Au Sénégal, la rumeur populaire a parfois des accents prophétiques. On dit souvent que «?celui qui construit une prison risque un jour de s’y retrouver?». Dans un pays où les prisons débordent de détenus, cette maxime, à la fois cynique et pleine de sagesse, résonne aujourd’hui avec une étrange actualité. Ismaïla Madior Fall, ex-Garde des Sceaux, en est devenu malgré lui la démonstration vivante – ou plutôt, assignée à résidence.
Souvenez-vous : en novembre 2022, dans une volonté affichée de modernisation de la justice sénégalaise et de désengorgement des établissements pénitentiaires, le ministre réceptionnait avec un enthousiasme non dissimulé le tout premier lot de 1000 bracelets électroniques. Ces dispositifs, conçus pour permettre des détentions à domicile sous surveillance électronique, étaient alors présentés comme un symbole d’efficacité et d’humanité dans l’exécution des peines.
Quelques années plus tard, dans une ironie que même les scénaristes les plus habiles auraient peiné à imaginer, c’est ce même homme, professeur de droit constitutionnel et fervent avocat de la modernisation judiciaire, qui en porte aujourd’hui un à la cheville. La boucle est bouclée, le bracelet refermé.
Plus qu’un simple fait divers, cette situation interpelle. Elle révèle une double vérité : d’abord, que nul n’est à l’abri d’une mise en cause judiciaire, même ceux qui ont façonné les outils de cette même justice. Ensuite, que le droit, dans sa rigueur, n’épargne ni l’ancien ministre ni le citoyen ordinaire. En cela, la trajectoire d’Ismaïla Madior Fall devient presque pédagogique.
Mais au-delà de l’ironie, ce retournement de situation rappelle que les institutions que l’on bâtit devraient toujours être pensées avec humilité. Car leur impartialité finit, tôt ou tard, par se mesurer à leur capacité à juger ceux qui en étaient les garants. Et dans cette impartialité réside leur légitimité.
Le bracelet électronique, symbole d’une justice “connectée” et moderne, a désormais un visage : celui de l’un de ses plus fervents promoteurs.
La roue tourne, dit-on. Mais dans cette affaire, elle ne s’est pas contentée de tourner : elle a rappelé, avec force, que dans une démocratie digne de ce nom, nul n’est au-dessus des lois — pas même ceux qui les ont façonnées. Le bracelet électronique, pensé pour les autres, s’est refermé sur l’un des siens. Ce n’est plus seulement un outil de réforme, c’est devenu un miroir : celui d’une justice qui se regarde en face.
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