The Wade formula

Notre président de la République vient de boucler un tour du monde, pour défendre, avec une opiniâtreté digne de respect, la formule (PT-29) QT=ST. On lui réserve un grand espace publicitaire dans le Washington Post du lundi 31 octobre. Un site, thewadeformula.com, lui est consacré. On y montre professeur Wade, « the economist and the mathematician » (j’allais ajouter « and the magician »), démontrer sa fameuse trouvaille qui veut révolutionner les relations d’homme à homme. Après l’avoir vu, dites-moi si vous y comprenez quelque chose. Moi non. J’ai demandé à un grand adepte du wadisme, un des rares à avoir lu « Un destin pour l’Afrique », ce que ce théorème, qui plane à deux mille miles au-dessus de notre compréhension, veut dire. Il semble que ce soit aussi terre à terre que Prenez Tout le gouvernement, enlevez les 29 qui étaient là au début, remettez-y la Quasi-Totalité. Ajoutez-y Abdourahim Agne, Aboulaye Makhtar Diop et Me El Hadj Diouf. Vous aurez tout le monde Sauf Tanor. A la place d’une surcharge pétrolière, vous aurez une surcharge gouvernementale à supporter.
C’est ainsi que fonctionne la physique politique chez Wade : tout ce qui s’oppose s’attire. Après plusieurs tentatives infructueuses, la fusion tant souhaitée devrait marcher cette fois-ci. Avoir, dans un même corps gouvernemental, un alliage qui comprend Moustapha Niasse et la bande de petits snipers qui lui décochent parfois des flèches pas vraiment méchantes, pour se rappeler à lui. Et le grand tour gouvernemental tant attendu est joué, magistral. 

A quatre mois des élections, on ne sait pas pourquoi le leader de l’Afp accepterait sans apriori, l’idée de discuter d’un gouvernement d’Union nationale. C’est bien ce qu’a dit le président de la République le jour de son appel, et c’est bien ce qu’il va leur proposer, en les recevant séparément. Aller le voir, c’est donc, malgré toutes les contorsions verbales pour expliquer ce « oui » à Wade, accepter le principe de discuter d’un gouvernement d’Union nationale et celui du report des élections. Pour moins que ça, on avait déjà accroché Abdourahim Agne dans le bois, prêt à le pendre pour trahison. C’est ce qui rend la déclaration de Moustapha Niasse incompréhensible. La Cpa avait indiqué deux préalables à toute invitation d’Abdoulaye Wade. Que la question soit discutée en interne, entre leaders, avant toute position publique. Ils y avaient ajouté, alors que Barthélémy Dias était encore en prison, que tout dialogue suppose, au préalable, la libération de tous les responsables politiques emprisonnés. Barthélémy Dias est encore en prison.
Nos « opposants » n’en sont pas à leur première contradiction près. Même après leur « démission » de l’Assemblée nationale, certains d’entre eux ont continué à utiliser ses véhicules, et à toucher ses salaires. C’est le prix de notre sang démocratique, perfusé à la française. Il faudra attendre l’issue de cette rencontre, annoncée la semaine prochaine comme le jour de grandes fiançailles, pour savoir contre quoi Abdoulaye Wade a accepté de tronquer son unilatéralisme arrogant pour enfiler ses nouveaux habits de moine du « gouverner ensemble ».
C’est déjà écrit dans le ciel que si les deux hommes s’entendent, et Dieu sait qu’ils peuvent s’entendre sur l’essentiel, nous pouvons déjà féliciter les nouveaux mariés et dire bye bye à notre démocratie.
Malgré les hasards de la politique, quelques nuances autoritaires apportées par Senghor, nous avons jusqu’ici une colonne républicaine qui nous empêche de tomber dans la barbarie. Mais si l’union qui se conte dans les clandos de Dakar aboutit, nous aurons élu un président à vie, contre quelques places au gouvernement. On exagère souvent les contradictions entre Niasse et Wade. Niasse était là quand Wade entrait en politique, à Kébémer, il était là, quand Wade entrait en opposition, à Mogadiscio. Ce sont des souvenirs qui marquent. Ils sont tous les deux, quelque part, de filiation senghorienne. C’est pourquoi, il serait dangereux de surestimer la distance qui les sépare. S’ils réussissent à s’entendre, face à la génération de politiciens qui veut les envoyer à la morgue, oubliez les élections du 25 février 2007, et chantez le nouveau bicéphalisme monarchique. Il y a longtemps d’ailleurs, que les attaques frontales entre les deux hommes ont cessé, pour laisser place à des critiques de convenance. La légende urbaine raconte que Wade, dans ses dernières volontés, souhaite faire de Niasse la deuxième personnalité de la République, contre deux années supplémentaires à la tête du pays. Et il ne lui laisse pas le choix. Ou Niasse le rejoint, ou il débauche ses parlementaires un à un, et bloque toutes ses initiatives dans le monde très rentier du pétrole. 

Au détriment de qui ? Djibo Kâ, qui prend à la figure ce qu’il refusait en mars 2000, être dirigé par Moustapha Niasse. Ce qu’il pense de ce nouvel appel à l’unité se passe d’ailleurs de commentaire : « Je considère simplement que nous sommes à quatre mois des élections et que ce n’est pas la première fois que l’appel est lancé à l’opposition. Je considère qu’il est utile que notre pays sorte de cette transition infinie, indéterminée. » De Landing Savané surtout, qui veut prendre son indépendance. Quand Wade aimait les œufs brouillés, il cassait du Niasse, à chaque petit déjeuner, avec le rire engorgé du leader d’Ajpads, content de manger à la table du président. Il lui décrivait comment il a accroché Niasse sur sa corde raide, avant de le jeter hors de son gouvernement. « Il en a oublié Dieu », avait-il commenté, d’un rire atavique.
Maintenant, le président veut ses  oeufs retournés à l’ancienne. Le 5 mars 2004, il jurait pourtant à ses alliés de la Cap 21, que l’invite qu’il adressait à l’opposition serait la dernière : « J’ai lancé un appel pour l’élargissement du gouvernement aux opposants. Je souhaite qu’ils viennent. Je serai heureux qu’ils viennent. Mais s’ils ne viennent pas, on verra. Je souligne que c’est mon dernier appel, parce que bientôt les élections vont arriver, et moi je vais bientôt commencer ma campagne. Il faut que je sache ceux qui sont avec moi et ceux qui sont contre moi ». On pensait la phase d’instabilité gouvernementale fermée. Mais l’éphésien ne baigne jamais dans des fleuves tranquilles.
Mais on est en politique, on n’est pas dans les pouponnières du moralisme angélique. Quand on vous propose une combinaison, vous voyez d’abord si elle est gagnante pour vous, avant de penser au « peuple ». Les seuls qui ont ambitionné de renverser cette loi naturelle de la compétition, et qui s’appelaient « communistes », ont été condamnés à mort par l’histoire. Peut-être injustement. Ce sont eux qui risquent de rester à bord de cette CPA qui marche au charbon, à l’ère du TGV. Pour tomber parfois d’accord sur la formulation d’une phrase, ça peut prendre trois mois de négociations. Et au moment où ils s’apprêtent à aboutir à un accord sur un programme de gouvernement, Wade vient hanter leur sommeil avec sa formule pétrole contre opposants.