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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Ma tête à couper

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Ma tête à couper

Abdoulaye Wade a commencé son septennat par un bain de sang. Il l’a fini en beauté, en pataugeant dans le sang. Je connais bien Sindian. J’ai visité cette localité, jusqu’à la frontière gambienne, alors qu’elle était encore interdite à l’armée nationale. C’est l’un des rares peuplements diolas islamisés. On y immole des bêtes le jour de la Tabaski, pas des hommes. Ca n’enlève rien à la cruauté des assassins, bien entendu. Le gendarme Gadio, le premier à intervenir au cours d’une réunion du mouvement indépendantiste, a été découpé en plusieurs morceaux, et ses restes mis dans un sac. Ces gens ne sont donc pas à leur première leçon de cruauté. La différence, c’est que Oumar Lamine Badji est un homme politique, et je ne suis pas d’accord avec ceux qui pensent que son assassinat n’est pas politique. . C’est la première fois que, dans l’histoire, une aussi haute autorité est assassinée, d’ethnie Diola de surcroît. J’avais attiré l’attention de l’opinion sur le fait que la libération de Kamougué Diatta, après l’assassinat du sous-préfet de Diouloulou, était une prime au grand banditisme. L’ancien chef du Front Nord a été nourri, lavé, blanchi par des proches du président de la République, puis laissé en errance à Dakar. Depuis quatre ans, l’Etat entretient une aile dite favorable à la paix à coup de centaines de millions, de retours au pays, de pensions prépayées, des villas, de séjours prolongés à l’hôtel. Ces badauds, en plus d’avoir le sang de nos frères et sœurs dans les mains, se paient les plus belles prostituées de Dakar avec l’argent du contribuable. Récemment, des dignitaires casamançais, que Wade a reçu au palais de la République, se sont partagés 60 millions de francs, et vont recevoir bientôt des véhicules utilitaires. Ils ont sur vous et moi, l’avantage de connaître quelques rebelles qui entretiennent leurs anacardiers et leur fabriquent du charbon de bois. Et comme Wade veut au bout de sept ans, la paix qu’il avait promise en cent jours, rien n’est de trop, pour entretenir les marchands de la paix. Au bout de son septennat, il aura réussi à dresser un MFDC contre un autre. Les partisans d’une paix bradée et les partisans d’une guerre armée se font la guerre. Ce ne sont pas tous qui ont bénéficié des largesses du président de la République, et ils sont très mécontents de lui. Surtout depuis qu’il a chassé du palais un ancien rebelle qu’il avait nommé conseiller, Latif Aïdara. Ils le font payer à un de ses dignes représentants dans le Bignona.

Je m’excuse d’entamer l’année 2007 avec vous sur un ton aussi sinistre. Je ne crois pas à ceux qui pensent que le président de la République est derrière cet acte vil. J’ai appris, il y a trois mois, qu’un plan de déstabilisation de la Casamance était en route, que Wade allait en profiter pour instaurer un état d’exception, et reporter les prochaines élections. Evidemment, Wade s’est toujours nourri d’un machiavélisme sanguinaire. Mais il doit savoir qu’il ne survivrait pas à un tel désordre. Je discutais, il y a deux semaines, avec un très haut responsable du MFDC. Je voulais comprendre comment il concevait l’après Diamacoune. Il a accusé Abdoulaye Wade d’avoir voulu faire tuer Diamacoune, et que si son mouvement n’avait pas insisté en le rendant responsable de sa mort éventuelle, il serait déjà enterré. Ces gens ne comprennent pas que l’abbé Diamacoune soit tombé malade en même temps que son frère Bertrand. Le prélat a perdu l’usage de ses jambes et de sa tête, mais il ne rentrera pas au Sénégal. C’est la promesse qu’ils m’ont faite. Ils sont au courant des largesses que le gouvernement accorde à Jean Marie François Biagui et à Ansoumane Badji. Ils cherchaient un moyen de prouver à Wade qu’ils sont les vrais maîtres de la situation, pas des jeunes qui sont venus dans le mouvement un peu par opportunisme, pour bénéficier de la carte de séjour en Europe.

