La semaine dernière, la diplomatie sénégalaise s’est bien déployée dans la sous-région, étalant en même temps ses contradictions et son caractère illisible. Depuis l’arrivée des nouvelles autorités, on peine à déterminer le chemin emprunté par Dakar en matière de politique diplomatique, en dehors du bon voisinage. Ces derniers jours en sont une illustration parfaite. Le lundi 12 mai, le président Bassirou Diomaye Faye s’est rendu en Côte d’Ivoire pour participer à l’Africa CEO Forum organisé par Jeune Afrique. Or, à l’heure actuelle, il est clair qu’Abidjan et Jeune Afrique renvoient à l’Europe, la France en particulier. La Côte d’Ivoire, c’est aussi la CEDEAO.Trois jours après le retour au pays du Chef de l’État, son Premier ministre Ousmane Sonko s’est rendu au Burkina Faso pour « transmettre un message de soutien absolu » au peuple burkinabé. Face aux attaques jihadistes au Burkina, Sonko n’écarte pas une collaboration avec Ouaga. Il a aussi pris part à la cérémonie d’inauguration du mausolée Thomas Sankara. Or, le Burkina Faso est membre de l’Alliance des États du Sahel, ces pays qui ont fait le choix de quitter la CEDEAO.De surcroît, le Burkina a des rapports difficiles avec son voisin. D’où les interrogations teintées d’indignation de l’opposant Bougane Guèye Dany. « Ousmane Sonko ne saurait ignorer les relations nauséeuses entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso marquées par des tensions sérieuses et alimentées au quotidien par des accusations d’ingérence. Quelle image veut-on donner du Sénégal ? Celle d’un pays qui joue sur deux tableaux ? Ou celle d’un État qui brise les ponts de la cohérence diplomatique au nom d’un agenda idéologique mal conçu et contre productif ? », se demande Guèye.Mais le Burkina Faso, c’est surtout une alliance avec la Russie sur le plan géopolitique. Le Burkina a fait le choix de rompre avec la France régulièrement accusée dans l’assassinat de Sankara pour nouer une alliance solide avec la Russie.Ainsi donc, en langage imagé, on peut dire que le président s’est rendu à Paris le lundi et son PM est allé à Moscou le vendredi. Il est vrai qu’être avec les Occidentaux n’empêche en rien de nouer des alliances avec leurs adversaires russes ou chinois et vice-versa. Mais en matière de diplomatie, il y a un minimum. Les actes doivent aider à avoir une bonne lecture de la vision.Certes, le Sénégal peut faire le choix de n’intégrer aucun bloc. Après tout, il existe une troisième voie qui était incarnée par les non-alignés lors de la guerre froide. Et les pays africains étaient assez nombreux dans ce bloc. Aujourd’hui que le monde est multipolaire, il est bien possible et parfois même souhaitable, notamment pour les pays faibles, d’avoir un positionnement équilibré permettant de tirer profit de la rivalité entre puissances. Mais pour cela, il ne faut pas donner l’impression d’être en rupture avec un bloc, car cela serait presque synonyme de rapprochement avec l’autre camp.Or, c’est dans ce flou que se trouve actuellement le Sénégal. Il y a toujours une collaboration avec le bloc occidental, mais le Pastef et son patron restent critiques vis-à-vis de la France. Au même moment, on ne note nulle part un rapprochement avec Moscou ou Pékin. On est donc porté à croire que le Sénégal a choisi la troisième voie. Sauf que Dakar, à travers son Premier ministre, est trop critique vis-à-vis de l’Occident, la France en particulier, pour incarner la neutralité propre à la voie alternative.Cette contradiction n’est d’ailleurs pas une première. Il y a un an, le Premier ministre avait fait une sortie critique contre la France lorsque celle-ci a décidé de reconnaître 6 tirailleurs comme étant morts pour la France. C’était à quelques mois de la célébration du massacre des tirailleurs sénégalais en 1944 à Thiaroye.Ousmane Sonko s’était montré ferme sur la détermination des nouvelles autorités sénégalaises sur ce sujet. « Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance qu’ils méritent ».Le problème est que cette sortie du PM sur les réseaux sociaux intervenait à peine un mois après la visite en France, le jeudi 20 juin 2024, du chef de l’État Bassirou Diomaye Faye reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron.Cette absence de lisibilité se traduit aussi sur le champ économique. Le régime de Diomaye-Sonko se veut un gouvernement souverainiste, mais il fricote avec le Fmi et la Banque mondiale que le Pastef a toujours voués aux gémonies. En même temps, on ne sent pas se dessiner un nouvel axe de coopération, que ce soit avec les pays du Golf, la Chine ou la Russie. D’ailleurs, les difficultés avec des entreprises (pétrolières notamment) de différentes nationalités en sont l’illustration parfaite.Ainsi, pour l’instant, on a plutôt une diplomatie à la Trump, à la différence qu’au Sénégal, on a l’impression d’avoir une diplomatie tiraillée par deux vents contraires : d’un côté, le président plutôt pragmatique et de l’autre son PM, plus idéologique.
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