Ce n’est pas possible. Les joueurs parlent du but de Tony. Ils doivent désormais y ajouter le but de Kasperczak. Si nous avons encaissé un deuxième but, c’est aussi par un choix tactique qui nous a fait reculer d’un cran, et nous a laissé à la portée d’une balle perdue. Nous nous sommes laissés assiéger sans réagir.
Comprenez mon amertume. Nous sommes, encore une fois, passés à côté d’une victoire que nous méritions bien. Depuis Asmara 68, nous avons perdu des matchs, manqué des victoires sur des détails. Mais un match de football se gagne sur des détails. Ce qui nous est arrivé contre la Tunisie, qui nous est arrivé à Asmara en 1968, au Caire en 1986, à Dakar en 1992, à Bamako et à Séoul en 2002 n’est pas un problème de talent. C’est un problème de mental et de concentration. De telles déconvenues ne seraient jamais arrivées au Cameroun, à l’Egypte ou au Ghana. Le football est un jeu du pied, mais il se gagne dans la tête. Un entraîneur qui va à une compétition en annonçant comme objectif les quarts de finale s’installe déjà dans une logique de défaite. Et tout s’est joué sur une question de coaching et de mental. Quand Roger Lemerre a pris un deuxième but, il a sorti un milieu de terrain pour faire entrer un attaquant. Nous nous sommes mis à reculer, et finalement, nous sommes tombés sur un but, sauvés ensuite d’une humiliation par le coup de sifflet final. Si, au terme d’une courte prolongation, les Tunisiens avaient marqué un troisième but, nous aurions accusé l’arbitre, en oubliant que le temps a été prolongé pour tout le monde. A Tunis, il y a quatre ans, nous avons accusé le brouillard, en oubliant qu’il y en avait pour tout le monde.
Nous avons une équipe capable de s’illustrer dans cette Coupe d’Afrique des Nations. Ce qui fait que nous prenons des buts en début et en fin de match, c’est une question de concentration et de mental. Le Cameroun n’a plus la fraîcheur physique qu’il avait il y a six ans. Mais quel mental ! Quelle énergie et quelle détermination ces gens dégagent, et quel respect ils inspirent ! C’est cette hargne qui a fait qu’en 2002, nous avons été les meilleurs, mais nous n’avons pas gagné. Quand on a demandé à Bruno Metsu pourquoi il n’a pas gagné cette fameuse finale de Bamako contre le Cameroun, il a expliqué qu’au moment des tirs aux buts, les joueurs qui avaient été désignés se sont débinés. Oui, vous lisez bien. Tous les joueurs qui avaient été désignés pour tirer les pénalités ont eu peur, et ont refusé de tirer. Ferdinand Coly s’est finalement porté candidat, malgré lui, suivi de Aliou Cissé, qui a dit « coach, je suis le capitaine, je vais tirer ». Nous avons perdu ! Quand nous cherchons donc pourquoi nous sommes une terre de football, et que nous n’avons jamais gagné une Coupe d’Afrique, l’explication est là, simple. Nous sommes d’autant plus frileux, que nous cherchons toujours un réconfort moral dans la sorcellerie. Cette année encore, des centaines de millions ont été investis dans des « xons ». Il y a évidemment une tradition africaine qu’il faut volontairement assumer. Mais c’est aussi parce que nous ne croyons pas que la victoire dépend de nous, et de nous seuls. A l’approche de chaque compétition, les entraîneurs et les joueurs font comme les ministres à la veille d’un remaniement. Ils vont dans la brousse. Mamadou Faye du patrimoine bâti de l’Etat me racontait un jour une scène insolite. A quelques semaines de la Coupe d’Afrique des Nations de 1992, Habib Thiam a présidé une réunion interministérielle. Sur la table étaient entreposés des centaines de millions. A la fin de la réunion, il a demandé à tous ceux qui ont des marabouts qui pouvaient faire gagner l’équipe du Sénégal de se servir. Et c’est ainsi que les plus véreux se sont servis deux fois, trois fois, et nous avons perdu. Dans la canicule de Tamalé, les joueurs se plaignent d’avoir froid, tellement on leur fait prendre des « bains » mystiques. Quand ils arrivent sur le terrain, ils sont tellement sûrs de gagner qu’il n’est pas surprenant qu’ils laissent les balles passer dans les buts. Si nous voulons gagner cette Coupe tant attendue, il nous faudra franchir cette barrière mentale.

SJD



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