Je disais que j’ai visité cette région, alors qu’elle était interdite à l’armée nationale, et infestée de mines anti-personnel. J’y avais rencontré un chef rebelle du nom de Yaya Badji, entouré de ses hommes. Il m’a expliqué comment, parce qu’il appartenait à Ajpads, il a été persécuté, sa maison incendiée, et son père envoyé en prison. On en a fait un rebelle forcé, par qu’il s’opposait à Landing Sané. Eh bien ce Landing Sané est au Pds. Un responsable du Mfdc m’a fait savoir, la semaine dernière, que sa maison de Bignona a été rachetée par l’Etat, pour loger la famille du chef rebelle Ansoumana Badji. Ce sont là les effets dévastateurs de la politique de l’argent que Wade a instaurée à l’échelle nationale.
Le 13 janvier 2001, deux factions du MFDC se sont battues en Guinée. L’Etat avait encouragé César Badiate à s’attaquer aux bases de Salif Sadio, contre qui Wade avait lancé un mandat d’arrêt international. L’histoire a quelque chose de fantasque. Quand Salif Sadio est revenu d’un séjour en Libye, renforcé dans ses convictions islamiques (il ne se sépare jamais du Coran), il a interdit l’alcool dans les bases rebelles. Léopold Sagna, qui est quand même un amoureux du vin, s’est rebellé. Avec les autres responsables militaires du MFDC et la complicité du gouvernement sénégalais, il a engagé une attaque contre Salif Sadio. Eh bien Salif a attendu qu’ils soient tous ivres, pour les inviter à des négociations. Il les a tous pris en embuscade et les a assassinés, malgré les appels à la raison de l’abbé Diamacoune.

Quand j’ai appris, le mois dernier, que l’armée s’est emparée triomphalement de sa base militaire,  sans l’avoir capturé, je me suis dit que c’est la pire des choses qui pouvait nous arriver. Ne méprisons pas ces hommes, ils sont très intelligents, même dans la bêtise. Il y a trois mois, ils ont entrepris la plus grande manœuvre de désinformation, en faisant croire, partout, que Salif Sadio était parti à Abidjan, dans les bagages du président Gbagbo. Même nos renseignements se sont laissés prendre à ce jeu. Ben non, c’était pour desserrer l’étau autour du chef rebelle, et lui donner le temps de respirer. C’est quand même curieux qu’en Gambie, tous les rivaux de Salif Sadio soient arrêtés, et Salif Sadio laissé en activité !
Là aussi, Abdoulaye Wade paie le prix de sa maladresse. Yayah Jammeh lui reproche d’avoir gardé et nourri Kukoï Sagna, et d’avoir organisé la fuite du responsable du coup d’Etat contre son régime. L’implication de Dakar dans ce coup d’Etat ne fait l’ombre d’aucun doute, dans la tête des autorités de Banjul.
Là où Abdou Diouf a voulu faire marcher la diplomatie, Abdoulaye Wade a pensé que son cynisme pouvait être plus payant. Le MFDC est aujourd’hui trop divisé, pour qu’une paix définitive et générale puisse s’imposer. C’est un leurre qu’il entretient sciemment, pour mieux cacher son échec.
Ce que je dis là est un peu cruel, mais je le préfère au mensonge qu’on nous sert depuis sept ans. Rappelez-vous quand même qu’il y a cinq ans, il a décrété un jour férié, pour fêter le retour définitif de la paix en Casamance. Qu’un de ses alliés et ancien camarade d’université, Majemouth Diop, dise qu’il faut en faire une priorité au bout de sept ans de tâtonnement est un chef d’œuvre de mauvaise foi.

Abdoulaye Wade est cynique, même dans le deuil. Comment peut-il ignorer que la récompense de 50 millions promise va laisser libre cours aux délations les plus mensongères et aux règlements de compte les plus avilissants ? Il promet le passeport diplomatique. Il vient de le refuser à un ancien Premier ministre, sous le prétexte qu’il n’y a pas droit. Il le sait bien, en forçant l’imaginaire de la plupart des jeunes, qui ne pensent qu’à quitter le pays. Comment un homme, qui dit avoir amélioré la situation du pays, qui s’est prononcé contre l’émigration, peut-il pousser le cynisme aussi loin, et proposer un passeport diplomatique comme un vulgaire marchand de Sandaga ? Comme s’il a oublié que la délivrance des visas relève de la souveraineté de chaque Etat… La personne qui va bénéficier de ce cadeau va s’établir où, avec quel titre de séjour, pour quelle raison ? Il va plus loin, en ajoutant que tous les responsables politiques sont en danger. Mais n’est-il pas le garant de la sécurité de chaque citoyen ? Non, Wade a perdu la tête, et il nous perdra, si nous n’y prenons garde.



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