'' Nègre de la plantation et nègre de la maison '' par Aliou Ndiaye

Retournons à l'univers pédagogique de la fable. Jean de la Fontaine raconte avec sa maestria légendaire l'histoire fabuleuse de la liberté. Le rat de villes invita le rat des champs d'une manière fort civile à des reliefs d'ortolans. Sur un tapis de Turquie, un couvert remarquable fut mis. Plusieurs fois, le repas des deux compères fut interrompu. D'improbables impromptus déclenchaient d'indescriptibles charivaris. Lassé du sauve-qui-peut permanent, le rat des champs préféra retourner à ses vastes étendues. Là-bas, les mets étaient certes moins savoureux, mais la liberté rendait le repas plus doucereux. Malcom X prit possession de la leçon. Dans un discours beau, mémorable et sulfureux, le leader de Nation of Islam vitupère le conflit entre le nègre de la plantation et le nègre de la maison. L'un est un forçat indocile et l'autre un chat docile, une sorte d'animal domestique souple et malléable. Le dialogue entre l'indomptable et le dompté résume bien des histoires contemporaines : courrons, séparons-nous, évadons-nous, goûtons à l'amère saveur de la liberté, criait le nègre des champs ! Non, répond le nègre de la maison ! Où est-ce que je pourrais porter des habits plus beaux que ceux offerts par mon maître ? Où est-ce que je pourrais manger des restes de repas plus délicieux que ceux de mon maître ?
Des nègres de la maison ont remplacé des nègres de la plantation au pouvoir à Tripoli. Kadhafi a été un sinistre dictateur, mais il n'a jamais joué avec les intérêts de son peuple. Les Libyens ont été logés, nourris et blanchis aux frais de la princesse. Ils n'avaient qu'une soif : celui de la liberté. Le fantasque guide de la révolution avait utilisé la manne financière du pétrole pour éradiquer le besoin. A l'intérieur des frontières de son pays, l'oasis de l'abondance avait vaincu le désert immense. Les nouveaux maîtres de Tripoli ne sont pas aussi libres de leurs mouvements. Ils fonctionnent à la télécommande. L'Otan, à travers la France, a mis ses moyens militaires et attend un retour d'investissement rapide. La guerre en Libye s'est faite dans l'esprit de la conférence de Berlin. Le partage des ressources pétrolières du monde entre puissances occidentales place la Libye dans une situation d'une grande précarité. Même la démocratie ne sera bientôt qu'un simple alibi. Les nouveaux maîtres de Tripoli feront fatalement recours à la trique. Habituées aux conditions de vie doucereuses, les populations auront du mal à supporter la surexploitation de type colonial. La dictature est le seul moyen de réduire tout le monde au silence. La tentative d'instauration de la Charia entre dans cette logique d'anticipation. Rien ne sera plus comme avant. Par contre, les valets des occidentaux n’ont de gros soucis à se faire. Le nègre de la maison sera payé pour les commissions en forme de mission. Il n'est jamais difficile à satisfaire. Quelques restes de repas ou des miettes de contrat feront le bonheur de ce laquais. Les grosses concessions sont pour les patrons français. Ces fonds vautours se pavanent à tripoli sous de faux airs de grands sauveurs. Les disciples du «contreffato» croient en leurs succès. Ils mentent. Après chaque guerre de colonisation, il y aura une guerre de libération.
 
Nègre de la plantation, nègre de la maison. La comparaison vaut pour notre justice aussi. Au moment où des segments importants du pouvoir judiciaire montrent une volonté d'indépendance, une autre se signale par un zèle digne du nègre de la maison. La peine disproportionnée infligée au leader de Convergence socialiste est symptomatique de cet état d'esprit. Le Président Abdoulaye Wade lui-même s'était gaussé un moment de cet amour des chaînes. Deux ans de prison pour une simple correspondance. La sentence est sans commune mesure. Elle ressemble à la copie d'une dictée préparée. Le pouvoir exécutif voulait une peine de dissuasion, on la lui donne prestement. Vert de maladresse, Malick Noël Seck devient un prisonnier politique fort encombrant. Quand la politique entre par la porte, la justice sort par la fenêtre. Rat des villes. Rat des champs.